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Etats-Unis : pourquoi les policiers qui tuent des Afro-Américains ne sont (presque) jamais condamnés ?

Le débat sur les violences policières est relancé aux Etats-Unis, après les meurtres de deux hommes noirs par des policiers blancs.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Une manifestation en hommage à Alton Sterling, un homme tué par un policier, à Bâton-Rouge (Louisiane), le 6 juillet 2016. (REUTERS)

Deux affaires macabres relancent le débat sur les violences policières aux Etats-Unis. Une enquête fédérale a été ouverte après la mort d’un homme noir à Bâton-Rouge (Louisiane), abattu par un policier blanc, mardi 5 juillet. Alton Sterling, un vendeur ambulant, a été maîtrisé et plaqué au sol par deux policiers. Alors qu’il semble immobilisé, il est abattu par balle. Une scène filmée en direct et diffusée sur les réseaux sociaux. 

Le lendemain, un autre homme afro-américain meurt sous les balles de la police, à Saint Paul (Minnesota) lors d’un contrôle d’identité, apparemment banal. Présente dans le véhicule au moment du drame, sa compagne a filmé les minutes qui ont suivi les tirs. "S'il vous plaît, ne me dites pas que mon petit ami est mort", implore la jeune femme à ses côtés. Ces histoires sordides ont suscité une vive émotion aux Etats-Unis. Une nouvelle fois des hommes noirs sont tués par des policiers blancs.

Une longue liste de relaxés

Depuis la mort de Michael Brown, en août 2014, qui avait provoqué de violentes émeutes à Ferguson (Missouri), de nombreux cas de décès lors de contrôles de police ont été dénoncés par la presse. Le Guardian (en anglais) tient même à jour une base de donnée fournie. Dans une grande majorité des cas, les policiers s’en sont sortis sans peine de prison. Darren Wilson, le meurtrier de Michael Brown, n’a pas été inculpé. Les deux officiers qui ont tué Ezell Ford, à Los Angeles deux jours après, non plus. La justice a aussi relaxé trois des policiers accusés d'homicide involontaire, d'assaut et de négligence criminelle après que le corps de Freddy Gray, un Afro-Américain de 25 ans, a été retrouvé dans leur fourgon, le 19 avril 2015 à Baltimore (Maryland). Difficile de dresser une liste exhaustive, tant elle est longue.

L’officier Michael Slager a tout de même été placé en prison, où il attend son procès. Il est accusé d’avoir tué Walter Scott, un cariste de 50 ans, à North Charleston (Caroline du Sud) d’une balle dans le dos et d’avoir menti en affirmant que la victime lui avait pris son taser des mains et qu’il se sentait physiquement menacé. Une version contredite par une vidéo, qui montre le policier déposer à côté du corps de Walter Scott ce qui ressemble à un taser pour accréditer sa version, comme l’explique Libération. Michael Slager faisait déjà l’objet de deux plaintes pour l’usage injustifié d’un taser.

Une jurisprudence favorable pour la police

Pourquoi faut-il de tels éléments à charge pour qu’un policier puisse être inquiété ? La justice américaine repose en grande partie sur des jurisprudences et certaines d’entre elles protègent les policiers. Exemple avec ce jugement rendu par la Cour Suprême (en anglais), la plus haute instance du pouvoir judiciaire aux Etats-Unis, dans l’affaire “Plumhoff versus Rickard”, deux mois avant que Michael Brown ne soit abattu.

Comme l’explique Slate (en anglais), les plaignants réclamaient des réparations après la mort d’un conducteur et du passager d’une voiture sous les balles de la police, lors d’une course-poursuite. La Cour suprême avait affirmé, par 9 voix contre 0, qu’il ne s’agissait pas d’un recours excessif à la force. "Si tirer sur un suspect est justifié pour mettre un terme à une grave menace à l’ordre public, alors les policiers ne sont pas obligés d’arrêter de tirer tant que la menace n’a pas disparu", écrit la haute cour.

Ce texte complète un autre jugement de la Cour suprême datant de 1989, à propos de l’affaire "Graham vs Connor". Selon elle, la pertinence de l’utilisation de la force par les agents "doit être jugée du point de vue d’un policier présent sur la scène", plutôt qu’à froid par les enquêteurs. Cette norme est conçue pour prendre en compte le fait que les agents de police doivent fréquemment prendre des décisions en une fraction de seconde sur le terrain, explique PBS (en anglais). Cette décision, qui donne énormément de crédit à l’argumentation du policier, a été par exemple citée par la justice pour justifier l'abandon des poursuites contre Darren Wilson, l’officier qui a tué Michael Brown.

Un Noir a cinq fois plus de risques qu'un Blanc de mourir sous les balles de la police

Ces dispositions juridiques n’expliquent cependant pas le fait que ce sont très souvent des Afro-Américains qui meurent sous les balles des policiers. Les hommes noirs âgés de 15 à 34 ans ne constituent que 2% de la population américaine. Pourtant, ils représentent 15% des personnes tuées par la police en 2015. Ce qui fait dire au Guardian (en anglais), qu’un jeune Noir a cinq fois plus de chance de mourir sous les balles des forces de l’ordre qu’un jeune Blanc.

Selon le magazine Reason (en anglais), dont la ligne est pourtant libertarienne donc assez à droite sur l’échiquier américain, le problème vient de la pression des électeurs, qui force les pouvoirs publics à prôner une répression trop sévère des petits délits. Les autorités "refusent de reconnaître que l’application extrêmement stricte de lois parfois absurdes comme celles sur la vente de cigarettes ou la consommation de drogues légères, dont sont disproportionnellement victimes les pauvres et les minorités, contribue à la série de violences policières."

Une position partagée par Ta-Nehisi Coates, un journaliste et écrivain américain, remarqué pour son bestseller Une Colère noire (Editions Autrement, 2016), dans lequel il dénonce les traces de l'esclavage encore perceptibles dans la société américaine. "Le vrai problème est la croyance que nos problèmes de société peuvent être résolus par la force, écrit-il dans The Atlantic, un journal positionné à gauche. À un moment donné les Américains ont décidé que la meilleure réponse à chaque problème social se trouve dans le système de justice criminelle (...) Les Afro-Américains, pendant une grande partie de leur histoire, ont vécu sous le joug de ce système de justice criminelle."

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