Venezuela–Guyana : aux origines d'un conflit frontalier ravivé par Exxon
Essequibo (Esequibo en espagnol). Depuis 1841, ce territoire est au cœur du conflit frontalier qui oppose la République coopérative du Guyana, le seul membre du Commonwealth en Amérique du Sud, et son voisin, le Venezuela.
La récente confirmation par le groupe pétrolier américain Exxon Mobil de la présence d’un gisement prometteur dans la région semble avoir relancé le plus important différend territorial dans cette partie du monde. La multinationale a annoncé le 20 mai 2015 «une découverte pétrolière significative sur le bloc de Stabroek, situé approximativement à 120 milles (195 km) du Guyana».
Une semaine plus tard, le gouvernement vénézuélien élargissait sa frontière maritime en incluant la Zona en reclamación (zone qui fait l’objet d’une réclamation). Le décret promulgué par le président Maduro intégrait ainsi le territoire contesté d’Essequibo, qui englobe le nouveau gisement, dans la façade atlantique du Venezuela, peut-on lire sur le blog du Washington Post consacré à l’actualité internationale. Le Guyana a réagi le 8 juin 2015 en déclarant le décret présidentiel N°1787 «illégal», puisqu'il contrevenait au droit international, constituait «une menace pour la paix et la sécurité dans la région».
Le lendemain, les Vénézuéliens ont tenté de calmer le jeu en avançant qu'ils préféraient une solution pacifique à la résolution du conflit frontalier, rapporte le Jamaica Observer, sans manquer d'accuser leur voisin de faire de la surenchère alors même que le Venezuela était un «pays frère». Caracas est surtout irrité par la présence d'une firme américaine dans son voisinage.
Pour sa part, le Guyana a appelé à la médiation de l’ONU le 10 juin 2015. Le ministre des Affaires étrangères Carl Greenidge a confié à l’AFP «qu'il ferait directement appel au Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, pour évoquer la convention de Genève dans ce dossier».
Pour le pétrole
Les autorités du Guyana ne comptent pas renoncer à leurs droits sur ce territoire qu'elles nomment, de leur côté, Guayana Essequiba et qui se trouve à l’ouest du fleuve Essequibo, le plus long cours d’eau du pays. Dès son accession à la magistrature suprême, le nouveau chef d’Etat guyanais n’en a pas fait mystère.
«Je suis convaincu que le site qu'ils (Exxon) forent est bien dans notre zone économique exclusive», avait confié à l'agence Reuters David Granger, élu en mai 2015 à la suite de la victoire de la coalition de l’opposition. «C'est notre territoire. Je ne vois pas pourquoi le Venezuela (…) s’opposerait à l'extraction de pétrole sur l’un de nos sites.»
Pourtant, depuis son indépendance, Caracas s'est toujours préoccupé du sort d'Essequibo. Il a toujours été considéré comme un territoire vénézuélien puisqu’il appartenait déjà aux colons espagnols. Les autorités vénézuéliennes se sont émues, dès le début du 19e siècle, de l’expansion sur ses terres du Guyana britannique, né à la suite d’un accord entre les Anglais et les Hollandais. Mais le traité d’acquisition ne fixait pas de limite au niveau de la frontière Ouest du nouveau territoire.
Une démarcation (The Schomburgk Line, du nom du commissaire britannique qui l'a tracée) est proposée par la Grande-Bretagne. Et elle inclut la luxuriante zone forestière d’Essequibo, riche en ressources minières. Validée en 1905, cette délimitation sera la seule, aucune autre ne sera ensuite officiellement établie. C'est l'un des principaux arguments qu'utilise aujourd'hui le Guyana. Mais à l'époque, un semblant de statu quo persitera entre les deux nations jusqu’au milieu du 19e siècle, où des études confirment la richesse du sous-sol, notamment en or.
Perpétuel statu quo
Le Venezuela demande aux Etats-Unis d’intervenir, au nom de la doctrine Monroe (du nom du président américain James Monroe, elle régie la politique étrangère des Etats-Unis au 19e et 20e siècles et prône la non-ingérence des Européens dans les affaires des Amériques). L’intervention américaine aboutira à une décision arbitrale le 3 octobre 1899 (The Paris Arbitral Award) qui confirme la démarcation britannique : le territoire qui se situe à l’ouest de la rivière Essequibo relève bien de la Guyane britannique.
Le Venezuela ne conteste pas à l’époque la décision. Il faudra attendre 1962 pour qu’elle réclame aux Nations Unies de la considérer «nulle et non avenue». L’apparition du pétrole dans l’équation territoriale intensifie les revendications du Venezuela. Alors que l’indépendance du futur Etat du Guyana semble inéluctable, Britanniques et Vénézuéliens, entre autres, signent l’accord de Genève le 17 février 1966.
Le document prend note des réclamations de Caracas, engage la nouvelle nation guyanaise et prévoit la mise en place d’une commission mixte pour régler le différend «amicalement» et de «manière acceptable» entre les parties en présence. Le texte stipule surtout, en cas d’échec des négociations bilatérales, que les signataires s’en remettent au secrétaire général des Nations Unies pour les aider à trouver les voies et moyens de parvenir à un accord. Lequel est diversement interprété par les parties concernées tout en donnant néanmoins lieu à un nouveau statu quo.
L'accord de Genève : un cadre propice aux négociations
Quand, en 1970, les quatre ans impartis à la commission mixte pour parvenir à une solution satisfaisante arrivent à échéance dans le cadre de l'accord de Genève, Vénézuéliens et Guyanais ne prendront aucune mesure pour se mette en conformité avec les dispositions prévues par le texte. Cependant, en dépit des tensions persistantes, ils conviennent d’un moratoire de douze ans durant lequel les réclamations des uns et des autres seront gelées (Protocol of Port Spain).
En 1982, Caracas refusera de reconduire le moratoire. Le Venezuela propose des négociations directes quand le Guyana souhaite que l’affaire soit portée devant la Cour internationale de justice. Aucune partie n’arrivera à convaincre l’autre. Caracas et Georgetown se tournent finalement vers l’accord de Genève et par conséquent vers l’ONU. Ainsi, une Commission bilatérale de haut niveau (COBAN) voit le jour en 1998. Les émissaires se sont succédé ces dernières années auprès des deux Etats sans parvenir à un accord.
Le Venezuela s’estime plus que jamais dans son droit mais réclame aujourd’hui les deux tiers d’un des pays les plus pauvres d’Amérique du Sud. Le Guyana compte sur ses ressources minières pour se développer quand Caracas possède déjà les plus importantes réserves d’or noir au monde, selon l’Oganisation des pays exportateur de pétrole (OPEP). Ce n'est pas pour autant que les Vénézuéliens renonceront à leur façade maritime sur l'Atlantique.
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