Au Pakistan, climat sanglant à quelques jours des élections
Candidats et magistrat assassinés, campagne de terreur orchestrée par les talibans : le scrutin du 11 mai se prépare dans un pays sous haute tension.
Il fait grand jour, vendredi 3 mai au matin. Au volant de sa Toyota blanche, le procureur Chaudhry Zulfiqar quitte son domicile et se fraye un chemin dans la circulation de la banlieue d'Islamabad, la capitale du Pakistan. Il doit se rendre au tribunal pour une nouvelle audition dans son enquête sur l'assassinat de l'ancienne Première ministre, Benazir Bhutto, il y a cinq ans. Dans ce quartier résidentiel animé, deux hommes sur une moto surgissent, ouvrent le feu. Les vitres volent en éclats, les sièges sont maculés de sang. Le garde du corps réplique. Touche un assaillant.
Le magistrat perd le contrôle de son véhicule, percute mortellement une passante avant de terminer sa course sur le bas-côté. Le procureur de l'Agence fédérale d'investigation (FIA) a reçu treize balles, dans l'épaule, la poitrine, la tête. Son garde du corps aussi est touché. Chaudhry Zulfiqar succombe avant de parvenir à l'hôpital. Le garde du corps a plus de chance. Il s'en tire.
Cet assassinat tombe en pleine campagne électorale. Dans huit jours doivent se dérouler des élections générales considérées comme historiques. Le gouvernement civil vient de terminer une législature complète de cinq ans, une première dans ce pays abonné aux coups d'Etat militaires. Mais le climat n'en est pas moins tendu. Explications.
L'ancien président dans la tourmente
A l'annonce de l'assassinat du procureur Chaudhry Zulfiqar, les regards se sont tournés vers l'ancien président. Pervez Musharraf, 69 ans, est rentré en mars de quatre ans d'exil volontaire, après avoir démissionné en 2008. Son objectif : participer au scrutin parlementaire du 11 mai pour se relancer en politique. Mais ses espoirs ont vite été anéantis.
Pensant régler une formalité en se rendant devant une cour de justice d'Islamabad, le 17 avril, pour prolonger sa liberté sous caution, il a eu la surprise de voir ordonner son arrestation, comme le relatait Libération. Le premier acte d'une série de revers, qui, en passant par une assignation à domicile, ont vu la candidature de l'ancien président invalidée (en raison de ses déboires judiciaires), avant que la justice pakistanaise ne le déclare inéligible à vie pour avoir "violé la Constitution" quand il était au pouvoir.
Or, les déboires judiciaires de Pervez Musharraf sont notamment liés à sa mise en cause dans l'assassinat de Benazir Bhutto. Le général Musharraf, qui avait pris le pouvoir par la force en 1999, est soupçonné de ne pas avoir assuré la sécurité de la Première ministre, tuée dans un attentat-suicide doublé d'une attaque à l'arme légère lors d'un meeting. Plus de cinq ans après, aucune condamnation. Le gouvernement de Musharraf avait, à l'époque, accusé le chef des rebelles talibans pakistanais, tué depuis dans un tir de drone en 2009. Mais ce dernier, qui n'hésitait pas à revendiquer les attentats suicides de ses troupes, s'était cette fois abstenu. Selon certains, Chaudhry Zulfiqar disposait de "solides preuves" contre Musharraf.
Les talibans sèment la terreur
Loin des ennuis judiciaires de Pervez Musharraf, les talibans pakistanais, le Tehreek-e-Taliban (TTP), mènent de leur côté une campagne de terreur contre les candidats laïques. Opposé à la tenue du scrutin qu'il dit contraire aux valeurs islamiques, le mouvement s'attaque aux trois grands partis laïques au pouvoir (ANP, MQM, PPP) et a demandé aux Pakistanais de se tenir à l'écart de leurs meetings. Ces partis de la coalition gouvernementale ont eu le tort de soutenir des opérations antitalibans.
Vendredi, peu après l'assassinat du procureur, un candidat de l'ANP a été abattu par des hommes armés, à Karachi (sud). Il revenait de la mosquée avec son fils de 3 ans quand des inconnus ont ouvert le feu, les tuant tous les deux. C'est le troisième candidat assassiné, mais au moins 62 personnes ont été tuées dans ces violences, depuis le 11 avril. "Cette campagne électorale est particulièrement violente et marquée par une augmentation alarmante des attaques et de l'intimidation contre les activistes politiques et les représentants électoraux", remarquait Amnesty international le 24 avril.
Pour sa part, l'ONG Human Rights Watch s'est inquiétée qu'une partie des candidats de puisse pas mener campagne, ce qui "pourrait compromettre" le résultat du scrutin. Dans un reportage, Le Figaro rapporte ainsi que l'ANP est forcé de "tenir des meetings dignes d'une groupuscule interdit". Un candidat raconte : "Seules quelques personnes connaissent la date et le lieu de mes meetings. Je ne préviens le chef de la section locale du quartier où je vais aller que quelques heures avant. Ensuite, il essaye de réunir du monde, 50 voire 100 personnes. Comment voulez-vous faire campagne dans ces conditions ? Pendant ce temps, les talibans ne s'attaquent pas aux partis d'opposition qui tiennent de grands metings partout !" Ces partis réclament l'arrêt des opérations contre les talibans.
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