Comment le Pakistan évacue une région entière pour chasser les talibans
Les autorités vident le Waziristan du Nord de sa population avant de mener une offensive terrestre. Pas sûr que cela permette d'éradiquer le terrorisme.
Pour lutter contre les talibans, le Pakistan emploie les grands moyens. Après des mois de tergiversations et surtout d'inaction, les autorités s'apprêtent à vider une région entière de ses habitants, mercredi 18 juin. Déjà, des milliers de véhicules gagnent les hauteurs du Waziristan du Nord (dans le nord du pays), créant un embouteillage monstre, pour évacuer les civils. Retour sur cette vaste opération.
Les bombardements
L'offensive a commencé dimanche. Quelques jours après une sanglante et spectaculaire attaque sur l'aéroport de Karachi, à plusieurs centaines de kilomètres de là, les autorités déclenchent une opération au Waziristan du Nord, un sanctuaire taliban. Il s'agit de détruire les repaires des rebelles islamistes, accusés de multiples attentats.
C'est une offensive importante, réclamée de longue date par les Etats-Unis. En effet, le Waziristan du Nord, une région qui fait à peu près la moitié de la Corse, à la frontière afghane, est une forteresse montagneuse d'où les talibans opèrent. Elle est infestée de jihadistes ouzbeks ou du Turkestan oriental (qui agissent aussi en Chine) et d'insurgés afghans, selon Le Figaro.
Pour les en déloger, le Pakistan a investi la zone, mais il y a eu peu de combats. Surtout, la région est bombardée par l'aviation et par des drones. L'armée pakistanaise affirme que l'opération a tué près de 200 personnes, tous des combattants rebelles. Un bilan impossible pour l'heure à confirmer de source indépendante.
En tout cas, il semble qu'Islamabad ait le soutien de Washington. Quelques jours avant le début de l'opération, la CIA a mené sa première attaque de drones depuis six mois sur la région. Mais le Pakistan, confronté au quotidien à une opinion publique volontiers antiaméricaine, nie en bloc et continue de condamner officiellement les frappes de drones. Cela n'a pas empêché les Etats-Unis de bombarder à deux reprises, mercredi matin, le Waziristan du Nord, tuant au moins cinq rebelles dans trois camps, selon les autorités locales.
L'exode
Au quatrième jour de l'assaut, le Pakistan a assoupli le couvre-feu imposé dans la région depuis le début de son offensive militaire. Une fenêtre de quelques jours pour permettre aux civils de fuir et de gagner "des lieux plus sûrs", avant d'y déployer des troupes au sol, selon les autorités locales.
Les civils pourront ainsi prendre la route mercredi, jeudi ou vendredi en fonction des localités où ils se trouvent, ont indiqué plusieurs responsables locaux. Fermés depuis six jours, les marchés et échoppes du Waziristan du Nord ont rouvert pour leur permettre de se ravitailler.
Plusieurs milliers de voitures et camions ont commencé à quitter Bannu, principale ville située à 10 km des portes du Waziristan du Nord. Ils vont chercher des civils, créant un embouteillage géant sur la route.
Les fantassins
Selon les responsables locaux, l'armée va ensuite réinstaller le couvre-feu et déployer des troupes au sol pour "nettoyer" la zone.
Les deux principales villes du Waziristan du Nord, Miranshah et Mir Ali, "ont déjà été bouclées, et des fantassins y arriveront une fois les civils partis", selon un responsable local des services de sécurité. "Les troupes au sol iront d'abord dans les grandes villes, puis les faubourgs, puis les villages et zones de montagnes."
Interrogé sur une éventuelle résistance des rebelles, il a dit s'y attendre "dans les faubourgs des villes et les montagnes", affirmant que l'opération continuerait "jusqu'à l'élimination du dernier terroriste" : "La stratégie est de nettoyer tout le Waziristan du Nord. Cela prendra du temps et je ne peux pas vous dire combien, mais nous irons jusqu'au bout et serons sans pitié." Des analystes pensent que l'opération pourrait durer deux semaines, jusqu'au ramadan.
La frontière
"Les militants responsables de ces attaques devenaient trop puissants, il fallait reprendre le contrôle de leur sanctuaire, explique à Libération (article abonnés) l'expert et ancien général Talat Masood. Mais ce qui se passe au Moyen-Orient a sans doute été un signal d'alarme pour le Premier ministre, Nawaz Sharif : si ça peut aller aussi loin en Irak [avec l'offensive jihadiste], il s'est peut-être dit qu'il valait mieux endiguer la menace islamiste..."
Seulement, les ennemis pourraient avoir fui depuis un bon moment. Libération rappelle que "la rumeur d'une action terrestre courait depuis ces dernières semaines : des éléments du TTP [les talibans] ont donc eu le temps de fuir ou de passer dans la clandestinité". Surtout, les combattants étrangers ont pu franchir la frontière pour se rendre en Afghanistan. Information confirmée à l'AFP par des sources locales, selon lesquelles la plupart des combattants islamistes avaient fui la zone en passant, pour nombre d'entre eux, la frontière afghane.
Ces deux tweets disent montrer des Pakistanais chaleureusement accueillis en Afghanistan.
#Khost people warmly welcomed "brothers" from North #Waziristan. #Afghanistan #Pakistan Pic via @Mashaalradio pic.twitter.com/ii2M16FZ8d
— Bashir Ahmad Gwakh (@bashirgwakh) 18 Juin 2014
#Pashtuns of Waziristan who left Pakistan & migrated to #Khost Afghanistan. You helped us then and now it's our turn pic.twitter.com/oTzrjcHvlm
— Mirwais Afghan (@Miirwais) 12 Juin 2014
Une situation qui n'est pas sans évoquer celle de l'Irak et de la Syrie où les combattants se jouent des frontières. Islamabad a demandé à l'Afghanistan de contenir les jihadistes pour mieux les éliminer.
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