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Thaïlande: désinvoltes touristes chinois

En Thaïlande, les touristes chinois sont de plus en plus nombreux. Mais leur comportement et leur manque de courtoisie ne sont pas toujours appréciés des Thaïlandais. Pour autant, ils apportent de précieuses devises dans un pays qui intensifie ses relations avec la Chine...
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Touristes chinois au Palais royal à Bangkok (Lionel Deconinck)

La scène se passe à l’aéroport international d’Incheon, en Corée du Sud. Une célébrité thaïlandaise se filme avec un smartphone, bousculée par des dizaines de touristes chinois, dans une file d’attente.


Dans cette vidéo de plus de deux minutes, elle fustige ces Chinois «qui n’ont aucune manière, et n’ont aucune courtoisie. Nous sommes Thaïlandais. Nous attendons notre tour, nous faisons la queue. Et eux, ils arrivent, ils nous bousculent, ils nous marchent sur les pieds, ils me tirent les cheveux ». Et elle finit par une tirade sur «ces Chinois ! Partout dans le monde, ils dégoûtent les gens avec leur sans-gêne».

Avec plus d’un million sept cent mille vues en à peine quelques semaines, cette vidéo est devenue virale en Thaïlande. Il faut dire que la colère de cette jeune mannequin, habituée des caméras, est partagée par la plupart de ses concitoyens.

Dans une Thaïlande où la courtoisie et les bonnes manières sont un art de vivre, à tel point qu’il y a même une «particule de politesse» qu’il faut glisser à la fin de chaque phrase (sauf à passer pour un malotru), les vacanciers chinois, qui voyagent en groupe et sortent pour la plupart pour la première fois de leur pays, font un peu mauvais genre.

Désinvolture impolie
Mais ce n’est pas la première fois que les Thaïlandais mettent en cause la désinvolture de ces touristes venus en voisins. Ces derniers mois, plusieurs scandales ont éclaté dans le pays.

En décembre dernier, un avion d’Air Asia, qui assurait la liaison entre Bangkok et Nanjing, en Chine, a dû faire demi-tour, avant d’arriver à destination. Mécontents de n’avoir pas été placés côte à côte, un couple de chinois a jeté un bol de nouilles bouillantes à la tête d’une des hôtesses de l’air.



Quelques mois auparavant, des passagers de retour au pays avaient déclenché une bagarre à bord d’un vol Bangkok-Pékin, avant d’être eux aussi, arrêtés par la police à l’arrivée.

Et chaque jour qui passe dans le royaume apporte son lot de nouvelles histoires, dans lesquelles ces irrespectueux touristes se laissent aller aux pires manques de savoir-vivre envers leurs hôtes et leur culture.

Certaines semaines, un groupe se lave les pieds dans les lavabos des toilettes d’un des plus beaux temple du pays, pendant qu’un autre  provoque des bagarres dans des salons de massage, ou que quelques femmes font sécher leurs sous-vêtement sur les sièges des salles d’attente d’un aéroport.

Un visiteur chinois, vraisemblablement éméché, est même recherché par la police après avoir donné des coups de pieds dans les cloches sacrées du temple de Wat Phra That Doi Suthep, à Chiang Mai, au nord du pays.



Pire, les reproches tournent aussi autour d’un supposé manque d’hygiène de ces touristes. L’année dernière, l’un d’eux avait surpris en train de déféquer dans un canal, toujours à Chiang Mai.

Dans un grand quotidien, The Nation, un éditorialiste a reproduit le hit-parade, en vogue sur les réseaux sociaux thaïlandais, des principaux reproches faits aux visiteurs chinois à travers le pays:
«1/Ils ont tendance à ne jamais tirer la chasse ;
2/Ils se garent n’importe où, et conduisent n’importe comment, quand ils louent des vélos ou des voitures.
3/Ils parlent fort même dans les palaces 5 étoiles.
4/Ils salissent et laissent des papiers gras, ils crachent par terre, ils ne respectent jamais les files d’attente.
5/Ils permettent à leurs enfants de déféquer dans les piscines publiques. »
 
Choc culturel
Dans une société thaïlandaise où politesse et propreté sont des marques de respect,  ces exemples marquent la violence du choc culturel entre les deux nations.

Et ce n’est pas si anecdotique qu’il y paraît, car depuis quelques années, les touristes chinois déferlent par millions dans le royaume pour venir visiter les plages idylliques de Krabi, Phuket ou Koh Samui.

Outre l’explosion de la classe moyenne chinoise, le principal responsable de cet afflux soudain, est un film à petit budget, «Lost in Thailand». Cette comédie chinoise raconte les aventures de trois concurrents en affaires partis à la recherche de leur patron en Thaïlande.

Produit en 2012 pour 5 millions de dollars, le film a engrangé près de 200 millions de dollars de recettes, et a créé un véritable culte autour de la Thailande, devenue du jour au lendemain la destination rêvée de millions de chinois.

L’année dernière, près de 5 millions d’entre sont ainsi venus flâner en groupe entre temples et plages de rêve. Quatre fois plus qu’avant «Lost in Thailand» !

Touristes chinois à Bangkok (Lionel Deconinck)

Mais si les Chinois arrivent en masse dans l’ex-royaume de Siam, c’est aussi gràce à l’assouplissement récent des règles administratives pour voyager entre les deux pays.

Dorénavant, plus besoin de faire de fastidieuses demandes de visa à l’ambassade de Thaïlande à Pékin, les voyageurs s’en voient accorder un d’office à l’arrivée à Bangkok !

Une révolution pragmatique, car ces touristes chinois, (même si les Thaïlandais les accusent d’être radins), font rentrer des devises dans une économie mise à mal par l’instabilité politique de ces dernières années et le coup d’Etat de mai 2014.

Parmi les millions de touristes étrangers qui malgré tout, visitent la Thaïlande tous les ans, les Chinois sont aujourd’hui les plus nombreux. Et un accord bilatéral d'exemption de visa entre la Thaïlande et la Chine, qui devrait être conclu en 2015, risque d’amplifier encore le phénomène.
 
Selon une étude de la Banque Kasikorn, ils devraient dépenser dans le pays en 2015, plus de 218 milliards de bahts, soit plus de 6 milliards d’euros !

Raison, peut-être, pour laquelle la ministre du Tourisme en personne, a appelé ses concitoyens à la patience : «C’est peut-être  la première fois qu’ils sortent de leur pays. Ils ne connaissent pas la culture, ni les bonnes manières dans les pays étrangers, alors peut-être agissent-ils sans aucune mauvaise intention», a rappelé l’élégante Kobkarn Wattanavrangkul.

La Thaïlande, partenaire privilégié de la Chine
Le gouvernement thaïlandais tient ainsi à calmer les esprits et comme toujours en Thaïlande, poliment rappeler à l’ordre ces envahissants vacanciers.

Un petit guide en mandarin, rappelant les bonnes manières est dorénavant distribué aux touristes entrant dans le royaume.

Il leur est ainsi demandé de ne pas couper les files d’attente, de s’abstenir de cracher ou de salir les lieux qu’ils visitent, de laisser les toilettes publiques propres, ou de ne pas toucher les œuvres d’art dans les musées.

Une brochure d’autant plus utile que la Thaïlande, auparavant partenaire économique mineur, est en passe de devenir un allié privilégié de la Chine.

D’immenses conglomérats industriels injectent aujourd’hui des milliards de dollars dans l’économie thaïlandaise, avec leur lot d’expatriés chinois venus tenter leur chance dans le royaume.

Leur première cible, le marché immobilier local, plein de promesses face à ceux, saturés, de Shanghaï ou de Hong Kong.

Gratte-ciels dans le centre de Bangkok (23 juillet 2014) (Reuters - Damir Sagolj)

En deux ans, ces groupes chinois sont devenus les premiers investisseurs étrangers sur ce marché. Ils construisent à tour de bras, gratte-ciels, hôtels de luxe ou complexe résidentiels en bord de mer.

Selon un agent immobilier de la capitale, «ces investisseurs chinois ont compris que Bangkok peut devenir le Hong Kong d’Asie du sud-est». Pour Fabrice Loré, directeur de l’agence Five Stars a Bangkok, «vu le prix du mètre carré ici, ils pensent qu’investir maintenant en Thaïlande leur rapportera beaucoup plus que s’ils visaient d’autres pays de la région. Ils ont raison. »

Voisins asiatiques
L’immobilier, mais pas seulement. Depuis le coup d’Etat et les critiques outrées des gouvernements occidentaux qui se sont abattues sur la junte militaire au pouvoir, la Thaïlande se tourne vers ses voisins asiatiques.

Fin janvier 2015, les autorités thaïlandaises ont annoncé que les travaux des nouvelles lignes de chemin de fer à travers le pays débuteront en septembre. Un projet de 12 milliards d’euros, construit par les Chinois, et qui permettra à la Thailande de moderniser un réseau ferré notoirement vétuste.
 
Ces lignes devraient être connectées au projet chinois de train rapide qui, à terme, partira de Pekin pour descendre jusqu’à Singapour, via Bangkok.
 
Immobilier, communication, téléphonie, agro-alimentaire, l’offensive économique tous azimuts semblent porter ses fruits.
 
Sous le charme, le ministre thaïlandais des affaires étrangères, Don Pramudwinai, y voyait là en février 2015 le début d’une «nouvelle ère des relations entre la Thaïlande et la Chine ».
 
Les Thaïlandais vont donc devoir apprendre à composer encore pour longtemps, avec les supposées mauvaises manières de leurs rustres voisins…

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