Avortement : avec Zika, la révolution semble aux portes de l'Amérique Latine
C’est le branle-bas de combat dans plusieurs pays d’Amérique Latine pour endiguer l’épidémie de virus Zika et éradiquer le moustique Aedes Aegypti qui le transmet (également responsable de la dengue et du chikungunya). Avec 26 pays et territoires contaminés sur le continent américain, la région est la plus affectée par l'épidémie, qui se manifeste par des symptômes grippaux bénins, pouvant même passer inaperçus, mais dont les complications pourraient être graves voire mortelles.
Le virus est soupçonné de provoquer l'apparition de microcéphalies, une malformation congénitale dont souffrent les enfants nés avec un cerveau anormalement petit. Devant l'ampleur de l'épidémie en Amérique du Sud, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a décrété une «urgence de santé publique de portée internationale» et encourage le recours à l'avortement. Une recommandation qui rime avec révolution dans cette partie du monde où l'interruption volontaire de grossesse est la plus criminalisée.
Dérisoire
Opérations de fumigation et de sensibilisation et, plus récemment, injonction aux femmes de ne pas tomber enceintes font partie de la panoplie déployée en Amérique Latine contre l’agent pathogène. «Nous voudrions conseiller à toutes les femmes en âge d'avoir des enfants de prendre des mesures pour planifier leur grossesse, en évitant d'être enceintes entre cette année et l'année prochaine», a déclaré jeudi 4 février 2016 le vice-ministre salvadorien de la Santé, Eduardo Espinoza. Donner un tel conseil aux femmes, comme c’est le cas au Salvador, en Colombie ou encore en Equateur, paraît dérisoire quand l'avortement et la pilule contraceptive restent interdits dans beaucoup de pays latino-américains.
«Le conseil adressé aux femmes de retarder la grossesse ignore le fait que beaucoup d'entre elles n'ont tout simplement pas le pouvoir de décider si ou quand elles veulent tomber enceinte dans un environnement où la violence sexuelle est monnaie courante», a estimé vendredi 5 février 2016 Zeid Ra'ad Al Hussein, le Haut-commissaire des Natons Unies aux droits de l'Homme dans un communiqué. Le responsable onusien a appelé les gouvernements à «s'assurer que les femmes, les hommes et les adolescents ont accès à des services et des informations de qualité sur la santé et la reproduction, sans discrimination», via le droit à la contraception, aux soins maternels et à l'avortement dans un environnement sécurisé.
La ministre salvadorienne de la Santé Violeta Menjivar a assuré pour sa part vendredi 5 février 2016 que les contraceptifs étaient désormais plus facilement disponibles dans les hôpitaux publics du pays. Cependant, elle a renouvelé son «appel aux femmes à penser de manière responsable».
Et pour cause, la question de l'avortement reste délicate. Au Salvador, «la loi sur l’avortement est l’une des plus restrictives au monde. L’avortement est totalement interdit, dans toutes les circonstances, et de lourdes peines de prison sont prononcées à l’encontre des femmes accusées d’avoir mis fin à leur grossesse», soulignait Amnesty International dans un rapport publié en 2014.
Un électrochoc nommé Zika
De plus, de nombreuses femmes enceintes qui ont des problèmes liés à leur état sont systématiquement emprisonnées au motif qu’elles ont tenté d’avorter. «Le Salvador adopte l'approche "coupable jusqu'à preuve du contraire" lorsqu'il s'agit des femmes qui souffrent de complications liées à la grossesse : cela coûte la vie à nombre d'entre elles, en conduit certaines à passer jusqu'à 40 ans en prison et crée un climat de peur parmi les médecins et les patientes. Il est grand temps que le Salvador abolisse cette interdiction d'un autre âge», dénonçait en novembre 2015 Astrid Valencia, chercheuse sur l'Amérique centrale à Amnesty International.
De son côté, l’association salvadorienne Agrupación Ciudadana por la Despenalización del Aborto (Citoyens pour la décriminalisation de l’avortement) espère, selon Newsweek, que la panique causée par la propagation du virus va donner lieu à un débat «sérieux (et) scientifique». Pour d’autres, ajoute le magazine américain, l’épidémie pourrait avoir le même effet que celui de la rubéole aux Etats-Unis sur la question de l’avortement dans les années 60. A cause de la maladie, les femmes donnaient alors naissance à des bébés qui souffraient de malformations.
Au Brésil, pays le plus touché en Amérique Latine (1,5 million de personnes ont été contaminées, 404 cas de bébés nés avec une microcéphalie depuis octobre 2015 ont été répertoriés), le mouvement est en marche. Un groupe de militantes, avocats et médecins compte saisir la Cour suprême afin qu'elle autorise l'avortement dans des cas de microcéphalie et quand des femmes enceintes ayant attrapé le Zika ne veulent pas mener à terme leur grossesse. La loi brésilienne ne permet d'avorter qu'en cas de viol, quand la vie de la mère est en danger ou dans le cas de foetus acéphales (sans cerveau).
Mais avec l'épidémie, les Brésiliennes n'hésitent plus à enfreindre la loi selon l'agence de presse Belga. «De plus en plus de femmes ont recours à l'avortement au Brésil depuis le début de l'épidémie de virus Zika qui frappe le pays, rapporte le journal Folha de Sao Paulo. Le quotidien a interrogé plusieurs médecins qui lui ont indiqué que de nombreuses femmes ayant contracté le virus demandent une interruption volontaire de grossesse». Entre 800.000 et un million de femmes avorteraient chaque année dans la clandestinité, selon Euronews.
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