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Brésil: Lula peut-il encore sauver le soldat Rousseff?

La nomination de son prédécesseur au sein du gouvernement était censée sauver la présidence de Dilma Rousseff menacée de destitution. La diffusion d'une écoute téléphonique le 16 mars 2016 tend à démontrer que la manœuvre visait à éviter la prison à Luiz Inacio Lula da Silva, éclaboussé par le scandale Petrobras. Dix ans après, les affaires semblent avoir rattrapé l'icône de la gauche.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
L'ancien président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva essuie ses larmes alors qu'il assiste à une rencontre organisée par des membres du Parti des travailleurs (PT) à Sao Paulo (Brésil) le 4 mars 2016. Quelques heures plus tôt, il avait été brièvement détenu par la police pour être interrogé dans le cadre d'un scandale de corruption impliquant le pétrolier Petrobras.  


 (NELSON ALMEIDA / AFP)

Lula et Dilma Rousseff peuvent-ils encore se sauver mutuellement, et au passage le Parti des travailleurs (PT, à gauche et au pouvoir), longtemps considéré comme la figure d'une gauche latino-américaine triomphante? Quelques heures après la nomination de l'ancien brésilien Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) au poste de ministre de la Casa Civil (équivalent d'un Premier ministre ou d'un chef de cabinet) mercredi 16 mars 2016, un enregistrement embarrassant était diffusé. On y entend la présidente dire à son prédécesseur qu'elle lui fera parvenir rapidement son décret de nomination. Elle ajoute, rapporte l'AFP: «Ne t'en sers qu'en cas de nécessité». 

Lula a été interpellé le 4 mars 2016 par le juge Moro qui est à l'origine de la diffusion de l'écoute télephonique. Il est accusé de corruption et de blanchiment d'argent dans le cadre du scandale Petrobras, «un système de corruption systématique au sein de marchés conclus entre la société pétrolière contrôlée par l'État et 16 grandes entreprises, le plus souvent actives dans le secteur de la construction», indique l'agence belge Belga.

«Des commissions de 1 à 3% étaient reversés à des mandataires politiques lors de chaque contrat. L'enquête a d'abord ciblé des cadres subalternes du PT et des autres partis brésiliens, mais s'est rapproché au cours des derniers mois de l'actuel chef de l'État Dilma Rousseff et de son prédécesseur Lula da Silva».

«Quand un pauvre vole, il va en prison. Quand un riche vole, il devient ministre»
La nouvelle fonction de l'ancien ouvrier metallurgiste lui permet d'échapper à une éventuelle incarcération. «Les ministres ne peuvent en effet répondre pénalement de leur actes que  devant le Tribunal suprême fédéral (STF), en charge du dossier politique de l'affaire», précise l'AFP. Mais un juge de Sao Paulo a ordonné jeudi 17 mars 2016 la suspension de l'entrée au gouvernement de l'ex-président, «y voyant une possible entrave à la justice de la part de la présidente Dilma Rousseff», quelques heures après sa prise de fonction. . 

De nombreux Brésiliens sont descendus dans la rue dans la soirée du 16 mars 2016 pour exprimer leur indignation face à ce qu'ils considèrent être la preuve d'une manoeuvre politique pour éviter la prison à l'icône de la gauche brésilienne. Ils avaient déjà exprimé leur réprobation face à cette option, qu'avait un temps rejetée Lula, sur les réseaux sociaux. «Quand un pauvre vole, il va en prison. Quand un riche vole, il devient ministre», a twitté un internaute en reprenant une déclaration faite par Lula en 1988, rapporte Courrier InternationalPourtant, quelques jours plus tôt, une source gouvernementale confiait à l'AFP : «L'intention est d'aider la présidente à faire face à la procédure d'impeachment et "pas d'échapper à la justice"».

 
L'ex-président Lula avec son héritière politique Dilma Rousseff au congrès du Parti des travailleurs qui se tenait à Salvador (Etat de Bahia) en juin 2015, huit mois après sa difficile réélection. (RICARDO STUCKERT / INSTITUTO LULA / AFP)

Mission avortée? 
«Lula est considéré par la gauche au pouvoir comme la seule figure capable de sauver le mandat de (Dilma Rousseff), acculée par la crise politique majeure qui paralyse le Brésil, au beau milieu d'une sévère récession économique et des rebondissements dévastateurs de l'enquête sur les détournements de fonds au sein du géant pétrolier étatique Petrobras», explique l'AFP.

Sa mission: «peser de tout son poids politique pour tenter d'éloigner la menace de destitution qui pèse chaque jour plus lourdement sur Mme Rousseff». «L'arrivée de Lula va renforcer mon gouvernement», se félicitait la présidente brésilienne avant la publication de l'enregistrement compromettant. 

Plus de trois millions de Brésiliens ont encore réclamé son départ dimanche 13 mars 2016 à l'appel de l'opposition. Celle-ci accuse le pouvoir «d'avoir sciemment maquillé les comptes publics de l'Etat en 2014, en pleine campagne électorale pour minimiser l'ampleur des déficits et favoriser la réélection de la présidente». Les manifestants, majoritairement issus de la classe moyenne, ont également demandé l'incarcération de son prédécesseur.

«Au lieu de donner des explications et d'assumer ses responsabilités, l'ex-président Lula a préféré fuir (la justice ordinaire, NDLR) par la porte de derrière», dixit le député Antonio Imbassahy, chef du groupe parlementaire du Parti sociale-démocrate brésilien (PSDB, centre-droit), la principale formation de l'opposition, cité par l'AFP. «C'est un aveu de culpabilité et une gifle à la société. La présidente, en l'invitant, se fait son complice. Le chapitre final de cette histoire sera la destitution (de Dilma Rousseff)»

Manifestation contre le gouvernement brésilien à proximité du palais présidentiel le 17 mars 2016, à Brasilia (Brésil). Les manifestants brandissent un panneau où on peut lire «Dehors Lula». 

 (DRESSA ANHOLETE / AFP)

Les fantômes de 2005 sont de retour
La destitution, un mot qui rappelle de mauvais souvenirs à la gauche brésilienne. La droite en avait menacé Lula pendant son deuxième mandat. Dès 2005, «l’étau se resserre sur le président Luiz Inacio “Lula” da Silva», rappelle Courrier International. «Selon l’hebdomadaire "Istoé", la crise politique liée aux scandales financiers qui secouent le Parti des travailleurs a entraîné “une nette baisse de popularité du président brésilien, ainsi qu’une chute des intentions de vote pour sa réélection en 2006”. (Elle) a commencé avec la dénonciation, début juin, d’un système d’achat de votes de députés. L’enquête parlementaire et policière a mis au jour l’existence d’une caisse noire du PT, de quelque 20 millions d’euros. La crise a provoqué la destitution de plusieurs dirigeants d’entreprises d’Etat, ainsi que la démission du ministre José Dirceu (chef de cabinet de Lula et orchestrateur de son triomphe électoral en 2002, NDLR)»

L'ouvrier métallurgiste, devenu chef d'Etat, finira par présenter ses excuses le 11 août 2005 au nom de son gouvernement et du PT sur les antennes de la télévision nationale.Il se dira «trahi par des pratiques inacceptables» dont «(il) n'avai(t) pas conscience» et fera montre de sa détermination à «sanctionner tous les corrompus». 

«Selon différents analystes, Lula, dont l’image de leader ouvrier a été forgée dans les luttes contre la dictature, qui lui avaient valu de la prison, prend aujourd’hui le visage d’une gauche qui, au pouvoir, assume les règles d’un système corrupteur (jusqu'ici considéré comme étant la signature de la droite, NDLR)», constatait Jesus Ramirez Cuvas en aôut 2005 sur le site du Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine (Risal).

«Les principaux commentateurs politiques et dirigeants sociaux (et Lula lui-même) soutiennent que l’argent illégal utilisé pour financer les campagnes politiques au Brésil est un mal endémique du système électoral. Le problème est qu’aujourd’hui, il implique le premier gouvernement de gauche de l’histoire du pays.»

Ces affaires n'empêcheront pourtant pas l'idole des favelas d'être réélu en 2006 avec plus de 60% des suffrages exprimés, soit dans les mêmes proportions que pour sa première élection en 2002. Après trois tentatives, il avait enfin réussi à faire basculer le pouvoir à gauche. «Il s'agit de la poussée inédite, analyse Candido Mendes dans son essai Lula et l'autre Brésil, dans toute la périphérie mondiale d'un parti différent au pouvoir. Cette nouvelle force provient d'organisations politiques formées de toutes sortes de défavorisées, et a eu pour socle des syndicats ouvriers de Sao Paulo. Elle rassemble les structures les plus organisées du travail, autour du grand complexe des industries lourdes, là où se situe le chantier par excellence de la transformation sociale brésilienne».

 


L'estime que les compatriotes de Lula lui vouent ne sera jamais vraiment démentie pendant son règne. A quelques jours de céder le pouvoir à Dilma Rousseff, sa popularité bat encore des records et atteint les 87% d'opinions favorables, selon un sondage de l'institut Ibope publié en décembre 2010. Ce plébiscite, le «fils du peuple » issu d'une famille pauvre des campagnes de l'État de Pernambuco (région Nordeste) le doit surtout à sa politique sociale. 

Plébiscité par les plus défavorisés
«La lutte contre la faim et l’extrême pauvreté se (trouvait) au coeur du programme social du premier gouvernement Lula. Le projet Fome Zero (Faim Zero) dont l’ambition, selon les propres mots du président Lula, (était) de permettre à "tous les Brésiliens d’avoir accès à trois repas par jour", (constituait) l’épine dorsale de sa politique sociale. Et le programme Bolsa Família (Bourse famille) en (était) le volet principal (une allocation versée aux mères de famille des foyers les plus défavorisés, conditionnée à la scolarisation des enfants et à leur suivi médical)», explique l'historien et sociologue Laurent Delcourt, chercheur au Centre tri-continental (Cetri).

Résultat: «cette politique sociale a construit le prestige de Lula et lui a permis d'être réélu en 2006. Des millions de personnes sont sorties de l'extrême pauvreté, voire ont pu accéder à la classe moyenne, qui rassemble désormais plus de 53% de la population, contre 43% en 2003», soulignait Francisco Menezes, économiste et ancien président du Conseil national de la sécurité alimentaire dans les colonnes de la revue Alternatives économiques



L'ancien syndicaliste poursuivra sa politique sociale durant son second mandat. Elle sera marquée par un autre programme «phare». La mission de Territorios da Cidadania (Territoires de la citoyenneté), lancé en 2007, est de «combler le retard des régions les plus pauvres du pays)», indique Laurent DelcourtAu terme de huit années de présidence et en dépit des virulentes critiques sur sa politique néolibérale, le tropisme social de Lula aura permis de lutter efficacement contre la pauvreté. 

«On (estimait) en 2009 que près de 20 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté suite à la mise en œuvre de cette politique, note une enquête de l'association Inter-Réseaux. La pauvreté concernait 15,4% des Brésiliens en 2009 contre 27, 8% en 1999. Le pays a ainsi réussi à atteindre l’Objectif du millénaire du développement de diminuer de 50% la pauvreté.» 

Cependant, la précarité est toujours d'actualité et la crise est toujours là. Aujourd'hui, elle réduit les marges de manoeuvre de Dilma Rousseff qui peine à faire adopter son programme d'austérité aux députés. En 2015, le PIB du Brésil a baissé de 3,8%, le plus fort recul en un quart de siècle. La situation rend les Brésiliens de plus en plus allergiques à la corruption. Il n'est donc pas certain que le duo Lula-Rousseff soit le plus à même d'amadouer les Brésiliens pour qu'ils offrent une nouvelle chance au PT et que le pays reste aux mains de la gauche. Du moins ce qu'il en reste. 

En piste pour 2018
Le PT estime que l'arrestation spectaculaire de Lula est un moyen de l'empêcher de faire son retour en politique, une possibilité qu'il avait déjà envisagée quelques années plus tôt. «Cette décision très particulière de la justice brésilienne à l’égard de l’ancien président Lula peut avoir cette intention cachée et la conséquence, non pas de déstabiliser le gouvernement actuel de la présidence de Dilma Roussef en situation de paralysie politique et économique depuis plusieurs mois, mais d’empêcher la possibilité pour le PT de présenter la candidature de Lula aux élections présidentielles de 2018», analyse Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). 

«L’arrestation de Lula a été un électrochoc pour le PT qui désormais se mobilise, dénonce la pratique des grands groupes et des médias brésiliens qui annoncent la fin du PT, et va probablement précipiter l’annonce d’une candidature de l’ex-président pour les présidentielles de 2018». C'est d'ailleurs pendant son audition du 4 mars 2016 que Lula a de nouveau fait part de ses ambitionnes présidentielles. «Je suis un petit vieux. Je voulais me reposer. Mais je vais être candidat à la présidence en 2018, parce que si on me cherche, on va me trouver», aurait-il lancé aux enquêteurs, rapporte la Belga. Mais le mythe Lula survivra-t-il à ce tsunami politico-judiciaire?
 






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