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Les éditeurs des auteurs dissidents de Hong Kong tentés de se réfugier à Taïwan

La nouvelle loi sur la sécurité imposée par Pékin à Hong Kong fait aussi trembler le secteur du livre de l'ex-colonie britannique

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le libraire et ex-éditeur chinois Lam Wing-kee  en 2019 dans sa librairie de Tapei, capitale de Taïwan, où il s'est réfugié après les menaces d'extradictions annoncées par les autorités hong-kongaises. (SAM YEH / AFP)

Après avoir été longtemps un refuge pour les écrivains et intellectuels cherchant à échapper au contrôle du pouvoir central chinois, Hong-Kong pourrait être abandonné par ces auteurs, de plus en plus tentés d'être publiés à Taïwan, afin d'éviter censure et poursuites, suite à la nouvelle loi sur la sécurité imposée par Pékin.

Menaces en abîme

Le statut à part de Hong Kong est menacé par la reprise en main du territoire par Pékin, qui a imposé fin juin à sa région semi-autonome une loi draconienne sur la sécurité nationale, censée réprimer notamment la subversion. Très vaguement formulé, le texte ne définit pas clairement ce qui serait subversif, laissant auteurs et maisons d'édition dans l'incertitude.

"Les grandes maisons d'édition et les imprimeurs n'osent plus toucher un projet comme le nôtre", dénonce Woody, membre d'un collectifs de journalistes qui ont compilé dans un projet de livre une série d'interviews de témoins du mouvement de contestation de la tutelle chinoise qui a ébranlé Hong Kong pendant plusieurs mois en 2019.

Les auteurs doivent désormais revoir l'ensemble du contenu de cet ouvrage, intitulé Our Last Evolution, et trois ont déjà demandé des modifications. "Pour le reste, ce n'est pas qu'ils n'ont pas peur. Mais ils ne savent pas ce dont ils doivent s'inquiéter", relève-t-il.

Le cas Lam Wing-kee

Le pouvoir central chinois n'a jamais caché son hostilité à l'égard des livres irrévérencieux qui sortent des imprimeries hongkongaises. Personne à Hong Kong n'a oublié la mésaventure des cinq employés de la maison d'édition Mighty Current, spécialisée dans les titres salaces sur la vie privée des dirigeants chinois et les intrigues politiques au sommet du pouvoir, qui avaient "disparu" fin 2015 avant de réapparaître quelques mois plus tard en Chine aux mains de la police.

L'un, Lam Wing-kee, avait été autorisé à rentrer dans l'ancienne colonie au bout de huit mois à condition de récupérer un disque dur contenant la liste des clients de la librairie et de rentrer en Chine. Au lieu de quoi, il avait convoqué une conférence de presse pour livrer des révélations explosives sur ce qui lui était arrivé quand il s'était rendu en Chine. En 2019, il s'est exilé à Taipei où il a ouvert une librairie en avril.

Épuration

Le climat de peur n'a fait que s'aggraver avec la loi sur la sécurité. Bibliothèques et écoles ont reçu pour consigne de revoir leurs collections et de retirer les titres susceptibles de tomber sous le coup de la loi, et notamment les écrits de militants prodémocratie comme Joshua Wong.

Breakazine, trimestriel sur les problèmes sociaux de Hong Kong, a annulé son numéro de juillet et suspendu la préparation de celui d'octobre, faisant état d'"incertitudes" quant à la nouvelle législation.

L'histoire se répète à l'envers

La réponse, estiment certains, se nomme Taïwan, une île qui mène sa propre politique malgré la menace de la Chine, qui la considère comme partie intégrante de son territoire. Liu Gi, un éditeur basé à Taipei, explique que de plus en plus d'auteurs hongkongais frappent à sa porte, et notamment le collectif derrière Our Last Evolution, venu se renseigner dès juin, avant même l'entrée en vigueur de la loi sur la sécurité.

Patron des éditions Alone Publishing, Liu voit un renversement de l'histoire assez ironique : "quand Taïwan était sous loi martiale, les livres interdits ici étaient publiés à Hong Kong puis ramenés en contrebande à Taïwan." "L'histoire se répète, mais à l'envers", observe-t-il.Il cite l'exemple d'un livre intitulé Umbrella Uprising, sur l'art des manifestations, dont les 1 500 exemplaires ont été envoyés à Taïwan en juillet.

Taïwan n'est pas la panacée

"C'est juste plus sûr en matière de gestion des stocks et du processus d'édition", confie simplement de Londres à l'AFP l'éditeur du livre, Jeffrey Choy, très prudent. "Il vaut mieux pour moi que je n'en dise pas plus." Mais Taïwan ne présente pas non plus toutes les garanties. Liu Gi, qui dirige l'Alliance des éditeurs indépendants de Taïwan, observe que les ouvrages sur les manifestations à Hong Kong n'ont pas non plus inondé le marché local car beaucoup de maisons d'édition taïwanaises présentes à l'international redoutent les représailles de Pékin.

"C'est peut-être plus facile pour les maisons d'édition petites et indépendantes comme la mienne car pour nous, tant que nous joignons les deux bouts, tout va bien", explique-t-il. "Les grandes maisons d'édition peuvent s'inquiéter d'être privés des marchés hongkongais et chinois s'ils publient ces livres." Il cherche désormais un canal pour renvoyer ces ouvrages à Hong Kong : "Les maisons d'édition de Taïwan ont une responsabilité pour aider à sauver les voix hongkongaises libres."

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