: Interview Séisme au Tibet : "Il y a un manque de transparence évident sur la gestion de la crise", alerte une ONG
Le 7 janvier dernier, le Tibet était frappé par un séisme d'une magnitude entre 6.8 et 7.1 sur l'échelle de Richter selon les instituts. Très vite, les autorités ont parlé d'au moins 126 morts et de milliers de bâtiments détruits. Des vidéos publiées par la télévision publique chinoise ont montré des secouristes en train d'extraire des blessés des décombres dans cette région où les températures descendent en dessous du zéro degré. Le lieu touché est situé en haute altitude sur un haut plateau situé à une altitude moyenne d'environ 4 500 mètres, non loin du versant chinois de l'Everest. Il s'agit du canton de Tingri qui compte environ 62 000 habitants.
franceinfo : Les autorités chinoises semblent verrouiller information et communication comme elles le font toujours pour tout ce qui vient de la région du Dalaï Lama ?
Vincent Metten : On est tributaire des chiffres des autorités chinoises sur le nombre de victimes qui restent effectivement étrangement stables depuis une semaine. Nous n'avons pas d'information complémentaire qui peut dire que ce bilan a changé. Et effectivement, il fait très froid sur place, avec des températures négatives, donc c'est étonnant que le bilan n'ait pas été modifié. C'est toujours le même problème en Chine, celui de la communication. Il y a un manque de transparence évident sur la gestion de la crise.
Cela n'a rien d'étonnant, parce que les autorités chinoises sont très réticentes et refusent qu'il y ait un accès sur place ou des informations qui soient données sur le Tibet. On sait que les journalistes sont dans l'impossibilité de se rendre au Tibet, cela est valable aussi pour les diplomates ou autres observateurs internationaux. Donc personne n'est en mesure vraiment de dire si ce chiffre de 126 victimes doit être ou non revu à la hausse.
Comment explique-t-on cela, car dans le cas présent, c'est-à-dire un tremblement de terre, la responsabilité de la Chine n'est pas impliquée ?
C'est toujours la même politique, c'est-à-dire une politique de contrôle absolu de la région par la Chine. Et pour avoir ce contrôle absolu, cela passe par empêcher l'accès à une assistance étrangère. En résumé, les autorités ne veulent qu'aucune puissance étrangère, qu'aucune aide aux civils ne puissent venir "s'immiscer" dans les affaires intérieures chinoise. C'est ce qu'ils disent eux. Donc cela passe par l'opacité de l'information, et c'est une tendance lourde de la Chine, notamment depuis Xi Jinping, pour gérer à leur manière, sans aucune interférence, tout ce qui se passe au Tibet. C'est vraiment une tendance lourde que l'on voit surtout depuis que Xi Jinping est au pouvoir.
Comment vous expliquez le fait que la Chine n'ait pas répondu à l'offre d'aide de la France ?
Je pense que les offres d'aides sont précieuses et devraient être acceptées. Il faut qu'il y ait une ouverture de nouveau du Tibet aux aides extérieures et qu'on puisse prêter main forte et évaluer la situation. Il y a plein de pays dans le monde qui ont des capacités civilo-militaires pour aider les populations, qui ont des capacités de recherche, d'aide, du matériel, etc. Donc la Chine aurait, pour le bien-être de la population tibétaine, intérêt à accepter cette aide.
Je pense qu'ici, il y a des choses, disons les considérations politiques de Pékin, qui prennent le pas et qui dominent sur la transparence et sur le soutien aux populations. International campaign for Tibet a demandé aux gouvernements de pays européens, notamment à la Belgique, à des pays du Nord, aux Britanniques, de proposer leur assistance afin de montrer qu'ils sont préoccupés par la situation.
"Le drame qui se déroule au Tibet se passe à huis clos."
Vincent Metten, de l’ONG International campaign for Tibet (ICT).à franceinfo
En 2010, déjà, il y a déjà eu un tremblement de terre à Yushu, dans une autre région du Tibet qui avait fait 3 000 morts, et ce qu'on a vu, c'est que les Tibétains ont été complètement marginalisés de l'aide. On a aussi des allégations de corruption, de détournement de fonds qui sont appliqués aux officiels sur place. Et puis il y a eu des déplacements de populations qui ont été touchés par le séisme, dont les maisons ont été détruites. Ce qu'on souhaite, c'est que les leçons du passé ne soient pas reproduites et qu'on tire des enseignements de cette gestion passée.
Il faut impliquer les Tibétains dans la gestion de l'aide, il faut une ouverture à l'aide internationale et aussi que la diaspora tibétaine à l'étranger ait accès à l'information et puisse aussi communiquer avec leurs familles et leurs amis sur place, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il s’agit pour eux de savoir, par exemple, est-ce que telle personne de telle région est toujours vivante ou a été blessée ? On voit que la gestion de la crise est quand même très opaque et très problématique.
Ce que vous nous dites, c'est que les autorités chinoises utilisent les tremblements de terre pour continuer d'opprimer différemment les Tibétains ?
Je pense qu'il y a deux poids, deux mesures. Les autorités chinoises laissent penser en diffusant les images du tremblement de terre qu'elles interviennent, qu'elles envoient de l'aide et des secours, ce qui est le cas. On ne nie pas cela, mais de l'autre côté, elles n'impliquent pas du tout la population locale. Elles profitent parfois de ces situations d’urgence pour continuer à développer leur plan économique ou leur plan d'aménagement du Tibet afin de déplacer les nomades dans d'autres régions ou de reconstruire, parfois, des villes ou des villages, avec des normes qui ne respectent pas le patrimoine du pays et la culture tibétaine.
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