Le plan de la Chine pour devenir une superpuissance du football
Depuis le début de l'année, de nombreux très bons joueurs quittent leurs prestigieux clubs européens pour évoluer dans la Chinese Super League, avec de gros chèques à la clé.
Peu de gens l'avaient vu venir. Cet hiver, la Chine a affolé les compteurs de la planète football, en dépensant plus que la Premier League anglaise lors du mercato. Dans ses filets, des joueurs connus, et surtout au sommet de leur art, comme Ramires (28 ans, Chelsea), Jackson Martinez (29 ans, Atlético Madrid), et maintenant Ezequiel Lavezzi (30 ans, PSG), qui a signé mercredi 17 février au Heibei China Fortune. En attendant peut-être Zlatan Ibrahimovic (34 ans, PSG) ou Yaya Touré (32 ans, Manchester City) l'été prochain...
Et l'exode des footballeurs vers l'Empire du milieu n'est pas terminé, le mercato s'achevant là-bas le 26 février. C'est la première phase d'un plan mûri au sommet de l'Etat pour débarrasser le football chinois de son image de tigre de papier.
Rendre (enfin) le championnat chinois intéressant
Etape n°1 dans le plan en 50 points concocté par Xi Jinping, le président chinois : disposer d'un championnat digne de ce nom. Dans un passé récent, les équipes chinoises évoluaient dans des stades vides, les amateurs de foot se massant dans les bars pour regarder la Premier League ou la Liga espagnole. Des images qui appartiennent au passé : l'affluence moyenne dans les stades de la Chinese Super League (CSL) tourne autour de 20 000 personnes, comme en Ligue 1. Le Beijing Guoan, un club de Pékin, a reçu 42 000 demandes d'abonnements... alors que son stade ne fait que 27 000 places, note le Guardian (en anglais).
Le modèle de développement retenu se rapproche de celui mis en place par les gros clubs russes et ukrainiens :
1) Acheter massivement du bon joueur brésilien dans la force de l'âge (22 évoluent actuellement en CSL).
2) Profiter de sa puissance économique pour piller des marchés plus faibles. Les Corinthians, sacrés champions du Brésil, ont ainsi perdu ces dernières semaines quatre titulaires, partis monnayer leurs talents en Chine.
"Les Chinois nous ont niqués", résume crûment Tite, l'entraîneur du club auriverde, qui va avoir, du coup, du mal à défendre son titre, cité dans le Daily Telegraph. Pour attirer les bons joueurs, la Chine doit les surpayer : l'étude "Global Sports Salaries" de Sports Intelligence montre que la CSL est le 12e hampionnat en terme de salaires, tous sports confondus. Deux rangs derrière la Ligue 1. Cette folie dépensière ne se limite pas à l'élite : la deuxième division chinoise figure au troisième rang des championnats où on a le plus dépensé cet hiver. Devant la L1, la Liga espagnole ou la Bundesliga allemande...
Impliquer les businessmen du pays
Les dix plus gros entrepreneurs chinois ont tous acheté un club du championnat. Quand Alibaba, géant du commerce en ligne, s'offre 50% des parts du Guangzhou Evergrande, son président, Jack Ma, avoue pourtant "ne pas comprendre grand chose au football". Mais "chez Alibaba, notre stratégie, c'est la santé et le bonheur. Investir dans le foot, c'est investir dans le bonheur", poursuit-il cité, par Bloomberg.
L'Etat a aussi mis la main à la poche pour accroître la compétitivité du championnat. Ainsi, le Shanghai SIPG a connu une ascension fulgurante en dix ans d'existence, bien aidé par un investissement massif de l'Etat. Comment expliquer autrement que les droits télé soient passés de 7 millions de dollars pour la saison 2014-2015... à 140 millions pour l'exercice 2015-2016 ? La facture est payée, sans sourciller, par China Media Capital, sorte de Canal+ chinois appuyé par l'Etat. "C'est encore très abordable par rapport aux tarifs de la Premier League ou de la NBA, minimise Li Ruigang, le patron de la chaîne à Forbes. Cet argent permettra à nos clubs de renouveler leurs équipements ou d'améliorer leur management pour amorcer un cercle vertueux."
Investir massivement dans le foot européen
Cet afflux d'argent chinois ne sert pas qu'à rameuter de bons joueurs en Chine. Nombre d'hommes d'affaires chinois ont commencé à investir à l'étranger. Si l'on excepte le cas du FC Sochaux et de son investisseur fantôme, le but est d'opérer un transfert de compétences en Chine. Actuellement, deux équipes européennes appartiennent à 100% à un groupe chinois, Sochaux, donc, et le Slavia Prague. Mais ce chiffre va rapidement augmenter, à en croire Alexander Jarvis, président du fonds Blackbridge Cross Borders. Six autres rachats sont sur les rails pour 2016, explique-t-il à CNBC.
Les grands clubs européens ne peuvent dire non aux businessmen chinois. Le Wanda Group achète 20% de l'Atlético Madrid ? En échange, le club madrilène s'engage à ouvrir des centres de formation en Chine, et à y effectuer sa tournée d'été. "Si cinq joueurs chinois évoluent dans l'élite européenne un jour, Wanda n'aura pas gaspillé son argent", énonce clairement le patron du groupe, Wang Jianlin sur Bloomberg.
Même le richissime Manchester City, propriété du milliardaire émirati cheikh Mansour, n'a pas craché sur les montagnes de yuans. Deux sociétés quasi-étatiques ont acquis 13% du capital du club anglais... La visite d'Etat de Xi Jinping sur le terrain d'entraînement était comprise dans le package... et s'est terminée par un selfie avec l'attaquant argentin Sergio Agüero et le Premier ministre britannique, David Cameron.
.@aguerosergiokun: "Thank you for the selfie, President Xi ! #CFAStateVisit pic.twitter.com/4du2zIaacY
— Manchester City FC (@MCFC) 23 Octobre 2015
Fabriquer une équipe "made in China" digne de ce nom
La Chine compte 1,3 milliard d'habitants, mais jusqu'à présent, très peu jouaient au football (137 000 licenciés) en 2014, soit le taux ridicule de 0,01% de la population). Le badminton ou le cyclisme font plus rêver. Ce sera bientôt de l'histoire ancienne. Le plan de Xi Jinping prévoit de rendre le football obligatoire à l'école, et de créer 50 000 académies de foot en quelques années. Le centre de formation du Guangzhou Evergrand accueille ainsi... 3 000 enfants. Comme disait Deng Xiaoping, président de la Chine de 1978 à 1992 - fan de foot au point d'avoir regardé 50 des 52 matchs du Mondial italien en 1990 malgré un décalage horaire défavorable - "l'ouverture de la Chine au football doit commencer par les enfants".
L'effort est, d'ores et déjà, calibré pour se concentrer sur les faiblesses du pays : les gardiens de but locaux étant considérés trop faibles, aucun club n'a le droit d'acheter un portier étranger. Une manière, autoritaire, d'encourager la formation. Et pour roder ses troupes hors des frontières, la Chine ne fait pas dans la dentelle. Le contrat de sponsoring passé entre la D2 portugaise et l'entreprise chinoise de leds Ledman prévoit la présence obligatoire d'un joueur chinois dans plusieurs équipes du championnat... à moins que le syndicat des joueurs s'y oppose.
Crazy. Chinese multinational Ledman sponsor Portuguese 2nd tier. Mandatory inclusion of Chinese players in 10 teams. pic.twitter.com/8dLGWjI7Fq
— Tom Kundert (@PortuGoal1) 26 Janvier 2016
Diversifier l'économie du pays
Le plan de Xi Jinping ne se résume pas à une liste de bonnes résolutions, mais comporte aussi un aspect sonnant et trébuchant. D'ici à 2025, le football doit représenter environ 1% du PIB du pays, soit 850 milliards de dollars. Le double de ce que le ballon rond représente à l'heure actuelle.
Comme l'explique Chris Atkins, spécialiste de l'économie chinoise, au Telegraph : "Le gouvernement tient à établir une économie plus équilibrée, moins dépendante de l'industrie. De ce point de vue, le sport et le divertissement sont vus comme des secteurs où il faut investir."
Accueillir (et gagner) la Coupe du monde 2030
Point d'orgue du plan du Xi Jinping, le succès suprême lors de la Coupe du monde... qui déchaînera plus les passions qu'une nouvelle première place au tableau des médailles aux Jeux olympiques. Obtenir l'organisation du Mondial ne devrait pas poser trop de problèmes - un officiel chinois a prévenu la Fifa qu'elle recevrait un jour "une offre qu'elle ne pourra pas refuser".
En revanche, gagner la compétition s'annonce plus compliqué. Mais aligner une équipe compétitive paraît faisable. Histoire de faire taire l'ancien politologue et diplomate américain Henry Kissinger, qui ironisait, en 1986, sur l'incompatibilité entre le communisme et le football dans le Los Angeles Times : "Trop de planification stéréotypée détruit la créativité indispensable pour briller en football." Rendez-vous en 2030.
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