Opération militaire autour de Taïwan : "Il faut prendre les menaces de Pékin au sérieux", prévient un spécialiste de la Chine
Pékin a présenté ces manœuvres comme un exercice "d'encerclement total". La Chine a mis fin, lundi 10 avril, à l'opération menée autour de Taïwan, organisées en représailles à la rencontre entre la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, et le président de la Chambre américaine des représentants, Kevin McCarthy, près de Los Angeles, le 29 mars.
A l'issue de ce troisième et dernier jour de démonstration, le commandement militaire chinois affirme avoir "testé de manière approfondie sa capacité de combat" interarmées "en conditions réelles". Les autorités de Taïwan, territoire qui compte 23 millions d'habitants, disent avoir détecté lundi 12 navires de guerre et 91 avions chinois autour de l'île. Les jours précédents, appuyés par l'un des deux porte-avions de la Chine, ces appareils militaires avaient simulé des bombardements ciblés contre l'île.
"Nous ne sommes pas sur quelque chose d'anodin", assure Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Le spécialiste de la Chine met en perspective pour franceinfo cette opération baptisée "Joint Sword" ("Epée unie") par Pékin.
La Chine avait déjà mené, en août 2022, des manœuvres d'une ampleur inédite autour de Taïwan lors de la visite de Nancy Pelosi. Comment jugez-vous cette nouvelle opération ?
Antoine Bondaz : La durée est moins importante, les actifs déployés [c'est-à-dire les navires ou encore les bateaux] sont moins nombreux. En termes de volume et d'intensité, nous sommes sur quelque chose de moindre qu'en d'août 2022. Cependant, une petite différence peut être soulignée : lundi, 54 avions chinois ont franchi la ligne médiane dans le détroit de Taïwan. C'est sans précédent. Il n'y en a jamais eu autant en une journée.
Il faut donc la considérer comme importante ?
Bien sûr. Cela reste sérieux parce que c'est toujours le même type d'exercice : simuler un blocus de l'île. Nous ne sommes pas sur quelque chose d'anodin, il ne s'agit pas simplement d'une démonstration des capacités chinoises. Nous parlons d'une démonstration des capacités opérationnelles de la Chine sur un scénario spécifique : la réalisation d'un blocus. C'est important de montrer que l'on a des capacités, mais c'est encore plus important de montrer que l'on sait s'en servir.
Quel message la Chine souhaite-t-elle envoyer ?
En parallèle de l'effort militaire, il y a un effort informationnel, fondamental, qui vise à intimider la population taïwanaise. Mais celle-ci s'en moque, elle a l'habitude. L'objectif est également d'impressionner les partenaires de Taïwan, en envoyant un message qui dit que cela ne sert à rien d'aider Taïwan. Cela concerne surtout les Etats-Unis mais également le Japon.
Il faut quand même réaliser la situation : vous avez des médias d'Etat chinois – on ne parle pas d'une personne sur son blog ou sur les réseaux sociaux – qui diffusent des images de synthèse simulant des exercices autour et sur l'île de Taïwan. Si la Russie avait simulé, avant la guerre en Ukraine, dans une petite vidéo, des frappes sur l'Ukraine, cela aurait fait scandale. Là, on se dit que "c'est une simulation, cela ne veut rien dire". Alors que si : ce sont des médias d'Etat, c'est un message officiel.
Et quel est le message à destination des Chinois ?
Il est de dire que la Chine est puissante. Il flatte le nationalisme chinois. Ce qui est assez fou, c'est de le faire en mettant en scène une guerre. Généralement, pour montrer ses capacités, on montre ses navires, etc. Là, c'est la mise en scène de frappes sur un autre pays. Il ne faut pas que l'on s'habitue à cela, côté européen.
Emmanuel Macron ne veut pas "être suiviste" des Etats-Unis et de la Chine, estimant que "l'accumulation des tensions" pourrait conduire "au suraccident". Ce risque est-il élevé ?
Evidemment qu'il y a un risque d'incident, il ne faut pas le sous-estimer. Il faut prendre les menaces au sérieux et la Chine menace Taïwan tous les jours. Il faut aussi rappeler que la Chine veut changer le statu quo et le statut de Taïwan [gouverné de fait par un pouvoir qui lui est propre, mais considéré par la Chine comme une province à réintégrer].
Le débat n'est pas : "Faut-il suivre les Américains ? Est-ce que l'on fait la guerre à la Chine ?" La question est de savoir comment nous contribuons à maintenir le statu quo et surtout à ne pas s'habituer à ce qui se passe. Il ne faut pas se satisfaire de ce changement progressif du statu quo au bénéfice de la Chine.
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