Reportage "Ce n'est pas assez pour manger" : en Chine, le tabou de la grande pauvreté

Officiellement, la grande pauvreté a disparu depuis 2020 en Chine. Mais dans les faits, une partie de la population continue de vivre dans des conditions très précaires, notamment dans les campagnes.
Article rédigé par Sébastien Berriot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Officiellement la grande pauvreté a disparu en Chinedepuis 2020, grâce à un énorme travail mené depuis le début des années 2010, mais une partie de la population continue en réalité de vivre très difficilement. (ICHIRO OHARA / YOMIURI)

Le régime chinois a-t-il réellement, comme il l’affirme, éradiqué l’extrême pauvreté ? D'après le discours officiel, la grande pauvreté a disparu depuis 2020, grâce à un énorme travail mené depuis le début des années 2010. Certes, le niveau de vie des Chinois s’est très nettement amélioré, mais dans le pays champion des nouvelles technologies, une partie de la population continue de vivre dans des conditions très précaires, notamment dans les campagnes.

Dans le nord du pays, le Gansu est l'une des provinces chinoises les plus pauvres. Dans l'un de ses villages situé à une soixantaine de kilomètres de la capitale provinciale Lanzhou, entre deux blocs de maison, des bruits de bêche viennent briser le silence. Le dos courbé, une femme de 72 ans est en train de travailler dans un champ avec son mari. "Je dois travailler, pour pouvoir acheter de la nourriture. Je fais du désherbage dans les champs. Si les légumes poussent bien, je gagne plus. Si la récolte des légumes n’est pas bonne, je gagne moins. Je travaille comme ça pendant quelques mois. Je gagne quelques sous, mais pas beaucoup", raconte-t-elle.

Trois euros par jour

Officiellement son village est sorti de la pauvreté depuis quatre ans. Les aides du gouvernement ont permis d’améliorer le quotidien des habitants, mais aujourd’hui, il n’y a plus de subventions et dans ce secteur de moyenne montagne très aride, les conditions de vie restent précaires. La région est traversée par une grande route nationale et une ligne ferroviaire destinée au transport marchandises, mais cela n’apporte que peu d’activités pour les populations locales.

Sur le bord de la route, quelques commerces sont installés. "Nous vivons de la terre, mais c’est difficile. Je plante des patates et du maïs, mais c’est très sec. Et le prix du maïs est bas en ce moment. J’ai aussi cette épicerie, mais ce n'est pas suffisant pour vivre. Il y a beaucoup de familles pauvres ici", témoigne un homme qui partage ses activités entre son tout petit commerce et l’agriculture.

"Officiellement, nous sommes sortis de la pauvreté mais en fait nous sommes pauvres"

Un habitant

à franceinfo

Sa voisine de 68 ans, elle, vit avec un petit peu plus de trois euros par jour. À demi-mot, elle ose elle aussi remettre en cause le discours officiel sur l’éradication de l'extrême pauvreté, grande priorité du président Xi Jinping. "Les subventions, il y a des familles plus pauvres que moi qui les touchent. Moi, non. Les familles pauvres sont classées en différents niveaux, le premier niveau pour ceux qui gagnent plus de 12 euros par mois et par personne, le deuxième niveau, plus de 9 euros par mois et le troisième niveau 6 euros. Mais nous ne sommes pas sortis de la pauvreté. C’est encore dur. Les revenus sont bas, les céréales ne poussent pas dans les champs. Je pense que si le gouvernement donnait des subventions à toutes les familles, alors nous pourrions sortir de la pauvreté", juge-t-elle.

Besoin de subventions

A quelques kilomètres de là, autre village de paysans où un couple approchant les 70 ans élève quelques moutons pour survivre.

"Si je n’avais pas ces moutons, je n’aurais pas de ressources financières. Ça me permet d’acheter des médicaments si j’ai des petites maladies, comme la migraine ou la fièvre. Ça me permet aussi de payer les frais d’électricité, et les engrais. Mais ce n’est pas assez pour manger."

Un paysan de la province du Gansu

à franceinfo

"Les gens disent que nous sommes sortis de la pauvreté, mais je ne peux plus travailler, je suis vieux. Je souhaite que le gouvernement nous donne des aides", explique-t-il.

Dans ce village, nous sommes loin des grandes usines chinoises qui exportent dans le monde entier. Mais le ralentissement de l’économie chinoise depuis le Covid se fait également ressentir, raconte le paysan de 73 ans rencontré dans le premier village : "L'économie n'est pas bonne. Il n’y a pas de boulot dans les chantiers, et même pas dans les usines du sud du pays. Du coup, les villageois restent ici. Avant, presque 40 villageois partaient travailler et seules les personnes âgées restaient ici. Cette année, ils ne sont même pas partis après le Nouvel an."

Et difficile de compter sur les retraites. Ces paysans perçoivent généralement de toutes petites pensions qui peuvent, dans certains cas dans la province du Gansu, ne pas dépasser les 113 Yuans par personne et par mois, l’équivalent de 14 euros.

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