Comment le mal du pays d'une femme d'agent double a mis en péril son travail pour les Alliés
Des documents déclassifiés révèlent que l'épouse de Juan Pujol Garcia, un agent du MI5 qui fournissait de faux renseignements aux nazis, menaçait de révéler sa couverture, mettant en péril son travail pour aider les Alliés à gagner la seconde guerre mondiale.
Il a été le plus grand agent double de la seconde guerre mondiale, mais aussi un homme marié, avec des problèmes de couple. L'Espagnol Juan Pujol Garcia travaillait dans les années 1940 pour le MI5, les services de renseignement britanniques, sous le nom de code "Garbo". Dans le même temps, il était connu sous le pseudonyme "Arabel" au sein de l'Abwehr, le service de renseignement de l'état-major allemand de 1921 à 1945.
Grâce à cette double couverture, Juan Pujol Garcia a notamment assuré le succès du débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin 1944, en faisant croire aux nazis que c'était une diversion et que le jour J allait en réalité se produire dans le Pas-de-Calais.
"Araceli Gonzalez se sentait désespérément seule"
Or, mener à bien cette mission n'a pas été simple pour Juan Pujol Garcia. Non seulement vis-à-vis des Allemands, mais aussi pour une raison plus personnelle : ses problèmes de couple. Selon des documents déclassifiés par le MI5 et mis en ligne mercredi 28 septembre sur le site des archives nationales britanniques (en anglais), sa femme, Araceli Gonzalez, avait menacé de révéler sa double couverture. Une petite histoire dans la grande histoire, digne d'un scénario de film d'espionnage.
Araceli Gonzalez était lassée de sa vie à Londres, selon le Guardian (en anglais), qui a épluché les documents exhumés. "Le couple et son fils étaient logés dans une maison du MI5 sous haute sécurité, où Araceli Gonzalez se sentait désespérément seule. Elle détestait le climat anglais. Elle était aussi dégoûtée par la nourriture britannique, se plaignant de 'trop de macaronis, trop de pommes de terre, pas assez de poisson'", raconte le quotidien britannique.
Le scénario d'une fausse incarcération
Pour éviter qu'elle ne craque, Juan Pujol Garcia décide alors de concocter un scénario, avec l'aide de son responsable au MI5, Tomas Harris. Il fait croire à sa femme qu'il a été arrêté par le MI5 à cause des menaces qu'elle a proférées. Pour rendre l'histoire crédible, une visite est organisée dans un centre d'interrogatoire des services secrets, le Camp 020, où l'espion espagnol est "enfermé". Araceli Gonzalez présente ses excuses et accepte de signer un texte promettant de ne jamais révéler l'identité de son mari, pour qu'il puisse être "libéré".
C'est Tomas Harris qui relate ces événements dans un rapport intitulé avec le plus grand sérieux : "Le mal du pays aigu de madame G.". Il précise qu'elle n'a jamais réussi à apprendre l'anglais et que son mari ne voulait pas qu'elle rencontre d'autres Espagnols à Londres, car il avait très peur qu'elle parle de son travail et que cela remonte aux oreilles de l'Abwehr.
Elle voulait rentrer en Espagne
"Son désir de rentrer dans son pays, en particulier de voir sa mère, l'a conduite à se comporter parfois de manière déséquilibrée. (...) Tandis que son état empirait, elle devenait plus désespérée et... menaçait de quitter son mari. C'est parce que cela ne produisait pas l'effet escompté qu'elle a décidé de menacer de révéler son travail pour être libre de rentrer" en Espagne, relate The Guardian. Elle aurait même menacé de se suicider. Pour éviter qu'elle "ne nourrisse de la rancœur", le MI5 a pris soin de la traiter "fermement mais avec respect" pendant la "détention" de son mari, précise Tomas Harris.
Grâce à ce mensonge, Juan Pujol Garcia a pu mener sa mission à bien et fournir un précieux coup de pouce aux Alliés. Après la guerre, il se rend en Angola, simule sa mort, et part recommencer une nouvelle vie au Venezuela, où il meurt en 1988, trois ans après écrit son autobiographie. Pour la petite histoire, lui et sa femme ont fini par se séparer. Il s'est remarié et a eu trois autres enfants.
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