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Corée du Nord : pourquoi l'état de santé de Kim Jong-un suscite-t-il de nouvelles rumeurs ?

Les spécialistes de la Corée du Nord se perdent en conjectures quant à l'état de santé de Kim Jong-un, qui n'est apparu sur aucune des photographies officielles des célébrations du "Jour du Soleil", le 15 avril.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Kim Jong-un lors d'une visite à une unité de l'armée nord-coréenne. Photo diffusée par l'agence de presse officielle du régime le 10 avril 2020. (KCNA VIA KNS / AFP)

Où est passé Kim Jong-un ? Est-il vivant ? Est-il mort ? Serait-il malade ? Les rumeurs les plus folles courent à propos de l'état de santé du dictateur nord-coréen âgé de 36 ans, depuis mi-avril. La Corée du Nord est l'un des pays les plus isolés et secrets au monde. La vie privée de Kim Jong-un est l'un des secrets les mieux gardés du régime et la santé des dirigeants est considérée comme relative à la sécurité nationale. Les spécialistes du régime de Pyongyang se perdent donc en conjectures. Franceinfo vous explique les raisons de ces spéculations.

Une absence remarquée le 15 avril

Le 15 avril, en Corée du Nord, correspond au "Jour du Soleil". Cette année, le pays célébrait le 108e anniversaire de la naissance du fondateur du régime communiste nord-coréen, Kim Il-sung, le grand-père de Kim Jong-un. Cette date est de loin la plus importante du calendrier politique à Pyongyang. Chose inhabituelle, le petit-fils n'est visible sur aucune des photographies diffusées par la presse officielle.

La dernière apparition publique de Kim Jong-un à avoir fait l'objet d'une couverture photo par les médias officiels remonte au 11 avril. Il présidait une réunion du bureau politique du parti, au sujet des mesures à mettre en œuvre contre le coronavirus.

Kim Jong-un lors d'une réunion du bureau politique du parti à Pyongyang. Photo diffusée par l'agence de presse officielle nord-coréenne le 11 avril 2020. (KCNA VIA KNS / AFP)

Les médias nord-coréens n'ont plus fait état des activités de Kim Jong-un depuis le 12 avril. L'agence officielle nord-coréenne KCNA rapportait qu'il avait assisté à des manœuvres d'avions de chasse sur une base aérienne. Deux jours plus tard, l'armée nord-coréenne procédait à plusieurs tirs de missiles de croisière à courte portée. Les médias d'Etat nord-coréens n'en ont cependant pas fait mention. Ceux-ci ont été annoncés par la Corée du Sud, toujours attentive aux activités militaires de son voisin.

Pyongyang ne dément pas

Des médias étrangers se risquent à évoquer des hypothèses, jamais confirmées. C'est le cas de Daily NK (en anglais), média en ligne géré principalement par des Nord-Coréens ayant fait défection, qui publie une information qui fait l'effet d'une bombe, mardi 21 avril. Basé à Séoul (Corée du Sud), Daily NK affirme que Kim Jong-un a été opéré le 12 avril pour des problèmes cardio-vasculaires. Après cette lourde intervention, le leader nord-coréen se trouverait en convalescence dans une villa du mont Myohyang, au nord de Pyongyang.

"La raison du traitement cardio-vasculaire urgent qu'a subi Kim était son tabagisme excessif, son obésité et sa fatigue", croit savoir Daily NK. "D'après ce que je comprends, il avait des problèmes [cardiovasculaires] depuis août dernier, mais les choses ont empiré après une série de visites au mont Paektu", écrit l'auteur de l'article. Kim Jong-un s'est rendu à deux reprises à cheval sur ce site sacré, en octobre et en décembre. Cette information, que le Daily NK dit tenir d'une source nord-coréenne anonyme, n'est confirmée par aucune autre source.

La chaîne CNN (en anglais), citant un responsable américain, rapporte que Washington "étudie des informations", selon lesquelles Kim Jong-un serait "en danger grave, après une opération chirurgicale". Sans dire si ces "informations" sont tirées de l'article de Daily NK. Un membre de l'administration américaine cité par Bloomberg (en anglais) affirme par ailleurs que la Maison Blanche a été informée de l'aggravation de l'état de santé de Kim Jong-un. Lors d'un point presse, Donald Trump a toutefois déclaré que les informations de CNN étaient "erronées" et basées sur de "vieux documents". De son côté, Pékin se refuse à tout commentaire et la présidence sud-coréenne a assuré n'avoir "rien à confirmer".

Au lendemain de ces révélations, mercredi, les médias de Pyongyang n'ont fait aucune allusion à l'état de santé de Kim Jong-un. L'agence de presse KCNA et le quotidien Rodong Sinmun, l'organe officiel du Parti du travail de Corée, se sont contentés de diffuser des dépêches et articles de routine. La télévision d'Etat n'a pas non plus bouleversé ses programmes, comme l'a signalé sur Twitter le journaliste et chercheur Martyn Williams, spécialiste de la Corée du Nord.

Des experts chinois envoyés sur place, selon Reuters

De nouvelles bribes d'informations émergent, samedi, quand l'agence Reuters révèle que la Chine, plus proche allié et premier partenaire commercial de Pyongyang, a envoyé chez son voisin une équipe composée d'experts médicaux. L'agence de presse assure tenir cette information de personnes au fait de la situation, sans pouvoir déterminer ce que cela indiquait sur l'état de santé du dirigeant nord-coréen.

Une délégation menée par un haut représentant du département de liaison internationale du Parti communiste chinois (PCC) a quitté Pékin pour la Corée du Nord, jeudi, selon deux sources de Reuters. Détail qui a son importance : ce département est le principal organe chinois chargé des relations avec le voisin nord-coréen.

Reuters n'a pour le moment obtenu aucune confirmation du département de liaison du parti, ni du ministère chinois des Affaires étrangères. L'agence n'a pas non plus été en mesure de confirmer de manière indépendante des détails sur l'état de santé de Kim, ou le lieu où il se trouvait.

Un train spécial repéré par satellite

Samedi toujours, 38 North, programme de surveillance des activités en Corée du Nord, dévoile un nouvel élément troublant. Un train appartenant vraisemblablement à Kim Jong-un a été repéré sur des photos satellites d'une station balnéaire de l'est de la Corée du Nord.

Le train apparaît sur les clichés, mardi 21 et jeudi 23 avril, dans une gare réservée à la famille Kim, précise 38 North. Le site explique que la présence de ce train "ne prouve rien quant à l'endroit où se trouve le dirigeant nord-coréen ni n'indique quoi que ce soit sur son état de santé". Toutefois, cela accréditerait "les informations selon lesquelles M. Kim se trouverait dans une zone réservée à l'élite sur la côte est", poursuit le site.

"Il n'y a aucune confirmation à ce stade et il est trop tôt pour tirer des conclusions sur son état de santé", a en outre estimé Ahn Chan-il, transfuge du Nord devenu chercheur à Séoul, cité par l'AFP. Il a relevé qu'une opération du cœur impliquait du matériel médical de pointe qui ne se trouve "que dans des établissements de Pyongyang". Il ne serait "pas raisonnable" de le transporter ailleurs pour une opération.

Une précédente "disparition" en 2014

Ce n'est pas la première fois que "l'absence" de Kim Jong-un alimente les spéculations. Par le passé, le dirigeant a déjà disparu des compte rendus de la presse officielle nord-coréenne. En 2014, il n'a pas été vu pendant six semaines, avant de réapparaître avec une canne. La télévision officielle avait diffusé des images de lui boitant. Les services de renseignements sud-coréens, cités par Yonhap, avaient affirmé qu'il avait subi l'ablation d'un kyste à la cheville.

"Personne ne sait ce qui se passe à l'intérieur de la Corée du Nord", rappelle dans un tweet le journaliste et chercheur Martyn Williams, affilié à l'institut 38 North. "Kim Jong-il était mort plusieurs jours avant que cela ne soit annoncé, et cela a pris tout le monde par surprise", relève-t-il. "Kim Jong-un a déjà été porté 'disparu', mais il est toujours réapparu. Ceci dit, son absence cette semaine était plus que notable."

"Nous ne savons rien de l'état réel de Kim Jong-un", confirme Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, qui met en garde contre les "conséquences potentielles d'une succession non préparée ou d'une longue incapacité d'un dirigeant dans un tel régime politique". "Ce serait ouvrir une boîte de Pandore", prévient-il. Même "si Kim Jong-un est juste en convalescence ou en repos à Wonsan, le régime est en train d'analyser en détail la réaction des voisins", pointe l'expert. Prudence, donc.

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