Cinq questions sur la tentative ratée du président sud-coréen Yoon Suk-yeol d'instaurer la loi martiale dans le pays

Le dirigeant a proclamé la loi martiale à la surprise générale, mardi, avant d'abroger le texte après un vote du Parlement.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Des manifestants sont réunis devant l'Assemblée nationale à Séoul (Corée du Sud), dans la nuit du 3 au 4 décembre 2024, après la proclamation de la loi martiale par le président sud-coréen. (JUNG YEON-JE / AFP)

Une première depuis la fin de la dictature militaire en 1980. Le président de la Corée du Sud, Yoon Suk-yeol, a proclamé, mardi 3 décembre, la loi martiale dans son pays, interdisant toute activité politique et plaçant la presse sous le contrôle de l'armée. Moins de trois heures après son annonce, la majorité des députés a voté contre la mesure, contraignant le chef de l'Etat à revenir sur sa décision. Alors que des manifestations ont été organisées à Séoul, des membres du parti présidentiel comme de l'opposition ont appelé Yoon Suk-yeol à démissionner, mercredi.

Que s'est-il passé ? Pourquoi le président a-t-il proclamé la loi martiale ? Comment a réagi la population ? Franceinfo répond à cinq questions sur cet épisode inédit.

1 Pourquoi la loi martiale a-t-elle été proclamée ?

Dans une allocution télévisée surprise mardi soir, Yoon Suk-yeol a proclamé la loi martiale et déclaré prendre cette décision "pour protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments hostiles à l'Etat", en référence aux élus de l'opposition. Le parti du président, Pouvoir au peuple, est actuellement engagé dans un bras de fer avec ses opposants du Parti démocrate sur le projet de budget de l'année prochaine.

La semaine dernière, les députés de l'opposition, majoritaires à l'Assemblée nationale, ont approuvé un programme budgétaire considérablement réduit. Yoon Suk-yeol a accusé mardi le Parti démocrate de couper "tous les budgets essentiels aux fonctions premières de la nation, (...) transformant le pays en un paradis de la drogue et en un lieu de chaos pour la sécurité publique".

Selon lui, l'Assemblée nationale sud-coréenne serait "devenue un refuge de criminels, un repaire de dictature législative qui cherche à paralyser les systèmes administratif et judiciaire et à renverser notre ordre démocratique libéral". Plus explicitement encore, il a qualifié les élus du Parti démocrate de "forces hostiles à l'Etat ayant l'intention de renverser le régime".

2 Comment ont répliqué les députés ?

Le Parti démocrate a demandé à tous ses membres de se rassembler pour une réunion d'urgence, après l'annonce du président Yoon Suk-yeol. Cette formation, qui a remporté les dernières législatives au printemps, compte 170 des 300 sièges à l'Assemblée nationale, l'unique chambre du Parlement. Dans la nuit, les 190 députés sud-coréens présents au Parlement ont adopté un texte pour appelant à la levée de la loi martiale, y compris les 18 élus du parti présidentiel qui ont pris part au vote. Le chef de cette formation, Pouvoir au peuple, a désapprouvé le choix de Yoon Suk-yeol, selon l'agence sud-coréenne Yonhap.

Un scrutin validé par le président du Parlement, contraignant théoriquement le chef de l'Etat à revenir en arrière. Selon la Constitution, "le président doit immédiatement informer de la déclaration de la loi martiale à l'Assemblée nationale et si l'Assemblée nationale demande son annulation avec la majorité des voix des élus, le président doit la lever", rappelle l'agence de presse Yohnap. L'armée a cependant prévenu qu'elle ferait appliquer la loi martiale jusqu'à ce qu'elle soit levée par le président.

Avant cette prise de position unanime des députés, le chef du Parti démocrate, Lee Jae-myung, avait appelé la population à se rassembler devant le Parlement en signe de protestation. "L'imposition illégale de la loi martiale par le président Yoon Suk-yeol est invalide", a déclaré celui qui avait perdu de justesse face au président élu lors des élections de 2022. "Venez à l'Assemblée nationale maintenant. Je m'y rends également", a-t-il ajouté.

3Comment a réagi la population ? 

Des milliers de personnes ont afflué mercredi matin devant le Parlement pour protester contre la loi martiale et les restrictions qu'elle impliquait, selon des images diffusées en direct à la télévision. Le décret interdisait toute manifestation, activité politique ou grève, et ordonnait le placement de tous les médias sous contrôle militaire, d'après la traduction du texte publiée par Yonhap.

Des militaires tentent d'entrer dans l'Assemblée nationale à Séoul (Corée du Sud), dans la nuit du 3 au 4 décembre 2024. (JUNG YEON-JE / AFP)

"Ouvrez la porte, s'il vous plaît. Votre travail est de protéger l'Assemblée nationale. Pourquoi restez-vous les bras croisés pendant que des députés sont piétinés ?", a crié un homme à un groupe de policiers gardant les portes de l'établissement, placé sous scellés. Un député a déclaré à la BBC qu'il avait dû escalader une clôture pour entrer dans l'Assemblée, car la police l'avait bloqué, même avec une pièce d'identité attestant de son mandat.

Selon le journal coréen Chosun Ilbo, les citoyens qui attendaient devant le bâtiment ont applaudi à l'annonce du vote des députés contre la loi martiale. Les slogans "Longue vie à la République de Corée !" et "Yoon Suk-yeol, démissionne !" ont retenti.

Des membres des forces spéciales sud-coréennes ont essayé d'entrer dans le Parlement, d'après les images diffusées. Après avoir invalidé la loi martiale, le président de l'Assemblée nationale a annoncé que l'armée présente dans le bâtiment se retirait.

4 Qu'en a dit la communauté internationale ?

Avant que le président ne prenne compte du vote des députés et lève la loi martiale, les Etats-Unis avaient partagé leur "inquiétude" au sujet de la situation en Corée du Sud, et dit espérer une issue qui respecte "l'Etat de droit", après la proclamation de la loi martiale. "Nous surveillons de près les développements en Corée du Sud", a assuré de son côté un porte-parole du Premier ministre britannique Keir Starmer, tandis que le ministère des Affaires étrangères a appelé les ressortissants du Royaume-Uni à "suivre les conseils des autorités locales et à éviter les manifestations politiques".

L'ambassade de Chine en Corée du Sud a appelé ses citoyens présents dans le pays à la "prudence". Elle leur conseille "de rester calmes, de renforcer leur vigilance en matière de sécurité, de limiter les sorties inutiles et de faire preuve de prudence lorsqu'ils expriment des opinions politiques". Un peu plus tard, un porte-parole de l'ONU a déclaré que les Nations unies suivaient "avec inquiétude" la situation en Corée du Sud.

5 Que va-t-il se passer désormais ?

Plus de trois heures après le vote des députés, Yoon Suk-yeol a finalement déclaré que la loi martiale allait être levée et que les troupes déployées dans Séoul allaient se retirer. "Il y a eu une demande de l'Assemblée nationale pour lever l'état d'urgence, et nous avons procédé au retrait des militaires qui avaient été déployés pour les opérations de loi martiale", conformément à la Constitution, a déclaré le président dans une nouvelle intervention télévisée.

Yoon Suk-yeol, dont la popularité était déjà au plus bas, est appelé à la démission par l'opposition comme son propre parti, alors que la plus importante intersyndicale du pays a appelé à une "grève générale illimitée" jusqu'à son départ du pouvoir. Le chef de cabinet du président et plusieurs conseillers ont dans la matinée "présenté leur démission collective", selon l'agence de presse Yonhap.

Les partis d'opposition ont annoncé mercredi le dépôt d'une motion de destitution contre le conservateur, après sa tentative ratée d'imposer la loi martiale. Le texte, qui devra réunir une majorité des deux tiers pour être adopté, pourrait être soumis au vote dès vendredi, ont précisé les six formations représentées au Parlement, au cours d'une conférence de presse commune.

"Nous allons porter plainte pour rébellion" contre le président, ses ministres de la Défense et de l'Intérieur et des "personnalités clés de l'armée et de la police, telles que le [général qui a brièvement exercé les fonctions de] commandant de la loi martiale et le chef de la police", a annoncé le Parti démocrate, principal mouvement d'opposition, mercredi. En milieu d'après-midi, le dirigeant n'était toujours pas réapparu en public.

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