Dans la circonscription de Tunis 2, les militants du mouvement Ettakatol font campagne dans la bonne humeur
Ettakatol (Forum en arabe), qui se nomme en français Forum démocratique pour le travail et les libertés, se définit lui-même comme un mouvement "démocrate et progressiste". Un parti social-démocrate, affilié à l"Internationale socialiste.
La bonne humeur des militants n"a apparemment pas été entachée par la manifestation violente, attribuée à des salafistes, contre une télévision privée qui a diffusé le film "Persépolis". Lequel montre une séquence où est représenté Dieu, ce que l"islam réprouve.
La question de la religion et la place du parti islamiste Ennahda n"est pas une obsession pour ces militiants qui tractent sous un chaud soleil dans la cité El Khadra et, après le déjeuner, à Laouina, deux quartiers différents de la capitale tunisienne. Pour autant, ils n"éludent pas les questions sur le sujet.
Pour eux, la diffusion de "Persépolis" a été "maladroite, pour ne pas dire provocante, même pour les plus évolués". "Certains ont peut-être intérêt à remuer de vieilles peurs viscérales : il faut voir qu"on touche là à quelque chose de profondément ancré dans le cœur des Tunisiens". A leurs yeux, "la religion est l"affaire de tous, et pas d"un seul parti politique", en l"occurrence Ennahda. Ennahda qu"il ne faut pas "écarter du jeu politique", car ce serait "lui donner le beau rôle, celui d"opposant" qui lui permettrait de "faire capoter le processus politique dans une période critique".
On se côtoie mais on s'ignore
A la cité El Khadra, le stand d"Ettakatol est installé à quelques mètres de celui d"un mouvement concurrent devant lequel des haut-parleurs crachent une musique très puissante. De part et d"autre, on s"ignore. "Nous sommes les plus à même de battre Ennahda", explique (au téléphone) son responsable, les adhérents n"ayant apparemment pas le droit de s"exprimer. "Ce sont des bouffons. Eux, ils payent pour avoir des militants", affirme un représentant du Forum.
"Ettakatol est une mosaïque qui représente le mieux la société tunisienne", estime le responsable de la communication du mouvement, S. L., lui-même candidat. Pourquoi ces initiales ? "La loi interdit de publier le nom des candidats dans la presse", affirme notre homme. On n"est pas obligé de le croire... Mais il nous demande fort aimablement de nous conformer à cette règle. Nous ne donnerons donc aucun nom... Mais nous serons autorisés à le prendre en photo !
Une mosaïque, le Forum démocratique pour le travail et les libertés ? Pourtant, les militants du mouvement que nous croisons semblent plutôt appartenir aux classes moyennes aisées : ils sont universitaire, chef d"entreprise, assureur, ingénieur, médecin... Une chose est sûre, nos militants affirment leur fierté de participer à un processus historique. "Notre révolution de la dignité a initié les révolutions en Egypte, en Libye et peut-être bientôt en Syrie. On en a rêvé toute notre vie ! Et aujourd"hui, nous sommes le laboratoire qui pourrait permettre la réussite de la première démocratie arabe. Une réussite qui dépend de ces élections", expliquent-ils.
Pourtant, la tâche est loin d"être facile...
... et loin d"être gagnée. L"échiquier politique tunisien, qui comptait sous la dictature quatre partis politiques, en compte désormais une... grosse centaine. Résultat : pour la seule circonscription de Tunis 2 (480.000 habitants), on dénombre... 84 listes !
"Pour des gens peu cultivés, cela a quelque chose d"hallucinant : comment peuvent-ils faire la distinction ?", se demande L. J., une candidate en seconde place sur la liste du mouvement (au passage, on signalera que ce dernier présente quatre femmes têtes de liste dans les 33 circonscriptions que compte le pays). "Encore un tract !", s"exclame, en riant, une dame à qui la candidate tend un document. Et qui apparemment en voit passer beaucoup dans une seule journée.
Pas facile, donc, pour les Tunisiens de s"y retrouver dans leur «"démocratie naissante", pour reprendre l"expression de L. J. "Surtout que Ben Ali a laissé derrière lui un désert politique", précise-t-elle. "Les gens n"ont jamais connu autre chose", ils se tournent donc vers ce qu"ils connaissent : "A leurs yeux, ceux qui se disent proches de Dieu seront sincères". Pas comme ceux qui s"en sont mis plein les poches à l"époque Ben Ali et n"ont pas forcément disparu du paysage. "Dans ce contexte, nous nous efforçons d"éduquer les électeurs à la politique, de leur donner une culture dans ce domaine", lance pour sa part S. L.
Certains de ces militants des classes moyennes avouent découvrir pendant cette campagne des réalités qu"ils ne connaissaient pas. "Il y a deux pays : une Tunisie urbaine, mature, et une autre Tunisie, péri-urbaine, celle des quartiers défavorisés. Les soucis de ses habitants sont très éloignés de la première, avec les problèmes sociaux, liés au logement, à l"insécurité, à la pollution", constate L. J.
Et l"avenir, dans tout ça ? A Ettakatol, on échafaude différents scénarios d"après-élections. Tout en disant "n"avoir peur de rien". La démocratie, ceux qui font campagne y croient ! Et surtout, désormais, ils la vivent au quotidien. "Avant, pour ouvrir une association, il fallait composer avec la bureaucratie et les gens du pouvoir qui accaparaient tout. Aujourd"hui, il y a des milliers d"associations dans toutes sortes de domaines !", constate Slim Abdelmoula, ingénieur plasticien, simple militant de base. Un signe que la Tunisie a su s"adapter très vite à une liberté chèrement acquise.
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