Cet article date de plus de huit ans.

Déportés d'Indochine : "On est des oubliés de l'Histoire"

La Journée nationale du souvenir de la déportation rendra hommage ce dimanche aux victimes des camps nazis, mais elle ne concerne officiellement pas d'autres déportés de la Seconde Guerre mondiale, dont on a peu entendu parler. Entre mars et septembre 1945, 15.000 Français ont été enfermés dans des camps japonais en Indochine. Rencontre avec un survivant de ces camps.
Article rédigé par Jérôme Jadot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
  (Raymond Bonnet est le dernier survivant français des camps japonais où était pratiquée la torture © Radio France / Jérôme Jadot)

Selon la Fédération des réseaux de la Résistance en Indochine, il est le dernier survivant des camps japonais où était pratiquée la torture. Raymond Bonnet a aujourd'hui 93 ans. Petite moustache grise posée en haut d'une silhouette frêle aux longs bras décharnés. Depuis la mort de son épouse l'an passé, il vit seul dans un coquet pavillon à Antibes avec des souvenirs qui s'échappent parfois brutalement, puis reviennent, notamment face à quelques croquis du camp où il a été détenu.

 "Voilà le genre de cellule où nous étions, des gros barreaux de bois, une pièce qui faisait quatre mètres sur trois à peu près. Ce sont des cages. On rentrait par un portillon qui faisait à peu près 50 centimètres. On rentrait à quatre pattes là-dedans. On n'avait pas le droit de s'allonger, on n'avait pas le droit d'être le dos au mur. Il fallait qu'on reste au milieu de la pièce. On avait le droit à deux boules de riz par jour, la taille d'un œuf. C'est tout ce qu'on avait à manger. J'avais maigri de 25 ou 30 kilos je crois ", raconte Raymond Bonnet. 

Lorsqu'il est relâché en septembre 1945 après la capitulation japonaise, le jeune homme de 23 ans ne pèse qu'une quarantaine de kilos. 

L’ancien avocat François Cartigny a porté le dossier des deux anciens combattant d’Indochine reconnus "morts en déportation". Il demande que la Journée du souvenir des victimes de la déportation s’élargisse nommément aux déportés d’Indochine

Raymond Bonnet avait été arrêté en mars 1945. Lorsque le Japon prend le contrôle de l'Indochine, la quasi totalité des 22.000 civils français qui vivent là-bas est assignée à résidence et 15.000 autres, pour beaucoup des militaires, sont fait prisonniers. C'est le cas de Raymond Bonnet. Le jeune résistant avait été parachuté seulement quelques jours auparavant pour aider à monter un réseau. Dénoncé, il tombe aux mains de la police politique japonaise, la redoutable Kempetaï, l'équivalent de la Gestapo allemande. Il est battu, torturé. Il subit notamment plusieurs simulations de noyade.

 

"J'étais attaché sur une échelle et ils avaient un tissu qu'ils mettaient sur ma figure. Je me souviens très bien, un robinet, un tuyau d'eau et le gars qui faisait couler de l'eau en permanence jusqu'à ce qu'on soit étouffé, noyé d'eau... C'était très dur ", se remémore péniblement Raymond Bonnet.

Il changera ensuite plusieurs fois de lieu de détention. Contrairement à au moins 350 autres déportés, lui survivra, malgré les plaies purulentes, la dysenterie, le paludisme et même une condamnation à mort qui n'aura pas le temps d'être exécutée.

 

Aujourd'hui, Raymond Bonnet a le sentiment d'avoir été oublié. Il a pourtant reçu plusieurs décorations, médaille de la résistance, Croix de guerre. Mais au soir de sa vie, après une carrière dans la concession automobile, le vieil homme a l'impression que ce pan de l'histoire a été escamoté, dit-il. Il y a quelques années, il a donc tenu à raconter sa déportation dans un livre*.

"J'ai eu envie d'écrire parce que les gens ne connaissent pas ce qu'il s'est passé en Indochine. J'ai voulu que les gens sachent ce qu'il s'était passé. Les gens s'en moquaient parce que c'était la fin de la guerre en Europe. Les gens en avaient souffert. ils voulaient sans doute laisser ça en arrière ", nous dit Raymond Bonnet.

 

Un désintérêt accentué, selon les historiens, par le fait que dans l'après-guerre dominé par les gaullo-communistes, il n'était pas de bon ton de s'apitoyer sur sort de Français d'Indochine, souvent perçus comme Vichystes. Le lobby colonial n'était pas non plus au mieux pour prendre leur défense.

Les raisons de l'oubli décryptées par Jean-Louis Margolin, historien spécialiste de l’Asie, maître de conférence à Aix Marseille Université.

Selon l'Office national des anciens combattants, plus de 1.000 titres de déportés ont toutefois été délivrés pour cette période en Indochine. En revanche, seules deux mentions "mort en déportation" ont été attribuées pour cette région et uniquement très récemment, en février dernier. Deux sur plus de 78.000. Le secrétariat d'Etat aux anciens combattants vient également d'écarter l'idée d'élargir aux victimes de l'empire japonais l'intitulé de la Journée du souvenir de la déportation.

Daniel Arnaud, chef du département reconnaissance et réparation à l’ONACVG, estime que les déportés d’Indochine n’ont pas été oubliés

Réfrences bibliographique

* Condamné à mort par les japonais , de Raymond Bonnet, publiés aux Editions du Bailli

Violences et crimes du Japon en guerre 1937-1945 , de Jean-Louis Margolin, publié chez Hachette

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.