Biélorussie : le mouvement de protestation "prend de l’ampleur", le président "n’a plus de soutien", estime une chercheuse
Le mouvement de protestation en Biélorussie s'étend au "cœur de l'électorat" d'Alexandre Loukachenko explique Cécile Vaissié, professeure en études russes, soviétiques et post-soviétiques à l'Université Rennes 2.
"Poutine n'a aucun intérêt à intervenir militairement" en Biélorussie estime lundi 17 août sur franceinfo Cécile Vaissié, professeure en études russes, soviétiques et post-soviétiques à l'Université Rennes 2. "On n'est pas dans la logique même que l'Ukraine", affirme-t-elle, notamment parce qu'il "n'est pas question que la Biélorussie rentre dans l'Union européenne" ou "entre dans l'OTAN". Selon elle, Alexandre Loukachenko "n'a plus de soutien, y compris dans ce qui était considéré comme son électorat" et le mouvement de protestation contre sa réélection "prend de l'ampleur". Pour la chercheuse, la dépendance économique vis-à-vis de la Russie est telle que si le président venait à quitter le pouvoir, son successeur devrait s'entendre avec Vladimir Poutine.
franceinfo : Où en est le mouvement de protestation en Biélorussie ?
Cécile Vaissié : Il prend de l'ampleur. L'appel à la grève avait été lancé pour le 11 août. Il a démarré relativement doucement et aujourd'hui, visiblement, on a de plus en plus d'usines qui se mettent en grève et des usines absolument déterminantes pour l'économie du pays. On a effectivement d'autres catégories professionnelles qui se mettent en grève. Et [ce mouvement] indique, comme l'indique la visite de monsieur Loukachenko dans une usine, que celui-ci n'a plus de soutien, y compris dans ce qui était considéré comme son électorat. Il se retrouve complètement démuni d'une certaine manière devant une société qui le rejette, que ce soit les jeunes de 18 20 ans, les femmes, on l'a vu très clairement, ou les ouvriers qui constituaient a priori le cœur de son électorat.
Vladimir Poutine va-t-il profiter de la situation pour intervenir ?
Alors je dirais que pour l'instant, rien n'indique qu'il va intervenir. C'est vrai qu'il y a des accords depuis plusieurs années entre la Biélorussie d'un côté et la Russie de l'autre. C'est vrai qu'ils ont une union douanière. C'est vrai qu'il a été question, et c'était un souhait très fort de monsieur Poutine, d'intégrer en fait dans un Etat commun la Biélorussie. Ils sont même dans la même alliance militaire, l'alliance de Shanghaï.
C'est vrai que Poutine a reconnu cette élection, contrairement à l'Union européenne, contrairement à la Grande-Bretagne, qui vient de dire qu'elle ne reconnaît pas les résultats d'élection. Mais en tout cas, pour l'instant, il n'y a pas de signes clairs, sinon les propos de Loukachenko lui-même, qui sont à prendre avec précaution, d'une volonté de la Russie d'intervenir.
Quand le Kremlin dit qu'il est prêt à aider la Biélorussie en cas de besoin c'est juste des mots ?
Pour l'instant il ne s'agit que de mots. Si on réfléchit rationnellement, monsieur Poutine n'a aucun intérêt à intervenir, en tout cas militairement. Ca n'est pas la situation, je dirais, de la Crimée ou quoi que ce soit. On n'est pas dans la logique même de l'Ukraine en 2013-2014. Ça n'a rien à voir. En Ukraine, ça faisait plusieurs années qu'il y avait des contestations et se posait très clairement la question en 2013, est-ce l'Ukraine va signer un accord avec l'Union européenne ou est-ce qu'elle va signer avec la Russie?
Là, il n'est pas question de ça. Il n'est pas question que la Biélorussie quitte sa zone d'influence, rentre dans l'Union européenne. Il n'est pas question, comme Loukachenko voudrait le faire croire, que la Biélorussie entre dans l'OTAN. Personne dans l'opposition ne demande cela. Se rajoute à cela le fait que la société biélorusse, qui parle le russe, n'a strictement rien contre la Russie et que, en Russie, la société biélorusse a une cote d'amour très forte. Donc ça serait tout à fait dommage, rationnellement, de détruire ces choses-là
L'économie biélorusse est très dépendante de la Russie. Même si Alexandre Loukachenko quittait le pouvoir, la principale opposante, Svetlana Tikhanovskaïa, devrait s'entendre avec Poutine ?
Mais bien sûr ! Et c'est ce qu'a dit une des femmes de son équipe ce matin. Elle disait "de toute manière, nous avons des bonnes relations commerciales avec la Russie et nous souhaitons les garder". La Russie n'a aucun intérêt à une intervention militaire. Elle peut effectivement agir, agir par l'économie, par le commerce et se dire "je veux garder ce partenariat", puisque l'économie biélorusse tient essentiellement grâce à la Russie, grâce aux ventes à prix très intéressants de pétrole et de gaz que lui fait la Russie. La société russe a intérêt, la société biélorusse encore plus, les entreprises ont intérêt à ce que les choses se fassent de manière tout à fait pacifique, c'est-à-dire que monsieur Loukachenko parte et qu'arrive un président élu démocratiquement.
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