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Cinq questions sur les cas de bateaux de plaisanciers percutés par des orques

Plusieurs voiliers ont été percutés par des cétacés, notamment dans les environs du détroit de Gibraltar, entre l'Espagne et le Maroc. Le phénomène est de plus en plus médiatisé.
Article rédigé par franceinfo, Gabrielle Trottmann
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une famille d'orques sur la côte de Tarifa (Espagne), au large du détroit de Gibraltar. (MARCO SIMONI / ROBERT HARDING HERITAGE / AFP)

Ces derniers mois, les témoignages se sont multipliés. Des navigateurs et navigatrices ont raconté que leur bateau avait été secoué ou endommagé par des orques, aux environs du détroit de Gibraltar. Ces épisodes sont-ils de plus en plus fréquents ou juste davantage médiatisés ? Quelles sont les hypothèses des spécialistes qui étudient le comportement des animaux ? Et comment réagir en cas de rencontre ? Franceinfo revient sur le phénomène en cinq questions.

1 Que racontent les différents témoins ?

Dans les médias ou sur les réseaux sociaux, les navigateurs racontent avoir été secoués par des orques venant éperonner, voire endommager, leur bateau, notamment dans les environs du détroit de Gibraltar, entre le Maroc et l'Espagne. L'un des derniers témoignages en date a été recueilli fin juillet par le quotidien Ouest-France. Un navigateur originaire de la presqu'île de Crozon (Finistère) raconte que sa barre a été cassée. "Il n'y avait rien d'amical, c'était très violent", estime-t-il.

En juin, le quotidien régional publiait aussi une vidéo de l'"attaque" de deux bateaux participant à une course autour du monde en équipage, The Ocean Race. En mai, le skippeur Sébastien Destremeau évoquait une "grosse frayeur" après sa rencontre avec les cétacés.

Espagne : le voilier du skipper français Sébastien Destremau attaqué pendant une heure par des orques

En mai, la navigatrice April Boyes connaissait pareille mésaventure, dont Le Monde s'est fait l'écho. Au printemps, l'animatrice Christine Bravo racontait aussi sur Instagram comment une orque a endommagé le safran (la partie du gouvernail qui permet de changer la direction) de son catamaran près du port de Gibraltar.

2 Ces incidents sont-ils plus fréquents ?

Impossible de l'affirmer. Depuis l'été 2020, des scientifiques français et espagnols ont mis en place un suivi dans le cadre du groupe de travail sur les orques de l'Atlantique en partenariat avec des associations. Selon l'observatoire Pelagis de l'université de La Rochelle, qui y participe, 720 "interactions" – c'est ainsi que les scientifiques qualifient le phénomène – ont été enregistrées, quelle que soit leur ampleur.

D'après Le Monde, les gardes-côtes espagnols et portugais assurent recevoir des appels plusieurs fois par semaine, mais toutes les alertes ne sont pas forcément sérieuses. Si la tendance "se maintient", selon les scientifiques, mettre en évidence une accélération est en revanche plus compliqué : le groupe de travail relève 52 interactions entre juillet et novembre 2020, 197 en 2021 et 207 en 2022. Mais il est aussi possible que le phénomène soit de plus en plus visible, car davantage médiatisé.

3 Peut-on parler vraiment d'"attaques" ?

Les raisons pour lesquelles les orques vont à la rencontre des bateaux ne sont pas parfaitement établies, selon les scientifiques. Si certains navigateurs choqués n'hésitent pas à parler d'"attaques", l'expression ne fait pas consensus. Certes, de nombreux bateaux sont endommagés. Dans les environs du détroit de Gibraltar, "50% des navires avec lesquels ils interagissent subissent des dommages, généralement à la barre", note l'association Orca Iberica, qui participe au groupe de suivi, sur son site.

Mais quels que soient les dégâts subis, les chercheurs sont formels : il n'y a pas d'attaques dirigées contre les humains ou celles-ci ne sont pas intentionnelles. Ces orques "ne mangent pas de mammifères, ils sont piscivores, rappellent-ils. Le sonar d'un épaulard [un synonyme d'orque] est infaillible et il ne confondrait pas sa nourriture avec un humain. Aucune attaque d'épaulard n'est connue dans le monde, sauf dans les parcs aquatiques où ils deviennent fous."

"Les raisons de ces interactions restent encore incertaines, même si la possibilité qu'il s'agisse d'un simple jeu pour ces animaux semble aujourd'hui la plus probable."

L'observatoire Pelagis

sur son site internet

Bioacousticien spécialiste des cétacés, Olivier Adam abonde : "Après tout, il faut bien qu'ils s'occupent ! Cela doit être amusant pour eux de voir des embarcations naviguer dans les eaux où ils vivent." Une hypothèse également soutenue par Renaud de Stephanis, docteur en sciences de l'environnement, qui raconte dans Le Monde avoir lui-même déjà perdu douze gouvernails lors de ses sorties en mer : "Ce profil d'espèce ne va pas se mettre dans des situations dangereuses. Elles ont dû se rendre compte progressivement qu'il n'y a pas de risque et ont inventé un jeu, que la matriarche apprend aux plus jeunes."

4 Que penser de l'hypothèse d'une "vengeance" ?

Certains observateurs prêtent aux orques des intentions de représailles, ou un stress post-traumatique, qui provoque parfois des réactions disproportionnées. C'est notamment l'hypothèse soutenue par la biologiste marine espagnole Mónica González, selon laquelle White Gladis, une femelle suspectée d'être à l'origine de plusieurs attaques, aurait été heurtée par un navire ou empêtrée dans un filet de pêche en 2020 alors qu'elle était enceinte. D'après elle, cet épisode aurait traumatisé l'orque et celle-ci aurait depuis adopté un comportement agressif envers les voiliers.

Dans les faits, "ces animaux ont une mémoire, une culture et font preuve d'une forte empathie, il ne serait donc pas impossible qu'ils se vengent. Mais cela n'a jamais été prouvé scientifiquement", tranche Olivier Adam. Par ailleurs, "les interactions dépendent probablement de comportements spécifiques à certains individus", souligne l'observatoire Pelagis sur son site.

En septembre 2020, des biologistes interrogés par The Guardian ont estimé que la levée des mesures de confinement avait aussi pu perturber les orques, à cause de la reprise abrupte du trafic maritime qui a provoqué une forte pollution sonore.

5 Que faut-il faire en cas d'interaction ?

Plusieurs réglementations sont en vigueur dans le détroit de Gibraltar : un arrêté espagnol définit un périmètre d'environ 500 m autour des cétacés, au sein duquel il est interdit de se baigner, de jeter de la nourriture et des déchets, d'empêcher leurs déplacements ou de produire "des bruits et des sons forts et aigus". Du côté portugais, les navires doivent essayer de maintenir une distance d'au moins 100 mètres, comme le rappelle le groupe de travail sur les orques de l'Atlantique.

Par ailleurs, en cas de rencontre, ce dernier conseille "de laisser le gouvernail libre et de ne pas toucher la roue". Par ailleurs, les orques peuvent être "stimulées par des actions humaines" alors "essayez de rester hors de leur vue et ne criez pas, n'essayez pas de les frapper, de les toucher ou de leur lancer des objets". Enfin, vous pouvez télécharger l'application GT Orcas, développée par les scientifiques, pour suivre les déplacements des orques et avoir un compte-rendu des interactions en temps réel.

Enfin, Olivier Adam déconseille l'usage de "pingers", sorte de klaxons sous-marins qui ont pour objectif de faire fuir les cétacés. "Ces sons peuvent être extrêmement agressifs pour les orques. Nous sommes chez eux. C'est à nous de nous adapter pour ne pas les gêner", conclut-il.

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