COP16 biodiversité : gardes forestiers, plongeurs en haute mer, touristes... Le jeu des six familles qui négocieront en Colombie

Face à la crise mondiale de la biodiversité, la communauté internationale a entrepris d'accélérer le pas. Alors que les intérêts de chacun divergent et, parfois, se recoupent, voici de quoi se repérer autour de la table des négociations qui s'ouvrent lundi à Cali.
Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
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Le sommet sur la biodiversité qui se tient en Colombie à partir du 21 octobre 2024 rassemble des groupes d'Etats aux intérêts bien différents. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

La COP16 sur la biodiversité n'est pas aussi célèbre que sa cousine, la COP climatique, qui se tiendra en Azerbaïdjan en novembre. Pourtant, le rendez-vous qui s'ouvre lundi 21 octobre, à Cali, en Colombie, doit faire avancer une cause importante pour les humains : la protection de la nature et des écosystèmes qui nous fournissent oxygène, alimentation, matières premières et médicaments.

Alors que 70% des écosystèmes sont dégradés selon l'Ipbes (un organe intergouvernemental en lien avec l'ONU), le sommet de Cali marque un important point d'étape, deux ans après le succès de la COP15 à Montréal. Il sera aussi l'occasion de remettre autour de la table des familles d'Etats aux intérêts et objectifs divers. 

Les gardes forestiers

Les pays gardes forestiers abritent une méga-biodiversité dans d'immenses forêts. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Membres : le Brésil, la République démocratique du Congo (RDC), l'Indonésie... Les pays dits "mégadivers" couvrent 10% de la surface de la planète, mais abritent 70% de la biodiversité terrestre.

Leur mission : préserver ce qu'il reste de forêts sur Terre. 

Parmi les pays mégadivers, le Brésil, la RDC et l'Indonésie hébergent les plus grands bassins forestiers du monde. Ils "font l'objet lors de ces COP de toutes les attentions", résume Sébastien Tréyer, de l'Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Or, s'ils se présentent volontiers comme "l'Opec des forêts" – une référence à la puissante union des pays exportateurs de pétrole –, ils peinent à parler d'une même voix, considérant des situations parfois radicalement différentes. Certains, comme le Brésil, le Mexique, l'Indonésie, l'Inde, la Chine ou la Colombie, sont de grands pays émergents "qui captent déjà beaucoup d'argent du Fonds pour l'environnement mondial", explique Sébastien Tréyer. A l'inverse, d'autres pays vulnérables comme Madagascar, la RDC ou la Papouasie Nouvelle-Guinée "en reçoivent beaucoup moins".

"Même au sein d'un même bassin forestier, il n'y pas nécessairement d'alignement", abonde la responsable du programme biodiversité à l'Iddri, Agnès Hallosserie, rappelant que le sommet régional pour l'Amazonie, voulu par le président brésilien, Lula, s'était soldé par un échec. La Colombie et le Brésil avaient acté leurs divergences en matière de gestion de cet écosystème qu'ils partagent aussi avec d'autres pays d'Amérique du Sud (le Pérou, la Bolivie et le Venezuela).

Leur capacité à s'allier en dépit de leurs différences peut cependant ponctuellement jouer un rôle déterminant dans les négociations. Ce fut le cas à la toute fin de la COP15, se souvient Juliette Landry, elle aussi chercheuse à l'Iddri. Face à l'impasse des négociations sur le mode de gestion du futur fonds alloué à la biodiversité dans les pays en développement, "le Brésil et l'Indonésie sont allés chercher un accord avec la République démocratique du Congo, afin de débloquer la situation à la dernière minute", sauvant l'accord de Kunming-Montréal.

Leur intervention a permis d'infléchir la position déterminée de Kinshasa, alignée avec les pays d'Afrique sur les questions de financement. Une exception, alors que les pays des différents grands bassins s'accordent en général sur des principes pour la défense de la forêt, mais peinent "à se coordonner sur les points plus techniques des discussions".

Les plongeurs en haute mer

Les Etats plongeurs sont des experts de la protection des océans. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Membres : Palau, le Chili, Belize, les Seychelles, Monaco, Maurice, les Etats fédérés de Micronésie, Cuba, le Timor oriental, Singapour, les Maldives, le Bangladesh et la Barbade.

Leur mission : entraîner les autres pays à ratifier l'accord sur la haute mer, pour tenter d'atteindre les nouveaux objectifs de conservation des écosystèmes marins.

En 2010, les Etats s'étaient donné dix ans pour placer 10% de la surface des océans en aires marines protégées. Quatre ans après l'échéance, seuls 8% bénéficient de ce statut censé empêcher toute activité susceptible de nuire aux écosystèmes marins. Dans ces conditions, l'objectif fixé en 2022 d'atteindre, d'ici 2030, 30% d'aires marines protégées nécessite de mettre au plus vite le cap vers le large. Car il implique de s'occuper de zones jusqu'alors très largement délaissées : la haute mer. 

Alors qu'elle représente 60% de la surface des océans, on y trouve seulement 37 aires marines protégées (contre près de 17 000 dans les eaux territoriales des Etats), selon une étude des océanographes Robert Blasiak et Jean-Baptiste Jouffray, publiée dans la revue scientifique Nature.

A ce jour, l'accord international sur la haute mer, adopté en septembre 2023 pour tenter d'accélérer la protection de ces écosystèmes précieux, a été ratifié par 13 Etats. Il en faut 60 pour qu'il entre en vigueur. Cent-quatre pays (dont l'UE) ont déjà signé ce texte crucial et beaucoup d'entre eux assurent qu'ils engageront dans les mois qui viennent sa ratification. Pour Julien Rochette, de l'Iddri, la COP de Cali donnera ainsi lieu à "beaucoup de discussions bilatérales, de réunions sur le traité haute mer avec des Etats champions et des ONG".

Reste qu'au rythme de croisière des négociations onusiennes, des années peuvent s'écouler entre la signature, la ratification et la concrétisation de ces nouvelles aires protégées. Ainsi, les pays réunis sous la bannière des "petits Etats insulaires en développement" (PEID, ou SIDS en anglais) ne manqueront pas de faire pression sur les autres nations représentées à Cali. Car, comme le notait récemment à la Barbade le président du Fonds pour l'environnement mondial, Carlos Manuel Rodríguez : "Nous avons longtemps eu tort de considérer les PEID comme de petits Etats insulaires, alors qu'il s'agit en réalité de grands Etats océaniques". 

Les portefeuilles

Les riches Etats portefeuilles doivent aider les pays plus pauvres, où ils délocalisent souvent leur impact sur la biodiversité. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Les membres : les pays riches de l'hémisphère Nord.  

Leur mission : aider les pays en développement à financer leurs politiques de protection de la nature.  

Les pays qui abritent le plus de biodiversité se trouvent en majorité dans l'hémisphère Sud et figurent pour beaucoup parmi les pays en voie de développement. Premiers touchés par la crise de la biodiversité, ils souffrent aussi de l'impact de la consommation des pays du Nord. Pour Jonathan Greene, du Stockholm Environment Institute (SEI), l'effondrement de la taille des populations d'animaux sauvages en Amérique latine et dans les Caraïbes (en déclin de 95% en cinquante ans, contre 35% en Europe), "reflète" d'ailleurs "le fait que dans l'UE, nous délocalisons la plupart de nos impacts sur la biodiversité".

Pour tenter de rétablir la balance, les Etats signataires de la Convention pour la diversité biologique se sont engagés, en 2022, à mobiliser 200 milliards de dollars par an dès 2030. Dans un nouveau fonds spécialement créé, les pays développés se sont même engagés à investir 20 milliards de dollars par an d'ici 2025 (et 30 milliards d'ici 2030) alloués exclusivement à des projets conçus localement par leurs homologues des pays en développement.

Or, le compte n'y est pas. En septembre, environ 400 millions de dollars avaient été promis, dont 244 millions de dollars récoltés grâce à l'Allemagne, au Royaume-Uni, à l'Espagne, au Japon, au Luxembourg, mais surtout au Canada, hôte de la COP15. Cette COP16 sera donc l'occasion d'"une nouvelle séance d'appel à promesses de dons pour ce fonds", prévient Chizuru Aoki, l'une des responsables du secrétariat du Fonds pour l'environnement mondial, à l'occasion d'un bilan d'étape en septembre. Enfin, le pays co-organisateur du sommet de 2022, la Chine, a quant à elle décidé de gérer en solo son propre fonds, alimenté par ses soins à hauteur de 200 millions de dollars.

Les locomotives

Les pays locomotives souhaitent aborder conjointement les questions de climat, de biodiversité, de sécurité. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Les membres : la Colombie et le Brésil. 

Leur mission : faire converger les problématiques (climat, biodiversité, pollution, sécurité, santé...) pour avancer sur tous les fronts.  

Alimentation et agriculture, déforestation et lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, protection des écosystèmes et entretien des grands puits de carbone naturels de la planète... Puisque le climat et la biodiversité sont indissociables et étroitement liés, "on discute de moins en moins des uns et des autres de manière séparée", constate Sébastier Treyer, de l'Iddri. 

Alors que le Brésil préside le G20 et accueillera en 2025 la 30e COP consacrée au climat, les pays d'Amérique latine prônent le traitement intégré des trois problématiques (climat, biodiversité et désertification) qui font depuis 1992 l'objet de trois sommets séparés. Déplorant un "processus exigeant pour les pays en développement qui n'ont pas beaucoup de ressources", la ministre de l'Environnement colombienne et présidente élue de la COP16 sur la biodiversité, Susana Muhamad, veut montrer l'exemple. A Cali, elle présentera "un plan unifié" pour répondre conjointement aux enjeux climatiques, environnementaux, socio-économiques et sécuritaires.

Cette idée de convergence se retrouve aussi au cœur de la diplomatie brésilienne, à travers le concept de "bioéconomie", soit la "combinaison des solutions basées sur la nature", résume Monica Trujillo, spécialiste de l'Amérique latine au SEI. Au menu : agroforesterie, agroécologie, gestion forestière, bioproduits et bioservices "pour produire la transformation économique nécessaire" à ce pays dont les écosystèmes, tels que le Cerrado ou la forêt amazonienne, disparaissent au nom de logiques économiques.

En septembre, le G20, sous présidence brésilienne cette année, a adopté le premier document multilatéral sur ce sujet. Avec l'espoir, pour ces ambassadeurs sud-américains, de "mettre en œuvre ces principes dans différentes régions dans les années à venir". En attendant, la COP16 pourrait accoucher a minima d'une charte posant les grands principes d'une politique de développement destinée à "faire la paix avec la nature". 

Les guides

Les communautés autochtones ici nommées guides sont actrices et dépendantes de la santé de la biodiversité. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Membres : les communautés autochtones présentes dans 90 pays (Pérou, Colombie, Brésil, Russie, Canada, Tanzanie, Ethiopie, Indonésie...) et qui représentent, selon l'ONU, 6,2% de la population mondiale. 

Leur mission : accéder, au même titre que des Etats, à des financements leur permettant d'être à l'initiative de projets bénéfiques à leur communauté et à la biodiversité de leurs territoires. 

On dénombre pas loin de 7 000 langues différentes au sein de ce groupe, dont les représentants peuplent tous les continents. Pourtant, les "peuples autochtones et populations locales", selon la terminologie de la Convention sur la diversité biologique, parlent d'une même voix lorsqu'il agit de défendre leurs droits face à des Etats ou autres intérêts privés qui n'ont eu cesse de les contester. Habitants des zones les plus denses de la planète en termes de biodiversité, ils sont acteurs et dépendants de la bonne santé des écosystèmes. A ce titre, ils disposeront plus que jamais d'une place autour de la table des négociations, assure la présidence colombienne de la COP16. 

Car dans ces rendez-vous diplomatiques,"les gouvernements affirment défendre les droits des indigènes et de la nature", expose à l'AFP Alex Lucitante, représentant de la communauté Cofan Avie d'Equateur. Or, "ce sont parfois ces mêmes gouvernements qui promeuvent la destruction de la biodiversité, en accordant et négociant des concessions pétrolières et minières, tout en persécutant les indigènes", poursuit l'activiste de 31 ans, qui a combattu devant les tribunaux les entreprises minières qui convoitent et exploitent cette partie de la forêt amazonienne, mais aussi pour avoir mis en place des patrouilles d'autodéfense et des outils de surveillance par drone. 

Si l'implication des populations locales dans la réussite ou non des projets de conservation sur le terrain n'est plus à démontrer, "l'enjeu pour ce groupe consiste désormais à accéder directement au financement", poursuit Juliette Landry, de l'Iddri. Ainsi, la présence de représentants de ces communautés dans les négociations mettra en lumière le fait "que les territoires à haute valeur pour la biodiversité qui sont gérés par et pour les populations autochtones et les communautés locales, témoignent de l'utilité d'investir pour le développement durable de ces communautés".

Les touristes

Ces Etats touristes ne participent pas à la COP Biodiversité, mais pèsent dessus quand même. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

Membres : les Etats-Unis et... le Vatican. 

Leur mission : défendre leurs intérêts et agir sur la biodiversité, de l'extérieur. 

Mais où sont donc passés les Etats-Unis ? Faute d'un accord au Sénat, le pays, lui-même mégadivers, n'a pas rejoint la Convention pour la diversité biologique. De ce fait, il ne participe à la COP16 qu'en tant que "non partie", au même titre que le Vatican. Cela ne signifie pas que Washington ne pèse pas dans ce volet de la diplomatie internationale. "Ils font partie du fonds pour l'environnement mondial, interviennent sur la question de la réforme de la finance internationale et des banques multilatérales de développement, liste Agnès Hallosserie, de l'Iddri. Ils ont tout intérêt à suivre de près les négociations sur les enjeux financiers, car ils s'articulent avec des institutions auxquelles les Etats-Unis participent."

Ils sont cette année concernés par l'un des gros dossiers techniques de cette COP16 : l'information de séquençage numérique (ISN, ou DSI en anglais). Dans quelles conditions faire payer l'accès aux bases de données où sont stockées les séquences génétiques de la biodiversité, exploitées à des fins commerciales et scientifiques, et souvent recueillies dans des pays du Sud ? Si les Etats-Unis ne sont pas partie prenante dans la discussion, nul doute que le secteur privé et les acteurs de la recherche de la superpuissance parviendront à se faire entendre.

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