L'article à lire pour comprendre la crise de la biodiversité, qui menace l'avenir de nos sociétés
La disparition des espèces de plantes, d'animaux et autres organismes vivants menace la stabilité des écosystèmes, indispensables à nos sociétés. Alors que s'ouvre la COP15, qui doit aboutir à un accord international pour enrayer la tendance, franceinfo vous explique cette autre crise écologique.
C'est le parent pauvre du réchauffement climatique. La crise de la biodiversité, c'est-à-dire la destruction des écosystèmes et des espèces vivantes provoquées par les activités humaines, ne bénéficie pas du même niveau d'attention médiatique et politique que le climat. A tort. "Ce n'est pas un concours de la plus grande menace, mais c'est du même ordre de grandeur", évalue Philippe Grandcolas, écologue et directeur de recherche au CNRS. "Les gens ne se rendent pas compte à quel point nous dépendons d'une nature en bonne santé pour nous nourrir, respirer un air sain ou boire de l'eau", abonde l'écologue américaine Camille Parmesan, directrice de recherche au CNRS.
A l'occasion de l'ouverture de la COP15 de Montréal dédiée à la biodiversité, du 7 au 19 décembre, où la communauté internationale a rendez-vous pour s'accorder sur des solutions, Franceinfo vous aide à y voir plus clair sur cette autre crise écologique.
C'est quoi, la biodiversité ?
Ce mot, proposé par des scientifiques en 1986, désigne l'ensemble des êtres vivants (des baleines aux micro-organismes comme les bactéries) et les écosystèmes (forêts, prairies, océans...) dans lesquels ils vivent. Ce terme englobe également la diversité génétique des espèces, leurs interactions entre elles et avec leurs milieux. Pour prendre un exemple, on peut utiliser ce mot pour parler d'un héron, de l'étang où il s'est installé, et de sa relation (alimentaire) avec les poissons qui y vivent.
Pourquoi parle-t-on de crise ?
Parce que la situation est grave. En 2019, l'IPBES, l'organisme scientifique de référence sur cette question (comme l'est le Giec pour le climat), brossait un sombre tableau (en PDF) : un million d'espèces déjà menacées d'extinction, 75% de la surface du globe abîmée par les activités humaines "de manière significative", disparition de 85% des zones humides, déclins rapides des insectes (documentés localement, pas d'études globales sur ce sujet)... Ces destructions se déroulent à un rythme effréné : "C'est mille fois plus rapide que les précédentes crises d'extinction, comme celles du Crétacé-Tertiaire [la fameuse extinction des dinosaures]", détaille Philippe Grandcolas.
D'autres indicateurs existent, comme l'indice Planète vivante du WWF. Dans son dernier rapport, le Fonds mondial pour la nature estimait que 69% des populations d'animaux vertébrés avaient disparu entre 1970 et 2018. Le graphique dans le tweet ci-dessous, réalisé par un scientifique britannique, permet de visualiser ces disparitions.
A depressing moment adding two grey biodiversity stripes, now representing a 69% decline in wildlife populations since 1970.
— Miles Richardson (@findingnature) October 13, 2022
Don't let a green #LivingPlanet turn grey. pic.twitter.com/FdfopLAOdR
Cette réalité est parfois très concrète. "Nous voyons des épisodes massifs de mortalité chez différentes espèces : des poissons, des oiseaux, des chauves-souris, des mammifères...", énumère Camille Parmesan. Mi-octobre, la disparition d'un milliard de crabes des neiges a été signalée au large de l'Alaska.
Quelles sont les causes de cette crise ?
Les causes sont multiples, mais peuvent toutes être reliées aux activités humaines, comme pour le climat. L'IPBES en a dénombré cinq. "Il ne faut pas nécessairement les hiérarchiser, cela dépend des endroits", prévient Philippe Grandcolas.
• L'expansion des terres agricoles et urbanisées. L'expansion des champs, qui occupent un tiers de la surface terrestre, et des villes se fait en détruisant et en artificialisant des forêts, des zones humides et des prairies. Ces changements privent de nombreuses espèces de leur espace vital. En France, la disparition des haies dans les zones agricoles ou la construction de lotissements sur des prairies sont des exemples de cette réalité.
• L'exploitation directe. La coupe de bois, la pêche et la chasse détruisent directement des espèces végétales et animales. C'est particulièrement le cas dans les océans, avec les problèmes de surpêche.
• Le réchauffement climatique. À mesure que le climat se réchauffe, il est de plus en plus difficile pour les espèces animales et végétales de s'adapter. "Nous observons des taux de mortalité très, très élevé des arbres à cause des sécheresses et des vagues de chaleur provoquées par le réchauffement climatique", constate Camille Parmesan, qui a codirigé le chapitre consacré aux conséquences sur la biodiversité dans le dernier rapport du Giec. Installée en Ariège, au pied des Pyrénées, la scientifique américaine a observé cet été comment une partie de la forêt a viré du vert au brun. "Il a plu en septembre, mais, à vue d'œil, je dirais que 5 à 10% des arbres sont morts", estime-t-elle.
L'impact du réchauffement climatique ne se limite pas à la chaleur ou au manque d'eau. Les animaux et les végétaux sont tout aussi sensibles que l'homme aux événements extrêmes, comme les tempêtes ou les inondations. Les espèces marines sont, elles, confrontées à un problème supplémentaire : en absorbant une partie du CO2 que nous émettons, l'océan s'acidifie, ce qui empêche ou fragilise la formation de coquilles chez certains organismes (les planctons, les huitres...).
• Les pollutions. Plastique, particules fines, produits chimiques, pesticides... La liste des polluants dispersés par l'homme dans la nature est longue. "La pollution marine, par les plastiques en particulier, a été multipliée par dix depuis 1980, affectant au moins 267 espèces, dont 86% des tortues marines, 44% des oiseaux marins et 43% des mammifères marins", constatait l'IPBES en 2019. Philippe Grandcolas insiste particulièrement sur les pesticides, conçus pour détruire des organismes vivants et "mis sur le marché après très peu d'examens". Il cite par exemple une étude récente (relayée par Le Monde) sur les effets du glyphosate sur la reproduction des bourdons, un pollinisateur menacé.
• Les espèces invasives. En multipliant les déplacements en avion ou en bateau, l'homme a permis à de nombreuses espèces animales ou végétales de voyager et coloniser de nouveaux milieux. Ces nouvelles venues bouleversent les écosystèmes et posent de nombreux problèmes. Dans les Alpes-Maritimes par exemple, l'écureuil de Pallas, venu de Taïwan, menace l'écureuil roux et les arbres fruitiers. À La Réunion, le rat noir est un danger pour la survie de plusieurs espèces d'oiseaux. En 2019, l'IPBES relevait que "le taux d'introduction de nouvelles espèces exotiques envahissantes semble s'accélérer plus que jamais et ne montre aucun signe de ralentissement".
Quelles sont les conséquences ?
La disparition des espèces et la destruction des écosystèmes représente d'abord une perte sèche pour notre patrimoine naturel. Mais tout le monde est concerné, même ceux qui sont insensibles aux charmes de la nature. Voici une liste non exhaustive des dégâts causés par la disparition de la biodiversité :
• Sur notre alimentation. L'érosion de la biodiversité est une menace pour notre assiette. "Il y a un risque que la production alimentaire s'effondre", s'inquiète Philippe Grandcolas. L'écologue cite les problèmes de pollinisation des plantes avec la disparition des pollinisateurs, la dégradation de la fertilité du sol biologique ou encore la virulence de nouveaux pathogènes (comme la grippe aviaire sur les élevages de volailles par exemple).
La destruction des forêts et des zones humides menacent l'approvisionnement en eau. Les premières jouent un rôle dans les précipitations et les secondes permettent de stocker et filtrer cette précieuse ressource. Même le vin n'est pas à l'abri. Une récente étude (en anglais) a mis en évidence le rôle crucial des guêpes dans la conservation et la diffusion des levures nécessaires à la vinification.
• Sur notre santé. En réduisant les habitats naturels et en augmentant les espaces occupés par l'homme, nous nous mettons à portée de pathogènes. "Comme les milieux sont dégradés et morcelés, les humains sont de plus en plus en contact avec des animaux réservoirs. Depuis l'an 2000, une nouvelle maladie émergente est découverte tous les 14 à 16 mois en moyenne", observe Philippe Grandcolas. Cette mise en contact est notamment l'une des hypothèses pour expliquer la pandémie de Covid-19.
Les espèces invasives, comme le moustique tigre, peuvent également diffuser des maladies dans des régions jusque-là épargnées. Des cas de dengue autochtone ont ainsi été détectés dans les Alpes-Maritimes. "D'ici 30 ans, nous risquons d'avoir la fièvre jaune, le virus zika ou le chikungunya dans l'Hexagone", avertit Philippe Grandcolas.
• Sur l'emballement du réchauffement climatique. Face au réchauffement climatique, l'homme dispose d'un atout : les milieux naturels qui absorbent 50% du CO2 (le principal gaz à effet de serre) que nous émettons. "S'il n'y avait pas ces écosystèmes en bonne santé, nous aurions déjà un réchauffement bien plus grave", insiste Camille Parmesan. En détruisant ces milieux, "nous sommes en train de transformer ces puits de carbone en sources de carbone", poursuit la chercheuse.
En clair, ils cesseront non seulement de nous aider, mais ils contribueront activement à aggraver le problème. "Si nous poussons ces écosystèmes trop loin, nous allons déclencher une boucle de rétroaction climatique. Et à un certain point, nous ne pourrons rien faire pour changer la trajectoire", prévient-elle. Les premiers signaux d'alerte de ce processus dangereux sont déjà visibles. En 2021, une étude a conclu que la forêt amazonienne a rejeté depuis 2010 plus de carbone qu'elle n'en a absorbé.
Et la France dans tout ça ?
Avec son riche patrimoine naturel, la France est touchée de plein fouet par cette crise. Selon l'Office français de la biodiversité (OFB), 78% des habitats sont en "état de conservation défavorable" et 18% des espèces ont disparu.
Quelles sont les solutions ?
Il existe heureusement des solutions pour faire face à cette crise, mais elles peinent à être mises en place. Au niveau international, la plupart des objectifs fixés à Aichi (Japon) en 2010 pour protéger la biodiversité n'ont pas été atteints. A la COP15 de Montréal, un nouveau cadre doit être négocié par la communauté internationale. En attendant, voici les solutions identifiées par les experts interrogés par franceinfo :
• Augmenter les surfaces protégées et s'assurer de leur fort degré de protection. La création de parcs naturels et autres réserves est un outil efficace pour protéger la biodiversité, à condition que cette protection soit réelle et que ces créations se fassent en accord avec les populations autochtones. "Faire des réserves bidons dans lesquelles tout le monde peut faire n'importe quoi, ce n'est pas satisfaisant", tance Philippe Grandcolas. Il est par exemple tout à fait autorisé de pêcher au chalut, une technique destructrice pour les fonds marins, dans les zones maritimes protégées françaises. Camille Parmesan insiste également sur la nécessité de restaurer les écosystèmes dégradés, en récréant par exemple des zones humides.
• Diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. Le réchauffement climatique continuera de s'aggraver tant que nous continuerons d'émettre plus de gaz à effet de serre que les puits de carbone naturels ne peuvent en absorber. En avril, le Giec a fait l'inventaire des principales solutions : l'arrêt des investissements dans les énergies fossiles, le développement des énergies renouvelables, le report sur des modes de transport moins polluants (train, vélo, marche), la diminution de la consommation de viande ou encore la rénovation des bâtiments. En France, ces émissions, principalement générées par les transports (31%), l'agriculture (19%) et l'industrie (19%), sont à la baisse ces dernières années, mais à un rythme largement insuffisant, comme l'a rappelé en juin le Haut Conseil pour le climat.
• Changer les pratiques agricoles. Emissions de gaz à effet de serre, pollution des sols et des eaux avec les pesticides et les engrais, déforestation, destruction des zones humides et des haies, élevages qui favorisent les maladies... L'agriculture industrielle pose toute une série de menaces pour la préservation de la biodiversité, qu'un changement de pratiques pourrait diminuer. Philippe Grandcolas plaide pour une "agriculture sur un modèle raisonné, si possible bio, et une agriculture vivrière, qui n'est pas tournée vers l'exportation et la nourriture pour les animaux".
• Favoriser des solutions fondées sur la nature. Derrière cette formule un peu pompeuse se cache un principe simple : utiliser la nature plutôt que de lutter contre elle. Cela peut par exemple consister à restaurer un cordon dunaire ou des tourbières plutôt que de construire des digues. Le premier protège contre l'océan quand les secondes absorbent le trop plein d'eau en cas d'inondations.
Je n'ai pas eu le temps de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?
La crise de la biodiversité, un mot qui recouvre l'ensemble des organismes vivants et des milieux naturels, est une menace pour l'avenir de nos sociétés, au même titre que le réchauffement climatique. La situation est grave : un million d'espèces sont menacées d'extinction et 75% des espaces naturels sont altérés par les activités humaines. Les principales causes de cette situation : l'expansion des terres agricoles et urbanisées, la pêche, la chasse, la récolte de bois, le réchauffement climatique, les pollutions, notamment aux pesticides, et les espèces invasives. Toutes sont liées à nos activités humaines.
Ce n'est pas un problème seulement pour les amoureux de la nature. Ces espèces et ces milieux nous rendent tout un tas de services sans lesquels nous ne pourrions pas vivre. Ils nous permettent de nous nourrir, de boire une eau potable, de respirer un air sain et d'être en bonne santé. Ce sont même des alliés précieux dans la lutte contre le réchauffement climatique, qui risque de devenir hors de contrôle si nous les laissons disparaître. Pour inverser la tendance, des solutions existent (augmentation des aires protégées, réduction des émissions de gaz à effet de serre et changement des pratiques agricoles) mais elles sont trop peu appliquées.
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