COP26 : "On a fait rentrer le nerf de la guerre, la discussion sur les énergies fossiles" dans l'accord, souligne l'Iddri, un think tank environnemental
Le texte final mentionne de plus que les pays doivent "se revoir dès l'année prochaine, et pas dans cinq ans, pour remettre sur la table de nouveau plans climat plus ambitieux", souligne le directeur de l'Iddri.
"On a fait rentrer le nerf de la guerre, c'est à dire la discussion sur les énergies fossiles, le pétrole, le gaz, le charbon" dans un accord final à l'issue d'une grande conférence internationale sur le climat, souligne dimanche 14 novembre sur franceinfo Sébastien Treyer, directeur de l'Iddri, l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales, un think tank cherchant à "proposer des outils pour placer le développement durable au coeur des relations internationales et des politiques publiques et privées".
L'accord final adopté lors de la COP26 de Glasgow, en Écosse samedi, inscrit pour la première fois de l'histoire des COP, une mention des énergies fossiles, principales responsables du réchauffement de la planète. Cependant, la question de la sortie totale du charbon n'est pas présente dans l'accord final, contrairement à une version précédente du texte, corrigée sous la pression, entre autres, de l'Inde et de la Chine. Elles n'étaient pas citées dans l'accord de Paris. "La pression politique est plus importante", estime Sébastien Treyer, qui estime que "la plupart des acteurs privés et des gouvernements" sont "convaincus que la neutralité carbone est l'horizon de la modernisation économique".
franceinfo : L'objectif fixé lors de l'accord de Paris de ne pas dépasser 1,5°C de réchauffement de la planète par rapport à l'ère pré-industrielle paraît abandonné dans les faits. Au vu des engagements pris, les experts tablent pour l'heure sur 2,4 à 2,7°C en plus. L'accord de Glasgow est-il au rabais ?
Sébastien Treyer : Ce qui est certain, c'est qu'on a encore beaucoup trop de chemin à faire pour que l'objectif d'1,5°C reste crédible. Mais il y a quand même des avancées concrètes et des changements qui ont eu lieu pendant la COP, avec une pression politique collective qui est aussi accélérée. Il est écrit dans le texte final que les pays devaient se revoir dès l'année prochaine, et pas dans cinq ans, pour remettre sur la table de nouveau plans climat plus ambitieux. Il est aussi mentionné explicitement que les pays qui n'avaient pas amélioré leur plan climat devront les améliorer l'année prochaine. C'est quelque chose qui est évidemment de l'ordre du processus, mais ça veut dire qu'on ne doit pas abandonner l'objectif d'1,5°C. On est quand même en train de de voir basculer certains pays, comme l'Inde. Elle a annoncé dès le début de la COP un objectif de neutralité carbone d'ici à 2070. Il paraît lointain, mais il est crédibilisé par un plan en cinq points qui, à moyen terme, explique comment le pays va se doter de davantage de renouvelables, de moins de charbon. L'Inde est en train de faire des efforts qui étaient, il y a encore quelques années, impensables.
Est ce qu'il n'y a pas un très grand décalage entre les satisfecits des dirigeants participants à la COP de Glasgow et la réalité du contenu de l'accord ?
Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a raison de parler d'une accélération de la conviction de la plupart des acteurs privés, et des gouvernements qui étaient présents à la Conférence de Glasgow, que la neutralité carbone est l'horizon de la modernisation économique. L'Inde et même le Nigeria ont mis des éléments sur la table relativement concrets, sur ce que l'atteinte de la neutralité carbone dans la deuxième moitié du XXIe siècle veut dire pour eux dans la décennie qui vient.
"Maintenant, il faut qu'on regarde si concrètement, les décisions d'investissement qui sont faites demain, dans l'année qui vient, seront alignées avec ces objectifs-là."
Sébastien Treyer, directeur de l'Iddrià franceinfo
On regardera notamment si la Chine continue d'ouvrir des centrales à charbon ou pas. Et je pense qu'un des enjeux de redemander des comptes aux pays dès l'année prochaine, c'est notamment de continuer à mettre la pression sur les États-Unis et la Chine. Ils ont signé un accord disant qu'ils allaient continuer à collaborer sur le climat, même si par ailleurs, ils sont en conflit sur tous les autres sujets. Notre objectif, à mon avis, est de pousser ces grands pays à revenir dès l'année prochaine avec des choses très concrètes, plus ambitieuses, mais traduites dans la réalité des investissements qui seront faits dans l'année.
Au sujet de charbon, dans l'accord final, les pays participants s'engagent à en réduire l'utilisation, la consommation pour produire de l'énergie, mais pas à le supprimer, ce qui était initialement prévu. L'Inde et la Chine, notamment, ont obtenu cet amendement qui, d'après toutes les ONG, constitue un net recul. Faut-il considérer le verre à moitié plein ou à moitié vide ?
Pour moi, c'est vraiment le résultat d'un compromis. Et donc, le texte de Glasgow est extrêmement imparfait, parce qu'il est le résultat d'un compromis. Et c'est souvent comme ça dans une négociation.
"C'est la première fois, dans un texte de déclaration d'une COP, que sont mentionnés des énergies fossiles. Même si évidemment, le texte est extrêmement dilué et ne donnera pas une grande prise pour une sortie effective du charbon."
Sébastien Treyerà franceinfo
D'habitude, les grands pays producteurs d'énergies fossiles s'opposaient à toute mention de ce type. On a fait rentrer le nerf de la guerre, la discussion sur les énergies fossiles, le pétrole, le gaz et le charbon dans le cœur des textes, ce qui est vraiment une avancée.
Un des points clés de la COP26 était de conclure des engagements pour aider les pays pauvres subissant de plein fouet le réchauffement climatique. Il n'y a aucune garantie là-dessus dans l'accord final. Greenpeace France parle de "tragédie pour l'humanité". C'est une déception pour vous ?
La formulation de l'accord de la COP est effectivement très, très molle sur l'idée du doublement des fonds pour l'adaptation au réchauffement climatique. De plus, on n'a aucune garantie que les 100 milliards de dollars par an, promis de 2021 à 2025, vont vraiment être déboursés. Et je pense que là-dessus, il y a besoin de mettre de nouveau une pression très forte dans les années qui viennent. On est plutôt à 80 milliards aujourd'hui. L'autre point qui me semble extrêmement important est que les pays demandaient un financement, un fonds spécifique pour les "pertes et préjudices", les dommages déjà subis et attribuables au changement climatique. Je pense que là aussi, il faut voir que pour beaucoup de pays du Nord, il y a une crainte que ce fonds soit difficile à gérer. Ils ne savent pas exactement comment on va attribuer ce qui est vraiment dû au changement climatique. Cependant, il y a quand même eu un déclic, un pas en avant, même si largement insuffisant pour moi, qui montre que la question des pertes et dommages est devenue politiquement légitime aujourd'hui. Les pays du Nord ne pourront pas y échapper.
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