Etats-Unis : trois questions sur l'arrêt de la Cour suprême qui complique la lutte contre le réchauffement climatique
La Cour suprême a décidé de limiter les pouvoir de l'Agence américaine de protection de l'environnement. A quel point porte-t-elle ainsi un coup à la lutte environnementale dans le pays qui porte la plus grande responsabilité historique dans les émissions de gaz à effet de serre ?
Après avoir rendu une décision en faveur du droit à porter une arme hors de son domicile et une autre limitant le droit à l'avortement, la très conservatrice Cour suprême des Etats-Unis s'est penchée sur le climat. Dans un arrêt rendu jeudi 30 juin dans le dossier opposant l'Etat de Virginie occidentale et l'Agence pour la protection de l'environnement (EPA), la plus haute instance du pays a estimé que cette dernière ne pouvait pas édicter de règles générales pour réguler les émissions des centrales à charbon.
Aux Etats-Unis, le secteur de l'énergie est responsable de 25% des émissions de gaz à effet de serre, selon les chiffres de l'EPA. Et pour cause, 20% de l'électricité provient toujours de centrales à charbon, très émettrices de CO2, le principal gaz en cause dans le réchauffement climatique. Franceinfo revient sur les enjeux de cette décision, saluée par les conservateurs et déplorée par les défenseurs de l'environnement.
Que dit la Cour suprême ?
Pour justifier sa décision de retirer à l'Agence de protection de l'environnement l'autorité pour réguler les émissions du secteur du charbon, la Cour, par l'intermédiaire du juge John Roberts, explique qu'"il n'est pas plausible que le Congrès ait donné à l'EPA l'autorité d'adopter une telle mesure". D'après lui, "une décision d'une telle ampleur et d'une telle conséquence appartient au Congrès lui-même, ou a une agence qui agit après avoir reçu une délégation claire" de la part du pouvoir législatif.
Cet argument s'inscrit dans un cadre défini par la Cour suprême et baptisé "la doctrine de question majeure" : selon ce principe, l'instance s'arroge le droit de revenir − à la majorité, bien sûr − sur une mission qu'elle estime abusivement attribuée à une agence fédérale, résume le New York Times*.
Dans le cas de l'EPA, la majorité de la Cour a donc considéré que la régulation des émissions de gaz à effet de serre de l'industrie du charbon ne relevait pas de la compétence que lui confère le "Clean Air Act". Ce texte qui date de 1970, et que l'on présente outre-Atlantique comme "la loi environnementale la plus puissante du monde", a depuis servi de support à une foule de lois contraignantes et ambitieuses en matière d'environnement. C'est lui aussi qui a établi le rôle de l'EPA, agence garante de la qualité de l'air outre-Atlantique. Seulement, quatre décennies plus tard, la Cour suprême estime que ce cadre ne permet pas de prendre des mesures pour lutter spécifiquement contre le réchauffement climatique − un défi que les législateurs de l'époque n'avaient pas en tête au moment de sa rédaction.
Toutefois, comme le pointe la juge de la Cour suprême Elena Kagan, qui a voté contre cette décision, le Clean Air Act autorise l'EPA à réguler "des polluants dont on peut s'attendre à ce qu'ils mettent en danger la santé publique et le bien-être". "Le CO2 et les autres gaz à effet de serre correspondent à cette description", souligne-t-elle dans son avis, cité par le Washington Post*. La conséquence de cette décision, c'est que "chaque fois qu'une agence fait quelque chose d'important et de nouveau, la régulation est présumée invalide, à moins que le Congrès l'ait spécifiquement autorisé à réguler ce domaine", résume pour sa part la radio publique américaine NPR*.
Quelles sont les conséquences sur le rôle de l'EPA ?
L'EPA n'avait pas été mandatée par l'administration Biden pour établir une nouvelle régulation des émissions des centrales à charbon. Cette décision, rendue le 30 juin, est en réalité l'aboutissement d'une bataille législative entamée en 2015 contre le "Clean Power Act". Ce texte, porté par l'administration de Barack Obama et abandonné à l'ère Trump, visait à aligner la politique énergétique des Etats-Unis avec ses ambitions de réduction de gaz à effet de serre, en mettant le secteur sur la voie de la transition des énergies fossiles − pétrole, gaz et charbon − vers les énergies renouvelables et décarbonées.
Le patron de l'EPA, Michael Regan, s'est dit "profondément déçu" par le choix de la Cour et a promis d'utiliser "tous les pouvoirs" de l'agence pour réduire la pollution.
Si cette décision n'affaiblit pas une loi en particulier, elle "retire un outil" à l'EPA, sans pour autant confisquer la boîte, explique sur Twitter le spécialiste du droit de l'environnement à l'université de Columbia*, Michael Gerrard. "L'EPA peut toujours réguler les gaz à effet de serre des véhicules motorisés", illustre-t-il, ou réguler autrement que par les émissions les centrales à charbon, en fixant des limites sur d'autres polluants par exemple. "L'EPA peut toujours réguler la question des fuites issues du pétrole et du gaz", tandis que cette décision n'affecte pas le pouvoir considérable des Etats et des villes, ni le développement massif des énergies renouvelables, liste-t-il.
Quels effets aura cette décision sur la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ?
Cet arrêt de la Cour suprême agit en réalité de manière préventive sur de futurs textes de l'administration Biden en faveur de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Le président a d'ailleurs dénoncé une décision "dévastatrice" et s'est engagé à continuer "à utiliser les pouvoirs qui (lui) sont attribués pour protéger la santé publique et lutter contre la crise climatique". Or, la Cour suprême "insiste pour que [les] agences obtiennent une 'autorisation claire du Congrès' mais elle sait que le Congrès est extrêmement dysfonctionnel" relève Richard Lazarus, professeur de droit environnemental à Harvard, cité par l'AFP. Elle ouvre donc le champ à d'autres jugements de la Cour suprême potentiellement paralysant, compte tenu des blocages entre Républicains et Démocrates à la Chambre des représentants et au Sénat.
Jessie Jenkins, spécialiste des énergies qui enseigne à l'université de Princeton, relativise, sur Twitter* : "Les règles environnementales n'entraînent pas traditionnellement de grandes transformations sectorielles, elles impulsent en revanche une dynamique pour prendre une trajectoire et apporter de la clarté qui guideront les investissements qui serviront de socle au changement". Il poursuit : "L'EPA peut le faire sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais c'est au Congrès que revient le fardeau d'adopter les lois qui accélèreront la transition (...). C'était vrai avant et ça le reste après" cette décision. Ironiquement, les objectifs de réduction d'émissions affichée à l'horizon 2022 dans le Clean Power Act, loi jamais appliquée, ont ainsi été largement remplis. C'est la loi du marché, et non l'EPA, qui a mis sur la touche une partie des centrales à charbon du pays, les rendant moins compétitives.
Atterrées, les organisations de défense de l'environnement américaines ont toutefois souligné l'écart avec le reste du monde. "Nous pouvons dire qu'il s'agit d'un recul dans notre lutte contre le changement climatique, alors que nous sommes déjà très en retard dans la réalisation des objectifs de l'accord de Paris", s'est inquiété pour sa part le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres. "Mais nous devons aussi nous rappeler qu'une urgence de nature aussi mondiale que le changement climatique exige une réponse mondiale, et que les actions d'une seule nation ne devraient pas et peuvent pas faire ou défaire la réalisation ou non de nos objectifs pour le climat".
* Les liens suivis d'un astérisque dirigent vers des contenus en anglais.
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