Lutte contre le dérèglement climatique : l'expert François Gemenne "préconise de miser sur les minorités agissantes"
Le co-auteur du dernier rapport du Giec dénonce la passivité du monde politique et salue l'importance du symbole de certaines actions militantes.
"L'action de Greta Thunberg a été absolument nécessaire pour faire entrer la question du climat de plain-pied dans la démocratie, maintenant il faut passer au stade d'après", plaide le politologue et co-auteur du dernier rapport du Giec François Gemenne, invité mardi 1er novembre sur France Inter. Le professeur à Sciences-Po et ex-conseiller politique de Yannick Jadot lors de la dernière présidentielle considère que la question essentielle désormais est de se demander : "Comment met-on la société en mouvement ?".
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Pointant du doigt les "limites du politique", la "posture de façade" de certains élus, François Gemenne invite à ne plus se contenter des "actions individuelles" - trier ses déchets, manger moins de viande et réduire sa consommation d'énergie - qui "ne suffisent pas mais sont nécessaires". Selon lui, il ne s'agit plus "de crier au feu dans la rue" mais "d'essayer d'éteindre l'incendie" et de se demander surtout "comment on soutient ceux qui essaient d'éteindre l'incendie".
François Gemenne "préconise" pour cela de "miser sur les minorités agissantes, déterminées, dans les entreprises et dans la société civile". Selon lui, "les grands changements sociaux intervenus à travers l'histoire étaient bien plus souvent le fait d'une minorité déterminée que d'une majorité conscientisée", citant par exemple le rôle "des alliances" et "l'organisation" des groupes afro-américains qui sont parvenus "à entraîner le reste de la population" pour mettre fin à la ségrégation raciale aux États-Unis.
Toutes les actions ne se valent pas
Alors que les mouvements de désobéissance civile multiplient leurs actions ces derniers mois pour dénoncer l'inaction des gouvernements et du monde économique, François Gemenne salue "l'importance" du symbole induit par certaines de ces actions. Lundi 31 octobre au matin, un militant écologiste du collectif "Dernière rénovation" est par exemple monté sur le toit du Panthéon, à Paris, pour mettre le drapeau français en berne, s'attachant au mât avec un cadenas avant de redescendre. "Mettre en berne le drapeau du Panthéon, où sont enterrés les grands hommes de l'histoire de France, c'est montrer à quel point la lutte contre le changement climatique pourrait devenir un grand projet politique pour le pays, et ne l'est pas", affirme l'expert du climat.
François Gemenne précise toutefois que toutes les actions ne se valent pas, considérant que certaines desservent même la cause écologique, citant par exemple les actions qui visent à jeter de la soupe ou de la purée sur des œuvres d'art. Pour le politologue, "verser de la soupe sur un Van Gogh, attaquer l'art" pour se demander "ce qui est plus important entre la vie ou l'art" revient à provoquer une "conversation pour les critiques d'art", sans toucher la société. Il regrette par ailleurs le fait que la culture soit attaquée "comme si elle était un problème alors qu'elle fait partie de la solution", dénonçant "un message assez catastrophique". "Il y a déjà tellement de gens qui veulent décrédibiliser la lutte contre le changement climatique, pourquoi voudriez-vous leur donner des munitions supplémentaires ?", s'insurge-t-il.
François @Gemenne : "Jeter de la soupe sur un Van Gogh, quel est le symbole ? Quand on fait une action, est-ce qu'on la fait pour soi-même, pour récolter des vues sur TikTok, ou au contraire pour faire passer un message ?" #le7930inter pic.twitter.com/TLPXuMW0HW
— France Inter (@franceinter) November 1, 2022
Concernant les manifestations contre "les bassines", ce projet de méga stockage d'eau destiné à alimenter l'agro-industrie dans les Deux-Sèvres, François Gemenne évoque des "luttes importantes" mais "regrette beaucoup" la tournure des événements le week-end dernier. Au-delà du tag inscrit sur la voiture de Yannick Jadot, un "acte inqualifiable", l'expert du climat dénonce l'emploi du mot écoterrorisme par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, qui lui "paraît inconséquent et irresponsable". François Gemenne rappelle qu'en 10 ans, "entre 2012 et 2021, 1 700 activistes pour l'environnement ont été assassinés". "Il est là le véritable écoterrorisme", résume-t-il.
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