Indonésie : l'Etat français n'exclut pas de financer un projet d'usine de nickel lié à la déforestation de milliers d'hectares, dénonce l'association Canopée
En mai 2023, le gouvernement annonçait la création d'un nouveau fonds d'investissement pour faciliter l'accès aux métaux critiques, cruciaux pour l'électrification des transports, très émetteurs de CO2. Il "appliquera les meilleurs standards sociaux et environnementaux dans les projets qu'il soutiendra", assurait alors le ministère de l'Economie. L'association de défense des forêts Canopée a publié, mardi 27 février, une enquête sur le possible financement, par ce nouveau fonds, de "projets entraînant déforestation et violations de droits humains, comme (...) Weda Bay en Indonésie".
Weda Bay est situé sur l'île d'Halmahera, dans le nord-est de l'Indonésie, une zone largement recouverte de forêt primaire. Elle abrite "la première mine de nickel au monde", d'après la société française Eramet, qui participe à plus d'un tiers de la gestion de la mine.
Localement, l'extraction de ce métal stratégique pour la transition énergétique a déjà causé la déforestation de "2 000 hectares depuis 2020 (...) sur un total de 6 000 hectares prévus", d'après Canopée. Le défrichement de l'île, où "des dizaines d'autres acteurs sont présents", précise à franceinfo Eramet, est visible en rouge sur la carte de l'ONG Global Forest Watch ci-dessous. Elle est pourtant "extrêmement riche en biodiversité" et le territoire d'un peuple autochtone, les Hongana Manyawa, alerte l'association. L'ONG américaine Climate Rights International avait déjà dénoncé la situation en janvier, écrivant qu'"au moins 5 331 hectares de forêts tropicales [avaient] été coupés dans les concessions de nickel de Halmahera".
De son côté, Eramet, dont 27% du capital est détenu par l'Etat, refait le compte : "On travaille sur une concession de 45 000 hectares, dont seulement 15% pourraient être utilisés à terme, sur des dizaines d'années, dans notre plan minier et donc affectés par nos activités, via le transport, le stockage, le logement des salariés ou l'extraction." Soit 6 750 hectares, donc. "On a conscience que notre activité a un impact. On veut le contrôler, le compenser", assure l'entreprise à franceinfo. Elle explique suivre "les normes environnementales les plus strictes du secteur" et "réhabiliter et revégétaliser" le secteur et d'autres zones à hauteur de "1 944 hectares depuis 2020".
Les critères pour bénéficier du fonds encore inconnus
Dans ce contexte, l'entreprise réfléchit à créer une nouvelle usine de transformation du nickel extrait à Weda Bay, un projet appelé Sonic Bay. "On est en train de voir quels pourraient être les investissements. L'usine serait installée sur des zones côtières, déjà industrialisées", souligne Eramet. Parmi les investissements possibles, le fonds d'investissement dédié aux minerais et métaux critiques du gouvernement. "Nous avons posé la question lors de notre rendez-vous à Bercy sur le financement possible du projet Sonic Bay : 'L'investissement du fonds stratégique dans Sonic Bay n'a pas été acté, mais il pourrait rentrer dans les projets concernés'", cite Canopée. Une possibilité confirmée à franceinfo par Eramet, qui précise : "Oui, Sonic Bay pourrait être éligible à ce fonds, mais le fonds n'est pas encore lancé, et on ne connaît pas les critères [pour en bénéficier]."
Du côté du ministère de la Transition écologique, interrogé par franceinfo, même réponse : "Le fonds métaux d'InfraVia, soutenu par l'Etat, est en cours de création, pas encore en phase d'investissement, aucune décision d'investissement n'a par conséquent été prise à ce stade". Par la suite, "chaque projet sera évalué au cas par cas", décrit le ministère, qui n'exclut donc pas le financement du projet. Et défend entre les lignes le projet d'Eramet, qui "s'engage à un reboisement ou à une compensation avec une perte nette de biodiversité dans les zones minières qui soit nulle", salue-t-il.
Les critères précis de financement sont en cours d'élaboration, "en coordination régulière avec l'Etat et les experts", continue le ministère. L'exécutif assure encore que ces critères tiendront compte de "l'impact carbone, la biodiversité, l'eau, les déchets et l'impact sur les populations locales". Mais l'association Canopée s'inquiète pour le moment de l'"opacité" du système.
"Ce fonds a-t-il prévu des critères robustes pour éviter de provoquer de la déforestation en ouvrant des mines ?"
l'association de défense des forêts Canopéedans un communiqué
"Le gouvernement a défendu une position ambitieuse contre l'exploitation minière des fonds marins, mais pour l'exploitation dans les forêts, c'est un non-sujet. Une position en totale contradiction avec l'image de grand défenseur des forêts qu'essaie de se donner le président Macron", dénonce Klervi Le Guenic, chargée de campagne chez Canopée.
La France a en effet fait de ce sujet un combat, notamment via sa stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, l'Europe ayant déjà acté l'interdiction des importations de produits issus de la destruction des forêts. Mais le secteur des minerais et métaux stratégiques n'est pas couvert par ces deux stratégies, de l'aveu du ministère de la Transition écologique. "Cependant, et cela reste un sujet important, la déforestation provoquée par les activités minières doit être davantage évaluée et objectivée pour limiter l'impact des ouvrages et infrastructures minières autorisées sur les forêts dites 'primitives', puits de carbone et réservoirs de biodiversité", assure le ministère à franceinfo.
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