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Limitation à 110 km/h sur l'autoroute : les critiques contre la mesure proposée par la convention climat sont-elles fondées ?

D'après une étude, la diminution de la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes entraînerait une baisse du nombre de morts et de blessés, ainsi qu'une réduction de la pollution. Toutefois, le coût socio-économique de la mesure pourrait être important.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Une portion de l'autoroute A33 à Saint-Nicolas-du-Port (Meurthe-et-Moselle), le 1er juin 2016. (MAXPPP)

Des 149 changements proposés au gouvernement par la convention citoyenne pour le climat, il est celui qui provoque les débats les plus virulents. Les 150 citoyens tirés au sort suggèrent de réduire la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes de 130 à 110 km/h. Une mesure qui pourrait permettre de réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre sur les trajets autoroutiers.

Cette diminution de 20 km/h suscite de vives critiques. Mais les opposants à la mesure disent-ils vrai ou "fake" ? Franceinfo a examiné de près leurs arguments.

"Il y aura plus d'accidents" : pas vraiment

L'association 40 millions d'automobilistes, qui a lancé une pétition contre cette proposition de réforme, fait valoir que l'abaissement de la vitesse autorisée sur les autoroutes de 20 km/h "ne permettrait [pas] une amélioration de la sécurité des usagers". Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes (ici ou par exemple) jugent même qu'en roulant à 110 km/h au lieu de 130, il y a aura plus d'accidents, car, selon eux, les véhicules rouleront plus près les uns des autres, et la vitesse plus faible rendra le risque d'endormissement plus grand.

Le scénario d'une limitation de la vitesse autorisée à 110 km/h sur les autoroutes a fait l'objet d'une analyse (PDF), en 2018, du commissariat général au développement durable sous l'égide du ministère de la Transition écologique et solidaire. D'après les modélisations mathématiques, ces 20 km/h de moins sur les autoroutes permettraient d'éviter 22 morts, 198 blessés graves hospitalisés et 1 852 blessés légers par an.

Le passage à 110 km/h aurait toutefois un impact limité du fait d'un "taux d'accidents déjà très faible sur les autoroutes", note le rapport. "Les routes à chaussées séparées ont un taux d'accidents mortels quatre fois inférieur à celui des routes bidirectionnelles", précise-t-il.

"Il n'y aura pas moins de pollution" : plutôt faux

L'association 40 millions d'automobilistes souligne que la limitation à 110 km/h sur les autoroutes n'engendrerait pas de réduction des émissions polluantes. L'argument est également avancé par de nombreux internautes sur les réseaux sociaux. Les voitures rouleraient en 5e plutôt qu'en 6e, elles seraient alors en surrégime et consommeraient plus de carburant, sans compter qu'il y aurait plus d'embouteillages et donc plus de pollution.

L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a tenté de faire le point sur cet aspect du problème dans une synthèse d'étude (PDF) datant de 2014. L'Ademe constate que "sur les voies rapides de type route/autoroute, la majorité des études montre que la limitation de vitesse entraîne une diminution des émissions ou des concentrations de polluants".

Ainsi, sur les 16 études examinées par l'Ademe, 12 concluent que la réduction de la vitesse sur les routes ou les autoroutes "entraîne une diminution des émissions et/ou des concentrations de polluants", note l'agence. "La baisse des émissions peut atteindre 20% pour les oxydes d'azote [NOx] et les PM10 [particules fines] et celle des concentrations de polluants dans l'air ambiant pouvant atteindre 8% selon les polluants", résume l'Ademe.

Mais ce constat mérite d'être nuancé. Aucune des études passées en revue par l'Ademe ne teste spécifiquement le scénario d'un passage de 130 à 110 km/h sur autoroute. Certaines évaluent des cas approchants. L'Ademe reconnaît que les résultats sont "très dispersés et fortement dépendant des spécificités des axes, des zones étudiées, du comportement des conducteurs et des outils d'évaluation utilisés".

Sur l'autoroute A9, la Languedocienne, le passage de 130 ou 110 à 90 km/h s'est soldé par une baisse du CO2 et du NOx de 17% et des particules fines en suspension (PM) de 14%. Sur le périphérique toulousain, l'abaissement de la vitesse autorisée de 110 à 90 km/h à l'été 2006 s'est accompagné d'une chute du NOx et du CO2 de 10% et des PM10 de 18 à 20%. Autour de ,, l'abaissement de la vitesse de 20 km/h (de 110 à 90 km/h) a entrainé une réduction de 10% du NOx et de 25% des PM. En outre, ajoute l'Ademe, "la limitation de vitesse permet d'agir sur le trafic en le fluidifiant et en réduisant la congestion".

Une telle baisse est également mentionnée dans la note d'analyse du commissariat général au développement durable.

En roulant moins vite, les véhicules consomment généralement moins de carburant et émettent donc moins de CO2.

Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable

La réduction de la vitesse de 130 à 110 km/h entraîne une légère baisse de la consommation de carburant de 5,12%, lit-on dans le rapport. Ce carburant économisé permet d'émettre 1,45 million de tonnes de CO2 par an.

"C'est non nul, mais ce n'est pas énorme", relativise Pierre-Yves Péguy, directeur du Laboratoire aménagement économie transport (LAET), rattaché notamment au CNRS et à l'université Lumière Lyon 2. "C'est à rapporter au montant global des émissions de gaz à effet de serre dans les transports en France." Elles étaient de 135 millions de tonnes équivalent CO2 en 2015, selon l'estimation de l'Insee. La baisse induite par le passage au 110 km/h serait donc de l'ordre de 1%.

"Il y aura plus de voitures et d'accidents sur les routes secondaires" : plutôt vrai

Au micro de RTL, le député LREM de la Sarthe, Damien Pichereau, fait part de ses craintes. L'élu redoute notamment "un report sur les routes secondaires", "avec tout le risque d'accidentologie qu'on peut avoir derrière", insiste-t-il.

Les craintes du député sont fondées. L'instauration du 110 km/h sur les autoroutes pousserait certains conducteurs à les délaisser au profit des nationales ou des départementales. "Ceux qui ont une valeur du temps relativement élevée vont toujours préférer rouler à 110 km/h plutôt qu'à 80 km/h. Mais pour d'autres, l'autoroute va devenir trop chère par rapport au gain de temps et ils vont se reporter sur le réseau national", expose Laurent Carnis, directeur de recherche à l'université Gustave-Eiffel de Marne-la-Vallée. Un calcul déjà fait par certains internautes sur les réseaux sociaux. "Mais ce report restera contenu", estime l'économiste spécialiste de l'économie de la sécurité routière.

Cette hausse du trafic sur le réseau secondaire aurait pour conséquence une légère hausse des accidents et de la mortalité sur ces routes, selon le rapport du commissariat au développement durable. D'après les projections, il y aurait 3 morts, 10 blessés graves hospitalisés et 331 blessés légers de plus sur les nationales. Sur les départementales, la hausse serait de 6 morts, 40 blessés graves hospitalisés et 84 blessés légers.

Mais en comptant les victimes évitées sur les autoroutes (22 morts, 198 blessés graves hospitalisés et 1 852 blessés légers en moins), le bilan humain global des accidents resterait très nettement favorable au 110 km/h. "Il apparaît que les effets indirects, liés au report de trafic vers des réseaux RN [routes nationales] et RD [routes départementales] plus accidentogènes, restent relativement faibles, conclut le rapport. Les effets directs liés à la baisse de vitesse sur les autoroutes sont prépondérants."

"Le coût économique sera considérable" : ça dépend

L'association 40 millions d'automobilistes critique le "coût économique très important pour les automobilistes et l'ensemble de la société française" d'un abaissement de 20 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les autoroutes. L'association s'appuie sur l'analyse des coûts et des bénéfices de la mesure sur un an, calculée par le commissariat général au développement durable. Ce dernier a pris en compte la perte de temps, la consommation de carburant, l'installation des nouveaux panneaux de signalisation, la pollution générée, mais aussi le coût financier des accidents.

Le rapport conclut à "un bilan socio-économique très négatif" de la limitation à 110 km/h, "de l'ordre de -550 millions d'euros" par an. Les deux principales économies faites sont limitées. Le gain est de 360 millions d'euros par an sur la consommation de carburant. Le taux d'accidents étant déjà très faible sur les autoroutes par rapport au reste du réseau, le bénéfice n'est que de 150 millions d'euros par an.

En revanche, les pertes occasionnées s'avèrent importantes. Les désagréments pour les automobilistes en matière de temps constituent le principal point noir. Le coût est estimé à près de 1,15 milliard d'euros. Or "la société aujourd'hui valorise le temps", souligne l'économiste Pierre-Yves Péguy. Pour les concessionnaires d'autoroutes, le report d'une partie du trafic vers le réseau secondaire se solde également par une perte de 76 millions d'euros.

"Les scénarios d'abaissement de la [vitesse maximale autorisée] sur les autoroutes ont peu d'intérêt à être mis en œuvre (ou a minima pas de manière globale au niveau national)", tranche le rapport.

"Ce bilan socio-économique ne marche que si les conducteurs roulent effectivement à 110 km/h. Si ce n'est pas le cas, les effets sur le temps de trajet, l'accidentalité ou la pollution ne seront pas totalement ceux attendus", pointe l'économiste Laurent Carnis. "Aujourd'hui, sur l'autoroute, il y a des automobilistes qui roulent au-dessus de 130 km/h et d'autres au-dessous. Demain, si la mesure est mise en œuvre, les conducteurs ne rouleront pas non plus tous à 110 km/h. Les effets attendus vont dépendre de l'effectivité de la mesure elle-même", souligne l'universitaire.

Décider ou non de limiter à 110 km/h la vitesse sur les autoroutes au nom de la lutte contre la pollution pose également "la question de la valeur qu'on donne à la pollution évitée", relève l'économiste.

Plus vous donnerez une valeur importante à la pollution, plus elle pèsera dans ce bilan socio-économique et plus il sera justifié de prendre des mesures contre les émissions polluantes.

Laurent Carnis

à franceinfo

Cela pose aussi la question de "la valorisation des dommages, de l'atteinte au corps et à la vie humaine", insiste le chercheur.

La dernière question, non des moindres, soulevée par cette proposition est celle de son acceptabilité par la population. Depuis "la sortie du confinement, on observe de grands excès de vitesse ; le rapport à la voiture est exacerbé", observe Laurent Carnis. De plus, ajoute-t-il, "on n'en a pas encore fini avec le 80 km/h , l'évaluation est en cours, certains départements sont repassés à 90 km/h". Et Laurent Carnis de s'interroger : "La société française est-elle prête à faire ce choix de perdre du temps ?"

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