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Cinq questions sur le chlordécone, le pesticide qui a empoisonné les Antilles pour plusieurs siècles

Cet insecticide, massivement utilisé depuis les années 1970 dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique, est notamment accusé d'être responsable de nombreux cancers de la prostate. Une commission d'enquête doit rendre ses conclusions mardi.

Article rédigé par franceinfo avec AFP et Reuters
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Une plantation de bananes à Petit-Bourg, en Guadeloupe, le 9 avril 2018. (HELENE VALENZUELA / AFP)

Un scandale méconnu en métropole, finalement disséqué par la représentation nationale. Après six mois d'auditions, la commission d'enquête parlementaire sur l'utilisation aux Antilles du chlordécone, pesticide ultradangereux qui a pollué les sols à long terme, rend ses conclusions mardi 26 novembre.

Qu'est-ce que le chlordécone ? Comment a-t-il été utilisé en Guadeloupe et en Martinique ? Avec quelles conséquences sur la santé des habitants et sur la nature ? Franceinfo fait le tour de ce dossier, qu'Emmanuel Macron qualifie lui-même de "scandale environnemental", comme le signale Martinique La 1ère.

1Qu'est-ce que le chlordécone ?

Le chlordécone est un pesticide très toxique, classé comme cancérogène possible dès 1979 par l'Organisation mondiale de la santé. Interdit dès 1977 aux Etats-Unis, puis en France en 1990, ce produit a toutefois été utilisé par dérogation en Guadeloupe et en Martinique jusqu'en 1993.

2Pourquoi a-t-il été utilisé aux Antilles ?

Le chlordécone est d'une efficacité redoutable pour venir à bout d'un insecte : le charançon du bananier. Originaire d'Asie, le charançon a la fâcheuse tendance d'affaiblir le tronc des bananiers, parfois jusqu'à les tuer. Or la banane est un véritable trésor en Guadeloupe et la Martinique : ces îles en produisent 270 000 tonnes chaque année, dont 70% sont commercialisées en métropole, rapporte le site internet d'un regroupement de professionnels de la filière.

Le chlordécone y a donc été massivement répandu pour préserver ce secteur d'activité, qui emploie actuellement 10 000 personnes, soit la moitié des salariés agricoles de Guadeloupe et de Martinique, rappellent nos confrères de La 1ère.

3Quels sont ses effets sur l'environnement et la santé ?

Le chlordécone a été tellement utilisé dans les Antilles que des traces de ce pesticide ont été retrouvées dans les sols, les rivières, le littoral marin mais également sur des animaux et dans les organismes des habitants. Selon une étude de Santé publique France publiée en 2018 (document PDF), 92% des Martiniquais et 95% des Guadeloupéens sont aujourd'hui contaminés par ce pesticide.

Or, le chlordécone est un pertubateur endocrinien reconnu, et "même à très faible dose, il peut y avoir des effets sanitaires", indique au Monde Sébastien Denys, directeur santé et environnement de Santé publique France. Y être exposé accroît ainsi les risques de prématurité, de troubles du développement cognitif et moteur des nourrissons.

Ce pesticide est aussi accusé d'augmenter les risques de cancers de la prostate. Or, avec 227 nouveaux cas pour 100 000 habitants en Martinique et 184 en Guadeloupe, soit des taux deux fois plus élevés qu'en métropole, "les Antilles sont champions du monde des cancers de la prostate", rappelle André Cicolella, toxicologue et président du Réseau Environnement Santé. Une étude menée sur 326 patients guadeloupéens publiée en mars a en outre montré que le risque de récidive de cancer de la prostate était multiplié par plus de deux chez les patients les plus exposés à ce perturbateur endocrinien.

Comme si cela ne suffisait pas, les traces de chlordécone sont encore là pour longtemps, malgré l'interdiction du produit. Selon Le Monde, certains sols peuvent en contenir des traces jusqu'à 700 ans. De quoi condamner plusieurs générations d'Antillais à vivre avec cette intoxication.

4Quel rôle a eu l'Etat dans ce scandale ?

Le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur le sujet dévoilé lundi par Le Monde (réservé aux abonnés) montre que les autorités françaises étaient au fait de la dangerosité de la molécule dès 1969, soit un an après la première demande d'homologation du pesticide. Mais année après année, et malgré "de multiples alertes" venues des scientifiques et d'ouvriers au contact des bananiers sur le terrain, les autorités maintiennent l'autorisation du chlordécone, relatent les parlementaires.

Il faudra attendre que l'Union européenne publie une directive sur les pesticides en 1991 pour que la France revienne sur sa décision. Mais deux ministres de l'Agriculture de François Mitterrand, Louis Mermaz et Jean-Pierre Soisson, ont accordé une dérogation pour que les Antilles puissent continuer à utiliser ce pesticide jusqu'en 1993. L'Etat a également traîné des pieds pour traiter les stocks restés sur l'île, puisque la première campagne de récupération du chlordécone a eu lieu en 2002.

Pour expliquer ce déni face à l'évidence, la commission d'enquête pointe du doigt "l'intense lobbying des groupements de planteurs et des industriels, les interventions de certains élus et le soutien explicite des services locaux du ministère de l'Agriculture en faveur d'une 'molécule miracle' jugée indispensable pour l'équilibre de l'économie antillaise", relate le quotidien du soir.

5Que va-t-il se passer maintenant ?

Justine Benin, députée MoDem de Guadeloupe et rapporteure de la commission d'enquête parlementaire sur le chlordécone, doit désormais proposer une série de mesures de réparations des préjudices économiques, notamment pour les filières de l'agriculture et de la pêche.

En matière de réparation aux malades, la création d'un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, inscrite dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2020 récemment adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, apporte une première réponse. Celle-ci reste toutefois "limitée" et "incomplète", ont déploré à plusieurs reprises les membres de la commission d'enquête lors des auditions.

Justine Benin doit également proposer des pistes pour améliorer la prévention et la recherche scientifique afin de mieux connaître les impacts sur la santé mais aussi trouver des solutions pour dépolluer les sols. Les auditions ont en effet mis en lumière des défaillances en la matière.

Enfin, face aux insuffisances des différents "plans chlordécone" lancés par l'Etat depuis 2008 pour tenter de réduire l'exposition des Antillais à ce pesticide, la rapporteure prévoit des préconisations pour le quatrième plan. Celui-ci est prévu en 2020.

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