Glyphosate : ce que contient vraiment le rapport parlementaire controversé
L'un des rapporteurs, le sénateur Pierre Médevielle, a fait polémique dimanche a affirmant "qu'en l'état actuel de nos connaissances, le glyphosate est moins cancérogène que la charcuterie ou la viande rouge". Mais le texte, que franceinfo a pu consulter, ne permet pas de tirer de telles conclusions.
"Le glyphosate est moins cancérogène que la charcuterie ou la viande rouge qui, pourtant, ne sont pas interdites." Avec cette petite phrase lancée lors d'un entretien à La Dépêche du Midi, dimanche 12 mai, le sénateur UDI Pierre Médevielle a déclenché un vif débat sur l'herbicide créé par Monsanto. Son propos était présenté dans les colonnes du quotidien régional comme "les conclusions de l'enquête parlementaire conduite pendant 15 mois sur le glyphosate et qui sera dévoilée ce jeudi" 15 mai. "Vous ne lirez pas cela dans le rapport car cela n'y a jamais été, a répliqué le député Cédric Villani, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) qui a commandé l'étude. C'est la conclusion que tire Pierre Médevielle à titre personnel."
De fait, le texte, que franceinfo a pu consulter, porte en réalité sur l'évaluation des risques par les agences sanitaires. Il se garde bien de trancher la controverse autour de l'herbicide. Un membre de l'OPECST voit dans les déclarations de son collègue un "sabotage du travail collectif". "Nous craignons vivement que cette polémique, sans rapport avec les conclusions du rapport, nuise totalement à leur compréhension", déplore notre interlocuteur. Voici ce qu'il faut retenir de ce texte.
Son objectif : "Eclairer le Parlement sur l'indépendance et l'objectivité" des évaluations
Le rapport a été mené par deux députés (Philippe Bolo et Anne Genetet) et deux sénateurs (Pierre Médevielle et Pierre Ouzoulias) sous l'égide de l'OPESCT. Dans leur avant-propos, les parlementaires expliquent qu'ils ont été missionnés "afin d'éclairer le Parlement sur 'l'indépendance et l'objectivité des agences européennes chargées d'évaluer la dangerosité des substances mises sur le marché'". En clair, "évalue-t-on correctement les risques que l'on prend chaque fois que nous utilisons une nouvelle technique, que nous mettons sur le marché un nouveau produit ?".
Au cœur de cette interrogation, "l'impression de cacophonie laissée par l'épisode du glyphosate". L'herbicide est classé cancérogène probable pour l'homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une institution relevant de l'Organisation mondiale de la santé, mais pas par les agences d'évaluation européenne, française ou américaine. "Le sentiment que les évaluations sont biaisées et tendent à sous-estimer la réalité des risques encourus pour la santé humaine ou pour l'environnement perdure et la controverse sur la qualité d'évaluation des risques par les agences à qui ce travail a été confié marquent régulièrement l'actualité", peut-on lire dans le rapport. Le rapport évoque plus loin l'exemple de l'amiante, "emblématique d'une collusion entre acteurs pour minimiser les risques encourus".
L'objectif des parlementaires mandatés par l'OPESCT est de réfléchir aux moyens de "créer une plus grande confiance entre experts et citoyens, afin que la gestion des risques repose sur des bases rationnelles et transparentes et non pas sur la capacité de certains acteurs à susciter dans l'opinion publique des émotions permettant d'emporter la décision".
Sur le glyphosate : le rapport ne tranche pas
Sur 155 pages, le rapport n'en consacre que 17 au "cas du glyphosate". Après quelques éléments de contexte sur le produit, sa consommation (8 000 tonnes par an en France) et son histoire, les parlementaires passent en revue les différentes évaluations de l'herbicide. "S'appuyant sur des sources multiples, la monographie n° 112 du CIRC classe le glyphosate dans la catégorie 2A, c'est-à-dire des cancérigènes probables, compte tenu de preuves limitées de cancérogénicité chez les humains, de preuves suffisantes de cancérogénicité chez les animaux et de la mise en évidence de mécanismes qui jouent dans la formation des cancers", écrivent-ils.
A l'inverse, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), a "adopté ses conclusions le 12 novembre 2015, estimant qu'il était 'improbable que le glyphosate fasse courir aux humains un danger cancérogène' et que les preuves n'étaient pas réunies pour effectuer un classement du glyphosate comme cancérogène". Un avis partagé par les agences japonaise, canadienne, australienne, américaine et française, mais pas par l'agence californienne. Cette évaluation de l'EFSA est jugée par le rapport "plus complète" que celle du CIRC "car le champ de ses investigations ne se limite pas à la cancérogénicité et s'étend à un ensemble plus large d'effets sur la santé".
Le rapport aborde ensuite "les critiques des travaux des agences", alimentées par les "Monsanto Papers" qui "laissent penser que la société américaine cherche depuis des décennies à minimiser les risques liés au glyphosate". Il rappelle également que l'EFSA a été critiquée pour avoir repris des "parties entières du dossier d'évaluation préparé par les industriels", pour avoir écarté certaines études et pour son manque de transparence. Les parlementaires soulignent aussi les critiques adressées au CIRC : sélection des études jugée biaisée par certains, classement théorique qui ne prend pas en compte la réalité des expositions de l'homme.
Le rapport ne tranche pas entre le CIRC et l'EFSA. Il note que cette "différence d'appréciation (...) laisse tout de même perplexe le grand public comme les décideurs politiques" et qu'elle favorise "l'émergence d'une crise de confiance vis-à-vis de l'expertise". Pour tenter d'expliquer cette divergence sur le caractère cancérogène du glyphosate, le rapport explique que "le CIRC et l'EFSA ne fondent pas leur analyse exactement sur les mêmes sources" : le premier ne tient compte que des études publiées quand la seconde utilise également les études non publiques des industriels. Le premier s'intéresse à tous les produits à base de glyphosate quand la seconde se concentre sur la substance active.
Autre explication : chaque organisme a "sa propre grille d'appréciation du poids des preuves". "Au final, l'EFSA semble avoir plus d'exigences que le CIRC pour mettre en évidence un lien significatif entre cancer et glyphosate, ce qui peut expliquer deux évaluations dont les conclusions ne vont pas dans le même sens", écrivent les parlementaires.
Ses conclusions : le système actuel est "incomplet et imparfait"
Dans la troisième et dernière partie du rapport, les quatre parlementaires estiment qu'il y a un "nouveau modèle d'évaluation des risques à construire", pour répondre à la "défiance" des citoyens face aux industriels – dont les pratiques "contestables" sont "bien documentées" –, aux scientifiques et aux décideurs publics. Les rapporteurs jugent qu'aujourd'hui, cette évaluation, telle qu'elle est menée par les agences nationales ou européennes, "est un exercice incomplet et imparfait".
Pour y remédier, le rapport propose de "perfectionner le dispositif d'évaluation des risques", en obtenant notamment davantage de "données indépendantes". Aujourd'hui, "l'essentiel voire la totalité des données utilisées pour chaque analyse provient des industriels pour une raison simple : seuls les acteurs économiques s'inscrivent dans un processus de commercialisation, et eux seuls ont un intérêt à produire des données sur leurs substances ou leurs produits". Les parlementaires préconisent donc de permettre aux agences de réaliser ou de commander leurs propres études.
Les parlementaires recommandent aussi "de développer les instruments de surveillance en situation réelle des effets des produits réglementés" et de "développer des outils de compréhension des risques cumulés". Aujourd'hui, les systèmes existants ne permettent de faire remonter que les "anomalies majeures", pas les effets à long terme ou l'effet cocktail de plusieurs substances. Bien que "prometteuses", les méthodes de surveillance continue des effets réels sur la santé "sont encore pour l'instant peu développées".
Parmi les 13 recommandations du rapport, on trouve enfin la nécessité que les agences d'évaluation fassent preuve de plus de transparence, en mettant à disposition les données pour "permettre une contre-expertise citoyenne" et les "liens d'intérêt" de leurs personnels et experts. Les parlementaires proposent aussi de mieux communiquer avec le grand public pour "lutter contre les peurs irrationnelles non fondées sur des faits" et "faire connaître les risques existants".
> L'intégralité du rapport est désormais disponible sur le site de l'Assemblée nationale.
Rapport parlementaire sur l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences by franceinfo on Scribd
>>>Regardez jeudi 16 mai le sujet d'Envoyé spécial sur "Les fichiers secrets de Monsanto"
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