: Enquête France 2 Glyphosate : des centaines de personnalités secrètement fichées et ciblées en fonction de leur soutien à Monsanto
Des documents confidentiels d'agences de communication travaillant pour Monsanto révèlent un fichage de leaders d'opinion ainsi que des stratégies de lobbying personnalisées.
Ils ne le savent pas, mais ils sont sous étroite surveillance. L'Œil du 20 heures a découvert que des centaines de scientifiques, politiques et journalistes ont été secrètement fichés par des agences de communication travaillant pour l'entreprise américaine Monsanto. Des données personnelles mais aussi leurs positions sur les pesticides ont été secrètement répertoriées.
Depuis des années, le glyphosate, herbicide vedette de Monsanto, suspecté d’être cancérogène, est sous le feu des critiques. Les documents épluchés par l'Œil du 20 heures dévoilent la mise en place de stratégies de lobbying personnalisées pour influencer des leaders d'opinion dans le débat public sur cette molécule controversée.
Des documents inédits de fichage
Une fuite de documents confidentiels, qui portent la signature d'une agence de communication travaillant pour Monsanto, a permis aux journalistes de l'Œil du 20 heures de mettre la main sur des documents inédits.
Le premier de ces documents est un graphique avec les logos de Monsanto et de l'agence Publicis, daté de 2016, qui cartographie des acteurs cruciaux dans le débat sur le glyphosate en France, classés en fonction de leur degré de soutien à Monsanto et de leur influence.
Le président exécutif de Publicis Consultants, Clément Léonarduzzi, qui n’était pas en place au moment des faits, affirme découvrir que sa société a participé à un fichage de personnalités se basant, selon lui, uniquement sur des données en libre accès. Il affirme condamner ces pratiques.
Le deuxième fichier consulté par l'Œil du 20 heures va, lui, bien au-delà de données publiques. Adresse privées, téléphones sur liste rouge : un document, là encore daté de 2016 et qui aurait été utilisé par l'agence de communication Fleishman-Hillard, répertorie deux cents personnalités évaluées sur plusieurs thématiques, des OGM aux pesticides. Ces personnes y sont notées de zéro à cinq en fonction de leur crédibilité, de leur influence, et de leur degré de soutien à Monsanto.
D'après la loi, tout citoyen fiché doit en être informé. Tenir un listing illégal est passible de cinq ans de prison et 300 000 euros d'amende. Sur la quarantaine de personnes listées qui ont accepté de répondre aux sollicitations de l'Œil du 20 heures, aucune n'était au courant d'avoir été fichée de la sorte.
Le nouveau propriétaire de Monsanto, Bayer, nous a répondu ne pas avoir connaissance de ces fichiers, et a renvoyé les journalistes de l'Œil du 20h vers Fleishman-Hillard. L’agence, elle, assure ne pas avoir identifié les documents révélés, ni avoir connaissance d'un agissement non conforme d’un de ses collaborateurs.
Des cibles prioritaires avec des stratégies de communication adaptées
Les personnalités fichées par Monsanto n'ont pas seulement été notées. Elles sont également ciblées par des stratégies de lobbying personnalisées. Parmi les documents reçus par l'Œil du 20 heures figure une liste appelée "Glyphosate target". Elle recense 74 cibles prioritaires divisées en quatre groupes : les "alliés", les "potentiels alliés à recruter", les intervenants "à éduquer", et ceux "à surveiller".
Deux tiers des cibles listées dans ce fichier sont classées comme susceptibles de devenir pro-glyphosate. Pour les faire pencher du côté de Monsanto, ce tableau développe un plan d'action personnalisé pour chaque cible : rendez-vous en tête-à-tête, envoi d'outils pédagogiques… ainsi que des commentaires individualisés : "Il pourrait être un relais mais ne veut pas être directement associé à Monsanto, pour cause de perte en crédibilité". Une annexe préconise même de se renseigner sur leurs centres d'intérêt : "Ont-elles des loisirs (Golf, tennis, chasse) ?"
Quant aux personnalités classés "à surveiller", des stratégies de marginalisation sont évoquées dans le document. Il est écrit noir sur blanc qu'il fallait par exemple "isoler" Ségolène Royal, qui était à l'époque ministre de l'Environnement, et qui est notoirement favorable à une interdiction du glyphosate. "C'est une découverte très importante, parce que ça prouve qu'il y a des stratégies objectives de démolition des voix fortes", a-t-elle réagi.
Des plaintes pour fichage illégal déposées
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), chargée de réglementer les pesticides, se dit "scandalisée" par ces révélations, alors même que deux de ses membres sont classés "à surveiller". L'institut national de la recherche agronomique (Inra), dont quatre scientifiques sont classés "potentiels alliés à recruter", s'étonne de son côté de ces pratiques, et les "condamne fermement".
Le journal Le Monde, qui révèle ces documents en même temps que France 2, a pour sa part décidé de porter plainte pour fichage illégal de cinq de ses salariés.
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