Glyphosate : un lien entre malformations et exposition prénatale à ce désherbant est reconnu par le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, une première mondiale
"C'est un soulagement énorme de voir qu'enfin cela a été reconnu." Sabine Grataloup, la mère de Théo, né en 2007 avec une grave malformation de la trachée et de l'œsophage, a annoncé à France Télévisions, lundi 9 octobre, que le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides avait rendu un avis en sa faveur. Pour la première fois, la commission d'indemnisation des enfants victimes d'une exposition prénatale aux pesticides – qui fait partie de ce fonds – établit un lien de causalité entre l'exposition au glyphosate de Sabine Grataloup, alors qu'elle était enceinte de Théo, et la malformation de son fils.
La famille Grataloup a alerté les autorités dès 2009, pointant la responsabilité d'un produit générique du Roundup, le Glyper, dans la maladie dont souffre Théo, qui vit avec une trachéotomie, un trou au niveau de la gorge, depuis qu'il a 3 mois. Le montant de l'indemnisation représente environ 36 000 euros. "Nous n'avons pas fait cela pour l'argent, assure Sabine Grataloup. Nous mettons précieusement de côté cet argent, que Théo touchera à sa majorité."
"Nous ne pouvions plus nous taire"
La décision de la commission a été rendue en mars 2022. Si les Grataloup auraient pu la dévoiler aussitôt, ils ont préféré garder l'information confidentielle pour se préserver des nombreux messages haineux dont ils ont été la cible sur les réseaux sociaux lorsqu'ils se sont exposés médiatiquement, en 2017 et 2019. Même Théo n'a été mis au courant que la semaine dernière, précise Sabine Grataloup. Elle a décidé de révéler cette décision après avoir appris que la Commission européenne avait proposé, en septembre, de prolonger de dix ans l'autorisation du glyphosate au sein de l'UE. "J'en ai pleuré. Je me suis dit : 'mais c'est pas possible, ils ne comprennent rien !'"
Elle espère peser dans le vote des Etats membres de l'Union européenne sur l'autorisation du glyphosate, qui doit avoir lieu vendredi 13 octobre. "Nous ne pouvions plus nous taire. Nous ne pouvions pas laisser des politiques et des journalistes continuer à dire qu'il n'y avait pas de problème avec le glyphosate."
"Derrière les statistiques, ce sont des familles, des gens malades (...) Nous prenons la parole pour que les décideurs prennent en compte les gens qui souffrent."
Sabine Grataloupà franceinfo
Théo est atteint d'une atrésie de l'œsophage, comme l'expliquait Sabine Grataloup auprès de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, en 2017. A la naissance, l'œsophage de son fils "descendait vers l'estomac mais n'arrivait pas jusqu'à lui. Cela finissait en cul-de-sac. Tout ce qu'il avalait remontait, passait dans la trachée et allait dans les poumons", décrivait-elle.
Cette malformation concerne environ 200 enfants par an en France. A 3 mois, Théo subit une trachéotomie. "Durant les six premières années, (…) il y avait un risque vital permanent", relate sa mère. Jusqu'à ses 6 ans, Théo vit avec une canule, un petit tuyau, dans la trachée. "Il fallait aspirer dans la canule à peu près toutes les dix minutes en journée, avec une pompe. Et la nuit, tous les trois quarts d'heure. C'était très, très lourd."
La qualité de vie de Théo s'est améliorée lorsqu'il a pu commencer à manger normalement, vers l'âge de 6 ans. Avant cela, il était nourri grâce à des poches nutritives reliées à son estomac par une sonde, un procédé appelé gastrostomie.
A 11 ans, Théo a déjà subi 53 interventions chirurgicales. En dehors de sa voix, métallique en raison de l'absence de cordes vocales, il affirmait, dans un numéro d'"Envoyé spécial", en 2019, mener une vie presque normale, sauf en cours de sport. (Retrouvez l'extrait à partir de 34 minutes dans le reportage ci-dessous).
Désormais en classe de première générale, Théo a 16 ans. Il compte se lancer dans la restauration et intégrer l'institut Lyfe (anciennement institut Paul-Bocuse). "C'est plutôt étonnant pour quelqu'un qui n'a pas pu manger normalement avant l'âge de 6 ans", commente Sabine Grataloup.
Après la naissance de Théo, sa mère s'interroge sur la cause de la malformation qui affecte son fils. Un médecin lui répond que les rares études menées pointent "vers une légère surexposition des familles, statistiquement, aux herbicides et pesticides", se souvient-elle. Mais ces études étaient fondées sur des bases statistiques insuffisantes, ajoute-t-elle.
Surtout, la famille ne semble pas être exposée à ces produits. "On habite à la campagne. Autour de nous, ce sont des prés avec des vaches, des chevaux et de la forêt. Il n'y a pas de cultures dans un rayon de 500 m ou 1 km, détaille-t-elle. Et il se trouve que, par choix, nous mangeons bio depuis une dizaine d'années. Donc là, vraiment, mauvaise pioche. On se dit que cela doit être autre chose."
Un désherbage en début de grossesse
Mais Sabine Grataloup finit par avoir un déclic. Théo a alors 14 mois. A la fin du mois d'août 2008, cette professionnelle dans le milieu du voyage équestre se retrouve à "mettre un désherbant à base de glyphosate, un générique du Roundup, sur [sa] carrière d'équitation". Or, l'année précédente, alors qu'elle était enceinte de quelques semaines sans le savoir, elle avait pratiqué la même opération. "Le chirurgien de Théo nous a dit que c'était une malformation qui se faisait très tôt dans la grossesse", dit-elle. Pour elle, c'est le seul instant où elle a pu être surexposée à de l'herbicide.
"J'ai passé du glyphosate sur 700 m2 exactement au moment où se formaient l'œsophage et la trachée. C'est un moment très, très précis à la fin du premier mois de grossesse."
Sabine Grataloupà "Envoyé spécial"
La famille a assigné en justice Monsanto, le producteur du Roundup, en mai 2018. "Nous nous devons de le faire, avant tout pour Théo qui aura à faire face toute sa vie aux conséquences de son exposition in utero à un produit qui n'aurait pas dû être sur le marché, écrivait-elle alors. Nous devons le faire aussi pour protéger les enfants à venir, devant la difficulté des politiques à réagir de façon efficace et indépendante face à cette menace sur la santé publique."
La procédure visait "à établir la responsabilité respective des fabricants du glyphosate mis en cause dans les malformations congénitales" de Théo, précisaient les avocats de la famille. Dans l'assignation en justice, plusieurs attestations de médecins évoquent un lien possible entre les malformations et l'herbicide à base de glyphosate, précisait "Envoyé spécial". La décision de la commission d'indemnisation des enfants victimes d'une exposition prénatale aux pesticides pourrait changer la donne. En attendant, la procédure contre Monsanto (et son racheteur Bayer) se poursuit.
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