Manger bio réduit-il les risques de cancer ? Trois questions sur l'étude de chercheurs français consacrée à l'alimentation
Ces scientifiques ont suivi, entre mai 2009 et novembre 2016, près de 70 000 volontaires et observé un risque accru de cancer chez ceux qui ne consomment presque jamais des aliments issus de l'agriculture biologique.
A l'heure où les scandales impliquant les pesticides s'accumulent, la nouvelle a fait l'effet d'une bombe. Des chercheurs français ont observé une diminution de 25% du risque de cancer chez les consommateurs réguliers d'aliments issus de l'agriculture biologique, selon une étude menée sur un échantillon de plus de 68 000 personnes publiée lundi 22 octobre dans la revue médicale américaine JAMA Internal Medicine (en anglais). De quoi faire du bio l'ingrédient miracle pour la lutte contre les cancers ? Il est un peu tôt pour le dire. Explications.
Que dit l'enquête ?
Menée pendant sept ans, cette enquête souligne que les plus gros consommateurs de produits biologiques ont un risque de cancer réduit d'un quart par rapport à ceux qui en consomment le moins. Cette réduction atteint même 34% pour les cancers du sein qui succèdent à la ménopause et 76% pour les lymphomes, c'est-à-dire un type particulier de cancer du sang.
Citée par Le Monde, Emmanuelle Kesse-Guyot, chercheuse en épidémiologie nutritionnelle et coauteure de l'enquête, explique cette corrélation par la présence de pesticides à une dose supérieure dans les aliments issus de l'agriculture conventionnelle.
Pour expliquer ces résultats, l'hypothèse de la présence de résidus de pesticides synthétiques bien plus fréquente et à des doses plus élevées dans les aliments issus de l'agriculture conventionnelle comparés aux aliments bio est la plus probable.
Emmanuelle Kesse-Guyotdans "Le Monde"
Dans le quotidien du soir, l'épidémiologiste américain Philip Landrigan souligne que "l'une des grandes forces" de ce travail réside dans le fait que ses conclusions "sont largement cohérentes avec les résultats des études menées sur les expositions professionnelles aux pesticides". Et Le Monde de rappeler que les lymphomes font notamment partie des cancers les plus présents chez les agriculteurs dont l'exposition aux pesticides est importante.
Comment a-t-elle été réalisée ?
Pour mener à bien ce travail, les chercheurs français ont suivi, entre mai 2009 et novembre 2016, près de 70 000 volontaires inscrits sur le site NutriNet afin de participer à des études portant sur les habitudes alimentaires. Les chercheurs ont présenté 16 produits à ces bénévoles, qui devaient dire s'ils consommaient "jamais", "occasionnellement" ou "la plupart du temps" des versions qui étaient labellisées bio, détaille Le Figaro.
Ils ont ainsi été divisés en quatre groupes, des plus gros consommateurs de bio (pour qui les produits issus de l'agriculture biologique représente plus de 50% de l'alimentation) à ceux qui n'en consomment presque jamais. Entre 2009 et 2016, 1 340 cancers sont apparus chez les participants. Or, les résultats de la recherche ont montré que les plus gros consommateurs de produits bio ont été 25% moins touchés que ceux qui en consommaient le moins.
Quelles sont les limites de cette étude ?
Les auteurs de l'étude reconnaissent eux-mêmes la présence de biais parmi leur échantillon. Interrogée par Le Figaro, la coauteure de cette enquête explique ainsi que "les participants à NutriNet sont des gens volontaires, très intéressés par la nutrition et la santé". Mais selon elle, le fait que les sujets étudiés soient plus attentifs que la moyenne à leur nutrition aurait plutôt tendance à "sous-estimer les associations observées, car les sujets sont déjà moins à risque" que la population générale.
Difficile également de savoir si le groupe de volontaires féru de nourriture bio a moins développé de cancer que les autres uniquement de ce fait. Le HuffPost rappelle ainsi que de précédentes études ont démontré que les personnes qui mangent bio sont aussi "moins souvent fumeurs, moins en surpoids ou obèses, [ont] un meilleur équilibre alimentaire". Autant d'éléments qui influent sur le risque de contracter un cancer. Les auteurs de l'étude ont donc "corrigé leur analyse" en se basant sur un certain nombre de caractéristiques des participants à l'étude, comme l'indice de masse corporelle, le niveau d'activité physique, la catégorie socioprofessionnelle, la qualité du régime alimentaire, etc., relève Le Monde.
Un éditorial signé par des chercheurs de Harvard (en anglais) et qui accompagne l'article salue l'enquête de leurs homologues français, mais souligne également cette difficulté à trouver un lien unique de cause à effet entre une consommation élevée d'aliments issus de l'agriculture biologique et une exposition moindre au cancer. Ces chercheurs américains remarquent également que le prix plus élevé des aliments bio est souvent un frein à leur consommation. Et redoutent qu'en raison des conclusions de l'étude française, certains ménages modestes se détournent des fruits et légumes conventionnels, qui contribuent pourtant à une alimentation saine.
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