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Près de Lens, le plomb de l'ancienne usine Metaleurop continue d'empoisonner une ville

De nouvelles analyses, menées par l'émission "Vert de rage" de France 5, montrent une pollution au plomb bien supérieure au seuil d'évacuation dans les sols des écoles, du stade et des jardins d'Evin-Malmaison, une commune proche de l'ancienne usine Metaleurop de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais).

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le journaliste Martin Boudot analyse le sol d'un jardin d'Evin-Malmaison (Pas-de-Calais). (PREMIERE LIGNE TELEVISIONS)

Des vies plombées par un environnement toujours pollué. De nouvelles analyses menées par le journaliste Martin Boudot pour l'émission "Vert de rage" de France 5, révèlent que les habitants d'Evin-Malmaison (Pas-de-Calais) sont toujours exposés à des niveaux de plomb alarmants, près de vingt ans après la fermeture de l'usine voisine Metaleurop de Noyelles-Godault. "Le problème n'est pas résolu, il est permanent", résume auprès de franceinfo Jean-Marie Haguenoer, toxicologue et bon connaisseur de l'ancienne usine.

Pour cette enquête, l'équipe de "Vert de rage" a analysé plusieurs échantillons de sols, prélevés dans les jardins de trois habitants d'Evin-Malmaison, à l'école maternelle Françoise-Dolto, dans le stade Gérard-Houllier, sur l'ancien site de l'usine et aux alentours. Selon la réglementation française, les terres d'utilité publique contenant plus de 300 mg/kg de plomb "doivent être évacuées dans des installations prévues et autorisées à cet effet". Une limite pulvérisée sur le site de l'ancienne usine – de 6 500 à 232 415 mg/kg relevés – mais pas seulement : 484,9 mg/kg dans l'école maternelle, jusqu'à 623 mg/kg dans le stade, entre 1 096 et 1 706 mg/kg dans les jardins.

Des habitants inquiets

Ces résultats ont été présentés à la population lors d'une réunion publique vendredi 29 avril. Installée dans la ville depuis 2010, Clarisse Kaczmarek, 40 ans, ne pensait pas que "la pollution était encore si présente". Le notaire leur avait bien déconseillé de manger les légumes de leur jardin au moment de l'achat de sa maison, mais elle et son mari, originaire de la commune, ne s'inquiétaient pas "outre mesure". Dans son jardin, près du portique et de la cabane de ses deux enfants de 8 et 5 ans, l'équipe de "Vert de rage" a relevé 1 457 mg/kg de plomb, soit 4,8 fois le seuil d'alerte.

"Cela nous inquiète beaucoup. Depuis leurs premiers pas, mes enfants foulent un terrain pollué, même à l'école."

Clarisse Kaczmarek

à franceinfo

Même si ses enfants sont en bonne santé, le plomb est un polluant particulièrement dangereux pour les plus jeunes. "Les études épidémiologiques ont montré, sans aucune contestation possible, qu'il avait un effet négatif sur le développement neurocomportemental : il y a une baisse de QI qui peut être importante", explique le toxicologue Jean-Marie Haguenoer. C'est ce que l'on appelle communément le saturnisme.

Pour aller plus loin, "Vert de rage" a analysé des échantillons de cheveux de 29 enfants vivant à Evin-Malmaison. "Les résultats montrent clairement qu'il y a une présence de plomb dans l'environnement, mais nous ne pouvons pas dire à ce stade si les niveaux sont toxiques et s'ils peuvent causer des problèmes de santé dans la population", analyse la toxicologue Jennie Christense, du laboratoire canadien qui a mené ces analyses. Elle recommande "une surveillance accrue et de pousser les analyses".

Plus de 5 000 enfants atteints de saturnisme depuis 1962

Jean-Marie Haguenoer connaît bien l'usine Metaleurop. Dès les années 1970, il menait, pour la médecine du travail, des analyses de détection de plomb chez les ouvriers de l'usine. Il a ensuite dirigé un programme de recherche auprès de la population, puis un comité scientifique mis en place par la préfecture pour cette pollution. Des campagnes annuelles de suivi de la population ont été menées. Mais la fermeture de l'usine en 2003, puis le départ du préfet qui avait initié le comité scientifique, a mis fin à cette surveillance sanitaire en 2005. "Je trouve ça anormal. Il y a un problème de santé publique, les autorités doivent le surveiller pour voir s'il progresse ou régresse", nous confie-t-il aujourd'hui.

Un prélèvement de cheveux chez un enfant d'Evin-Malmaison (Pas-de-Calais). (PREMIERE LIGNE TELEVISIONS)

Selon l'estimation réalisée par ses soins et par l'équipe de "Vert de rage", 5815 enfants ont été atteints de saturnisme depuis 1962 dans les trois villes qui entourent l’usine (Evin-Malmaison, Noyelles-Godault, Courcelles-lès-Lens). Clarisse Kaczmarek espère que les mesures faites par "Vert de rage" obligeront les autorités à reprendre le dossier en main. "Il faut que des choses soient mises en place et qu'ils prennent conscience que la pollution est encore présente, même vingt ans après la fermeture de l'usine", estime-t-elle. Avec l'association Pour l'intérêt général des Evinois (PIGE), elle a attaqué l'Etat devant le tribunal administratif. Les plaignants ont été déboutés, mais Clarisse Kaczmarek a décidé, avec d'autres, de faire appel.

Contacté par "Vert de rage", la préfecture n'a pas donné suite. L'Agence régionale de santé des Hauts-de-France a de son côté répondu qu'aucun cas de saturnisme n'avait été signalé à ses services depuis dix ans dans ces communes et qu'elle avait financé plusieurs actions, comme "des ateliers d'éducation au lavage des mains" pour les enfants des écoles maternelles de la zone.

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