Sols et cours d'eau contaminés, risques pour la santé… Cinq questions sur l'étendue des polluants "éternels" en Europe
Le lac Orestiada en Grèce, la rivière Bilina en République tchèque, le bassin du Guadalquivir en Espagne, la vallée de la chimie au sud de Lyon… A travers l'Europe, 17 000 sites sont contaminés par des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), selon une enquête de plusieurs mois menée par 17 médias, dont Le Monde (article réservé aux abonnés) et le journal britannique The Guardian*, et publiée jeudi 23 février.
Ces médias, à travers ce Forever Pollution Project* (projet sur la pollution éternelle), révèlent également qu'il existe 2 100 sites européens contaminés à des niveaux dangereux par ces substances, mieux connues sous le nom de "polluants éternels". Le projet, réalisé avec des méthodologies d'experts, des données et des "milliers de prélèvements environnementaux", offre une première cartographie à l'échelle européenne des lieux contaminés, avérés comme suspectés.
Que sont ces "polluants éternels" ? Quels sont les sites les plus touchés par cette pollution ? Quel est son impact sur la santé ? Explications après ces révélations.
1 Que sont les PFAS, les polluants dits "éternels" ?
Les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) rassemblent plus de 4 000 composés chimiques, rappelle l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Ces substances sont très courantes depuis le milieu du XXe siècle, du fait de leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et de leur résistance aux fortes chaleurs. On les retrouve ainsi dans différents secteurs industriels, mais également dans le cadre de la vie quotidienne : dans des textiles, des produits cosmétiques, des emballages alimentaires ou encore des revêtements antiadhésifs, détaille l'Anses.
Ces substances sont communément appelées "polluants éternels", car du fait de liaisons chimiques entre carbone et fluor, ces composés se dégradent très difficilement dans l'environnement. L'enquête du Forever Pollution Project évoque "une extrême persistance dans l'environnement" de ces polluants "indestructibles dans la nature" et "capables de se déplacer sur de très longues distances, loin de la zone où ils ont été émis". Parmi les PFAS, on recense par exemple l'acide perfluorooctanoïque (PFOA) ou le sulfonate de perfluorooctane (PFOS).
2 Qui sont les producteurs de ces PFAS en Europe ?
En 2019, un rapport du Conseil nordique des ministres* (PDF), qui regroupe cinq pays du nord de l'Europe, estimait qu'il existait "entre 12 et 20 usines" de production de ces substances en Europe. L'enquête du Forever Pollution Project révèle qu'il existe bien 20 sites européens produisant des PFAS, dont six usines en Allemagne, notamment trois à Gendorf, en Bavière. Les journalistes ont également recensé cinq sites en France, notamment les usines d'Arkema et de Daikin, au sein de la vallée de la chimie à Pierre-Bénite (Rhône). D'autres sites sont cités : celui de Chemours à Villers-Saint-Paul (Oise), et ceux de Solvay à Tavaux (Jura) et à Salindres (Gard). Outre-Manche, le Royaume-Uni compte trois sites, tandis que l'Italie en compte deux, d'après l'enquête. Quatre pays – la Pologne, l'Espagne, les Pays-Bas et la Belgique – comptent chacun un site de production de PFAS.
En parallèle, le Forever Pollution Project rapporte qu'il existe "plus de 230 usines identifiées comme utilisatrices" de "polluants éternels" en Europe. On en trouve par exemple en région parisienne, entre Liverpool et Manchester au Royaume-Uni, en Belgique ou encore dans le nord de l'Italie.
3 Quels sont les lieux les plus touchés par ces polluants ?
Les 17 000 sites recensés par le Forever Pollution Project ont des niveaux de contamination supérieurs à 10 nanogrammes par litre. Dans 2 100 hot spots (zones à forte concentration en polluants), cette contamination est jugée dangereuse pour la santé, car elle dépasse 100 nanogrammes par litre.
"Les hot spots les plus connus d'Europe, à l'origine de pollutions massives, ont tous pour épicentre des usines de production de PFAS", relève Le Monde. Le quotidien évoque l'exemple de Trissino (Italie), où la société Miteni a synthétisé des polluants "éternels" pendant cinquante ans. La contamination, au niveau de l'eau et des sols, "s'étend sur plus de 200 kilomètres carrés et toucherait jusqu'à 350 000 personnes en Vénétie".
L'enquête cite également une "grave pollution" près de l'usine Chemours de Dordrecht (Pays-Bas), dont l'un des produits "s'est propagé jusqu'aux potagers situés à plus de 1 kilomètre", souligne Le Monde. Le journal évoque en outre une zone près de l'usine 3M de Zwijndrecht près d'Anvers (Belgique), qui serait l'une des plus polluées au monde par les PFAS. Les habitants des environs (vivant jusqu'à 15 kilomètres de l'usine) sont appelés à éviter de faire pousser des légumes dans leurs jardins.
D'autres hot spots se situent en Suède, près de bases aériennes militaires, ou dans les environs des aéroports de Düsseldorf et Nuremberg (Allemagne), de Jersey ou de Schiphol (Pays-Bas).
4 Comment ces PFAS affectent-ils l'environnement ?
Air, eau, sols… D'après l'Anses, le recours à ces polluants "éternels" et leur présence dans des secteurs industriels comme dans notre vie quotidienne provoquent "une contamination de tous les milieux". Les déchets, domestiques comme industriels, font circuler ces substances. Certains de ces composés "sont transportés sur de très longues distances par l'eau ou l'air et peuvent se retrouver jusque dans les océans Arctique et Antarctique". Des polluants "éternels" touchent aussi "les organismes vivants et se retrouvent dans la chaîne alimentaire".
Parmi les PFAS, l'acide perfluorooctanoïque (PFOA) et le sulfonate de perfluorooctane (PFOS) sont "les plus persistants dans l'environnement". "Pour les aliments courants, les concentrations les plus élevées de PFOA et PFOS sont retrouvées dans les crustacés et les mollusques. L'eau destinée à la consommation humaine peut également être une source de contamination", prévient l'Anses.
5 Quel est l'impact de ces polluants sur la santé ?
Comme le souligne Le Monde, "les effets, même à faible dose, d'une exposition aux PFAS s'allongent comme une visite médicale de cauchemar qui n'épargne aucune zone du corps". "La toxicité de ces composés chimiques est multiple", confirme l'Anses. Une exposition à ces polluants peut provoquer une hausse du taux de cholestérol, des conséquences sur la fertilité et le développement des fœtus, voire causer des cancers. Les PFAS "sont également suspectés d'interférer avec le système endocrinien (thyroïde) et immunitaire", ajoute l'agence. Comme elle le remarque, l'Autorité européenne de sécurité des aliments* s'est récemment penchée sur la question. Celle-ci "considère que la diminution de la réponse du système immunitaire à la vaccination constitue l'effet le plus critique pour la santé humaine".
L'enquête publiée en France par Le Monde évoque également des risques d'augmentation de la tension artérielle ainsi que des risques cardio-vasculaires. Quant aux cancers, ces polluants "éternels" ont notamment des conséquences sur les risques de cancers du sein, des testicules ou du rein, relève Le Monde. L'Agence européenne de l'environnement* évoque également, parmi d'autres effets sur la santé, des risques plus élevés de fausse couche et un impact sur le foie. L'étude du Conseil nordique des ministres, enfin, relève que ces substances coûtent chaque année entre 52 et 84 milliards d'euros aux systèmes de santé européens.
* Les liens signalés par un astérisque sont en anglais.
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