Cet article date de plus de sept ans.

Qui était Abdelbaki Es Satty, l'étrange imam soupçonné d'avoir formé les auteurs des attentats de Catalogne ?

Il est soupçonné d'avoir fait basculer plusieurs jeunes de Ripoll dans le jihadisme. Ancien trafiquant de drogue, l'imam a été tué à Alcanar, le 16 août, selon la police, lors de l'explosion accidentelle de la maison utilisée par les terroristes pour fabriquer des bombes.

Article rédigé par Elise Lambert - (avec Raphaël Godet)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Dans la mosquée de Ripoll (Catalogne, Espagne), où prêchait l'imam Abdelbaki Es Satty, le 20 août 2017. (ALBERT GEA / REUTERS)

"Cet imam était normal, quand il était en public." A Ripoll, petite ville des Pyrénées catalanes, un imam marocain est soupçonné par la police catalane d'avoir formé de jeunes hommes pour créer la cellule jihadiste à l'origine des attentats de Barcelone et Cambrils, qui ont fait 15 morts jeudi 17 août.

Abdelbaki Es Satty a-t-il été le cerveau de toute l'opération ? L'homme est en tout cas suspecté d'avoir été en relation avec "des membres de l'Etat islamique" par le passé. Franceinfo dresse son portrait.

Un imam "aux deux visages"

Abdelbaki Es Satty est arrivé à Ripoll en 2015. Marocain originaire du pays Jbala, une région du nord du Maroc, il est décrit comme mesurant 1m70, "mince et portant la barbe". Il vit dans un deux-pièces décrépi qu'il loue "150 euros" par mois – selon son colocataire – avec vue sur la montagne.

Dans un premier temps, il prend en charge la "petite mosquée" de la commune de 10 000 habitants avant d'ouvrir, un an plus tard, une plus grande salle de culte, la "grande mosquée", rue de Progrés, dans l'est de Ripoll, détaille Libération. Certains fidèles le décrivent comme un religieux "fantôme", présent à de rares occasions à la mosquée, mais d'autres assurent au contraire qu'il avait tout de l'imam "normal", attentif, et à l'écoute des fidèles. 

"C'était un imam absolument normal. Nous n'avons jamais perçu de geste ou de parole bizarre chez lui. Il venait aux prières, aidait, écoutait les fidèles... raconte Hammou Minhaj, secrétaire de la communauté musulmane de Ripoll à El País (article en espagnol). C'était un homme solitaire, discret." "Cet imam était normal et ordinaire quand il était en public, affirme à l'AFP Mohamed Akhayad, un électromécanicien marocain de 26 ans, habitué de la "grande mosquée". S'il a mangé le cerveau de ces jeunes, c'est en cachette, dans un endroit secret."

"Je me rends compte qu'il avait deux visages. Celui qu'on percevait et le vrai", nuance Abdel, un habitué de la mosquée Annour à El País (article en espagnol). "Certaines personnes disaient qu'elles ne le croyaient pas et le trouvaient suspect, renchérit un proche de deux membres de la cellule jihadiste à El País. Je me souviens qu'un jour, une de ces personnes m'a dit que ce qui est arrivé [les attentats de Catalogne] pourrait arriver avec cet imam. Elle était convaincue. Elle me disait : 'Il va se passer cela !' Elle disait que l'imam était un homme très intelligent, du genre à tout planifier", ajoute-t-il. 

Dans la rue où vivait le religieux, un Catalan de 64 ans affirme qu'il "avait la réputation d'être très islamiste, voulait que tous les Marocains pensent comme lui, qu'ils mettent la religion au-dessus de tout". 

L'appartement de l'imam Abdelbaki Es Satty à Ripoll (Catalogne), le 19 août 2017. (PAU BARRENA / AFP)

Un narcotrafiquant incarcéré en 2010

Religieux solitaire au discours radical ? Selon plusieurs sources proches de l'enquête, Abdelbaki Es Satty était plus que ça : c'était aussi un ancien délinquant. "Il avait eu un problème judiciaire, mais pas lié au terrorisme", a déclaré le chef de la police catalane, Josep Lluis Trapero. Selon El Mundo, Abdelbaki Es Satty a été incarcéré en 2010 pour avoir transporté douze kilos de haschich entre Ceuta (une enclave espagnole située dans le nord du Maroc) et la ville andalouse d'Algesiras. C'est la première fois que son nom apparaît dans des documents officiels, précise El País.

L'homme passe quatre ans dans la prison de Castellon, dans la province de Valence. Selon plusieurs sources antiterroristes citées par l'AFP, il y aurait noué une "amitié particulière" avec Rachid Aglif, surnommé "El conejo" (le lapin), condamné à dix-huit ans de prison pour avoir participé aux attentats sanglants (191 morts) de Madrid, le 11 mars 2004. Abdelbaki Es Satty est libéré de prison en 2014. Il part à Vilanova i la Geltrú, sur le littoral catalan. A l'époque, il ne présente "aucun signe de radicalisation".

A  Vilanova i la Geltrú, il aurait partagé l'appartement de Mohamed Mrabet Fashi, condamné à sept ans de prison pour avoir lui aussi été impliqué dans les attentats de Madrid, précise El Independiente (article en espagnol). Abdelbaki Es Satty aurait alors intégré une cellule islamiste et recruté de futurs jihadistes avant de se rendre à Ripoll trois ans plus tard pour devenir l'imam d'une des deux mosquées de la ville. 

Abdelbaki Es Satty s'est-il radicalisé en prison ? Que s'est-il réellement passé pendant ces trois années à Vilanova i la Geltrú ? Pour le moment, peu d'éléments circulent sur les activités de l'imam durant ce laps de temps, et personne à Ripoll ne semblait être au courant de son passé lors de son arrivée dans la commune. "Je n’avais pas d’information sur le fait que l’imam était allé en prison. Si nous avions su qu’il était allé en prison et qu’il avait un casier judiciaire, nous ne l’aurions pas pris, assure Ali Yassine, le pr­ésident de la commun­auté musulmane de Ripoll, à franceinfo. Il n'y a eu aucun déplacement bizarre, aucun message radical. Nous n'avions aucun élément négatif à son sujet."

La mosquée Annour à Ripoll (Catalogne), le 20 août 2017. (PAU BARRENA / AFP)

Des déplacements en Belgique et en France

Aucun "déplacement bizarre" ? Après son arrivée à Ripoll en 2015, l'imam effectue pourtant plusieurs trajets à l'étranger, notamment en France et en Belgique. Il indique à certains habitants de Ripoll qu'il souhaite s'installer en Belgique, sans donner plus de détails. Les enquêteurs supposent que c'est lors de ces trajets qu'il serait entré en contact avec des membres de l'Etat islamique, note El País (article en espagnol).

Il aurait séjourné dans la commune de Machelen, près de Bruxelles, "entre janvier et mars 2016", selon le bourgmestre de Vilvorde, la localité limitrophe. Selon l'imam de la commune, Mimoun Aquichouh, Abdelbaki Es Satty aurait demandé un travail dans une mosquée de Diegem, une commune située à une quinzaine de kilomètres de Bruxelles. On lui demande alors d'apporter un document justifiant son casier judiciaire vierge. En temps normal, une telle précaution n'est pas de mise, mais "si je n'avais pas senti quelque chose de suspect chez lui, je ne lui aurais jamais demandé", explique Mimoun Aquichouh à El País (article en espagnol). Il n'aura jamais le document en question : Abdelbaki Es Satty se volatilise.

De son côté, le secrétaire d'Etat belge à l'Asile et à la Migration, Theo Francken, précise sur Twitter qu'Adbelbaki Es Satty n'était pas connu de l'Office des étrangers. "Il n'a donc jamais demandé ou reçu un permis de séjour en Belgique, écrit-il. Il est peut-être venu en Belgique, mais l'Office des étrangers ne dispose de rien à ce sujet."

"Deux mois" pour leur "laver le cerveau"

Entre ses voyages en France et en Belgique et sa discrète présence à Ripoll, comment l'imam aurait-il pu "radicaliser" ces jeunes ? C'est la question centrale à laquelle les enquêteurs tentent de répondre. Sur place, certains habitants ont déjà leur idée : "Je pense qu’il a pris du temps pour sélectionner ceux qui allaient commettre les crimes. Il a surtout choisi des jeunes, des frères, issus de parents pauvres souvent analphabètes et qui n’exerçaient aucun contrôle sur leurs fils", évoque un habitant de Ripoll cité par Libération.

Selon des proches des jeunes jihadistes, Abdelbaki Es Satty n'aurait mis que "deux mois" pour "laver le cerveau" de cette dizaine de jeunes, amis au lycée et joueurs dans le même club de foot local, reprend El Mundo (article en espagnol). Leur attitude aurait d'ailleurs changé en quelques semaines. Subitement, ils ont eu davantage d'argent et se sont mis à le dépenser à Vic et à Barcelone. "Il y a trois mois, j'ai fait une soirée avec Mohamed [Mohamed Houli Chemlal, lié à l'explosion d'Alcanar], on a bu et fumé la chicha, il pouvait à peine tenir debout, décrit l'un d'entre eux, ne me dites pas que ce qu'ils ont fait, c'était pour la religion."

Lundi matin, certains affirmaient encore que l'imam était vivant. "Il est parti en disant qu'il s'en allait en vacances au Maroc", raconte Nordeen El Haji, son colocataire. Un proche des terroristes, qui s'est exprimé dans El País, a même assuré qu'il n'était pas mort. "Des amis du Maroc nous ont dit qu'il était parti en Syrie. Il y serait allé pour devenir recruteur." 

Mais une conférence de presse du chef de la police catalane, lundi soir, a mis fin à ces spéculations. Selon lui, le corps de l'imam a été retrouvé et identifié dans la maison d'Alcanar qui a explosé le 16 août. C'est dans cette maison que la cellule jihadiste préparait son ou ses attentats. Abdelbaki Es Satty aurait participé à la fabrication d'explosifs et serait mort à la suite d'une mauvaise manipulation. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.