L'article à lire pour comprendre la bataille de l'indépendance en Catalogne
Bravant les interdictions de Madrid, les nationalistes catalans organisent dimanche un vote consultatif en vue de la sortie de la Catalogne de l'Espagne. Un vote pour du beurre ? Pas tant que ça.
"Ara és l'hora" (L'heure est venue). C'est le slogan des indépendantistes catalans qui appellent à la tenue d'un référendum pour sortir de l'Espagne depuis plusieurs années. A défaut de référendum, ils auront une consultation symbolique sur l'indépendance de la Catalogne dimanche 9 novembre.
Un vote consultatif contre lequel Madrid s'est battu jusqu'au bout. Pourquoi les Catalans persévèrent-ils ? Est-ce vraiment un vote pour rien ? D'où viennent leurs velléités d'indépendance ? Si vous avez un peu de mal à vous y retrouver, lisez ceci.
1La Catalogne, c’est quoi ?
C’est l’une des régions les plus puissantes et les plus riches d’Espagne. Avec 7,5 millions d'habitants (sur les 47 millions que compte le pays), les Catalans produisent environ 20% de la richesse de l’Espagne et la région représente 25% des importations espagnoles. Située dans le nord-est du pays, la Catalogne dispose d’un statut de "communauté autonome", dotée d’un Parlement et d’un gouvernement propre. La santé, l’éducation et les services sociaux, notamment, relèvent de ses prérogatives. La Catalogne a deux langues officielles : l’espagnol (ou castillan) et le catalan, et on peut aussi y parler l’occitan.
Barcelone, capitale de la région et grand port méditerranéen, est la deuxième ville d’Espagne. C’est un centre économique et culturel majeur d’Europe. Quand ils n’assistent pas à un match du Barça, les Catalans travaillent dans l’industrie (automobile, pharmaceutique…), le tourisme, les services (banques, immobilier…)… Fin octobre, la Catalogne affichait un taux de chômage de 19%, certes élevé, mais nettement en deça du 23,67% affiché pour l'ensemble de l'Espagne.
2Ça leur a pris comme ça de vouloir l’indépendance ?
Non, la notion d’identité catalane (traditions, culture, langue, drapeau…) a toujours été très forte dans cette région. Si la Catalogne n’a jamais été un Etat indépendant, la région a de très vieilles racines. Il faut attendre le XXe siècle pour que le nationalisme catalan émerge réellement. Toutefois, il reste largement minoritaire. Le virage indépendantiste d'une grande partie de l'opinion publique catalane se fait en 2010 quand le tribunal constitutionnel espagnol rejette le nouveau statut de la Catalogne, l'Estatut. Ce texte, qui élargissait l’autonomie de la Catalogne, reconnaissait l’existence de la nation catalane. Beaucoup de Catalans se sentent trahis alors que ce nouveau statut a été approuvé par les Parlements espagnol et catalan. "A ce moment là, énormément de personnes, pas forcément indépendantistes, mais attachées à l’autonomie de la Catalogne ont eu un déclic", explique à francetv info Henry de Laguérie, correspondant de plusieurs médias français à Barcelone et auteur de Les Catalans (Ed. Ateliers Henry Dougier, 142 pages, 2014). "Il y a eu un sentiment de que tout avait été essayé et que Madrid refusait de reconnaître leur diversité alors ils se sont dits 'foutons le camp !'"
Depuis, chaque 11 septembre, jour de la fête nationale catalane (qui est, paradoxalement, la commémoration d’une défaite pour les Catalans), est l’occasion d’une démonstration de force impressionnante. En 2014, ils étaient entre 550 000 et 1,8 million de personnes dans les rues de Barcelone. Une foule immense a envahi les grandes avenues de la ville, formant un V (comme "voter"), pour réclamer le droit d'organiser un référendum. L’année précédente, une “voie catalane” vers l’indépendance avait été représentée à travers une chaîne humaine de 400 km.
3Les Catalans veulent-ils surtout leur indépendance économique ?
Oui et non. Le système de financement des régions espagnoles est l’une des raisons de l’exaspération des Catalans. Fort de son poids économique, la Catalogne contribue à un système de redistribution qui assure une certaine égalité entre les régions et se sent spoliée. Sans sa contribution à l’Etat, la région assure qu’elle ne serait pas déficitaire. Barcelone chiffre à 15 milliards d’euros la différence (soit 7,7 % du PIB catalan) la différence annuelle (en 2011) entre les fonds transférés par la Catalogne au reste de l'Espagne et les fonds investis par l’Etat central sur ses terres, rapportent Les Echos. "Les indépendantistes estiment que le déficit fiscal est beaucoup trop important", note Henry de Laguérie. "Ils citent régulièrement le manque d’infrastructures en Catalogne et pensent qu’ils donnent beaucoup et ne reçoivent que trop peu".
Pour autant, le journaliste souligne l’effet de la crise économique dans cet argumentaire. "La question économique n’est pas le moteur de l’indépendantisme mais la crise accélère les chose. Quand les choses vont mal, le partage des richesses est une question cruciale. Mais l’indépendantisme fédère aussi car c’est un projet séduisant et neuf, alors qu’en face droite et gauche apparaissent impuissantes et n’ont pas grand chose à proposer", souligne Henry de Laguérie.
4Et en face, que leur répond-on ?
Le gouvernement du Parti populaire (droite) est coincé par sa base, très unioniste. Le Parti socialiste, plutôt favorable à une plus grande autonomie de la Catalogne, reste opposé à l’indépendance catalane. La question est transversale, elle dépasse le traditionnel clivage droite-gauche. "Mais au lieu de retenir les Catalans en leur donnant des arguments positifs, Madrid ne cesse d’alimenter une politique de la peur en leur promettant pauvreté et isolement. Cela alimente l’impasse", affirme le correspondant français à Barcelone. "Comme en amour, il y en a besoin de preuves, et Madrid est seulement dans le non catégorique".
Cette impasse alimente finalement une radicalisation des positions. Face à la montée de l’indépendantisme, de nombreux Catalans sont devenus à l'inverse très hostiles à l’indépendance. Aux côtés du PP, un parti a émergé au centre : Ciudadanos (citoyens). "Il fait de très bons scores, notamment dans les banlieues de Barcelone, avec un discours musclé contre l’indépendance", atteste Henry de Laguérie. Les partisans d’une troisième voie sont les grands perdants de ce débat. "Nombreux sont ceux qui souhaitent une Espagne fédérale, avec une Catalogne plus autonome, mais ils ont du mal à émerger dans un débat extrêmement polarisé entre indépendantistes et anti-indépendantistes qui ne laisse plus place à la subtilité".
5Mais alors pourquoi les Catalans n’organisent pas un référendum ?
Ils ont bien essayé ! Le président de la Generalitat (gouvernement catalan), Artur Mas, a promis d’organiser un référendum sur l’indépendance catalane le 9 novembre, processus popularisé sous le nom de "9-N". Mais le gouvernement de Mariano Rajoy ne veut rien lâcher face à Barcelone. Il saisit le Tribunal constitutionnel qui suspend le référendum, le considérant comme illégal car il n’inclue pas l’ensemble des Espagnols. Artur Mas réplique et propose alors une consultation citoyenne, un vote symbolique mais sans valeur légale. Rebelote, le Tribunal constitutionnel, saisi par le gouvernement espagnol, suspend le vote symbolique.
La partie d’échecs se poursuit car la consultation est tout de même maintenue mais la Generalitat a l’interdiction formelle de s’impliquer dans l’organisation du vote. Les mairies et les écoles, tout comme les fonctionnaires, ne peuvent pas être réquisitionnés pour la tenue de ce scrutin qui sera organisé par des volontaires.
6Donc, c’est un vote pour du beurre ?
Quel que soit le résultat du 9-N, le référendum reste symbolique, sans aucune conséquence légale. Rien à voir avec le référendum qui s’est tenu en Ecosse en septembre. Mais l’organisation de cette consultation et la participation (33% selon les derniers sondages) marqueront un pas de plus dans la rupture entre Barcelone et Madrid. "Dans cette logique de bras de fer, les partisans de l’indépendance veulent aller au bout de leur démarche, indique Henry de de Laguérie. Mais il est certain que le résultat du vote perd de sa valeur en devenant une consultation symbolique. C’est un peu comme un match de football où l’adversaire refuserait de jouer puisque seuls les partis en faveur de l’indépendance appellent à voter, les autres resteront chez eux."
Puisque les Catalans devront se contenter de symboles, ils ne vont pas se gêner pour faire pression sur Madrid. "L’idée est d’envoyer un message au monde : des gens interdits de voter font la queue pour s’exprimer dans une démocratie en dehors des bureaux de vote traditionnels, poursuit le journaliste. C’est une image simpliste mais très forte et les Catalans sont très soucieux de leur image à l’international, leurs rassemblements se sont toujours déroulés sans incidents".
7Que se passera-t-il lundi ?
Rien ou presque. Le président de la Generalitat a prévu d’envoyer une lettre pour "faire le bilan" de la consultation symbolique, il demandera à nouveau la tenue d’un "référendum définitif". En cas de refus de dialogue de la part de Madrid, il ne restera plus qu’une seule arme à Artur Mas : la tenue d’élections régionales anticipées. L’Assemblée nationale catanale (ANC), principale organisation citoyenne en faveur de l’indépendance, les réclame. Misant sur une forte poussée des indépendantistes, l’ANC est favorable à une déclaration unilatérale d’indépendance. "Quoiqu’il arrive dimanche, le noyau dur des indépendantistes n’est pas dans les partis, estime Henry de de Laguérie. La société civile est très impliquée dans des associations et des collectifs, ce que Madrid a dû mal en comprendre en ne s’adressant qu’aux partis politiques. Mais lundi, il y aura toujours un à deux millions de Catalans favorables à l’indépendance et qui ne sont pas près de céder…"
8Et si la Catalogne quittait vraiment l’Espagne ?
La question reste pour le moment de l’ordre de la science-fiction. Mais l’indépendance de la Catalogne aurait de nombreuses conséquences. Les ssouverainistes catalans et leurs adversaires s’opposent sur le front de l’économie. Si la Catalogne récupère ce qu’elle donne à l’Etat espagnol, elle pourrait évidemment en tirer profit. Mais la région devrait alors créer son propre service public pour remplacer Madrid (fiscalité, justice, défense…), ce qui n’est pas sans coût. Quid de Gas natural, fleuron espagnol et catalan ? Des nombreuses banques catalanes ? Doit-on s’attendre à des délocalisations ? Autant de questions qui divisent les experts. Pour l’Espagne, la perte de la Catalogne et de sa contribution au PIB aux exportations, serait catastrophique alors que Madrid gère déjà une dette faramineuse. La survie économique des deux entités est loin d’être assurée…
Comme dans le cas de l’Ecosse, impossible de dire si une Catalogne indépendante pourrait intégrer l’Union européenne. Et, question non négligeable : où jouerait le FC Barcelone ? Considéré comme une institution catalane à part entière, le mythique Barça pourrait sortir de la Liga espagnole. Son intégration à la Ligue 1 française a même déjà été évoquée…
9J'ai eu la flemme de tout lire. Vous me faites un résumé ?
Les Catalans sont appelés à se prononcer dimanche sur leur indépendance. Il ne s’agit pas d’un référendum mais d’une consultation symbolique. Toutefois, la participation sera à surveiller de près. La crise économique, venue se rajouter à des revendications identitaires fortes, a entraîné une forte poussée de l’indépendantisme ces dernières années. Le tout a été renforcé par le refus systématique de Madrid de dialoguer. Si l’indépendance de la Catalogne n’est pas pour demain, on assiste à une radicalisation des positions dans chaque camp.
Au lendemain de la consultation, le président de la Generalitat de Catalogne pourrait convoquer des élections régionales anticipées qui seraient "plébiscitaires". En cas de victoire nette des indépendantistes, ces derniers déclareraient unilatéralement l’indépendance de la Catalogne. Certains espèrent l’émergence d’une troisième voie, plus nuancée, où la Catalogne resterait dans l’Espagne mais avec plus d’autonomie et la reconnaissance de sa spécificité.
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