Allemagne : «Mein Kampf» d’Hitler réédité pour la première fois depuis 1945
C’était «la» bible du Troisième Reich, que devait lire tout Allemand entre 1933 et 1945. Une bible où tout était annoncé : le génocide juif, la conquête de l’espace vital (Lebensraum) à l’Est… Avant la défaite finale, il s’en serait ainsi écoulé 12 millions d’exemplaires Outre-Rhin. Sans parler de quelques centaines de milliers d’autres dans une vingtaine de pays.
Soixante-dix ans après l’écroulement de l’«Empire millénaire» (das tausendjährige Reich), Mein Kampf va donc être réédité. Un évènement en Allemagne où la question nationale-socialiste reste une affaire très sensible. Cette réédition a été rendue possible par le fait que les droits de l’ouvrage, détenus depuis 1945 par l'Etat de Bavière, tombent dans le domaine public le 1er janvier. Jusqu'ici, les autorités du Land s’y étaient toujours opposées. Pour autant, le livre n’était pas interdit. Des exemplaires d'origine restaient en circulation et pouvaient être achetés, par exemple, chez un antiquaire.
Intitulée Hitler, Mein Kampf. Une édition critique, la nouvelle version de l’ouvrage comprend le texte initial du livre dont le titre signifie «mon combat» en français, ainsi que 3500 annotations de commentaires. Il comportera deux volumes pour un total de 1948 pages et sera vendu 59 euros, précise Andreas Wirsching, directeur de l'Institut d'histoire contemporaine (IFZ), installé à Munich. Lequel travaille depuis 2009 sur ce projet.
«Il aurait été irresponsable de laisser le livre passer de main en main sans être commenté», estime Andreas Wirsching. «Il s'agit de briser le mythe» autour de l’ouvrage, juge-t-il. Une réponse indirecte à ceux qui s'offusquent de cette réédition, même commentée.
Celle-ci, pourvue d’une couverture sobre, se veut «scientifique» tout en ayant «une fonction politique et morale», explique le responsable de l’IFZ. «Ce n'est pas seulement une source» pour la connaissance de l'idéologie nazie, commente l'historien responsable de ce projet, Christian Hartmann. «C'est aussi un symbole et c'est l'une des dernières reliques du Troisième Reich», a-t-il poursuivi.
Dans un premier temps, Mein Kampf sera publié entre 3500 et 4000 exemplaires. En France, une nouvelle édition devrait sortir courant 2016.
Le livre d’un «hystérique» et d’un «psychopathe»
L’ouvrage a été rédigé en 1924. A cette époque, Adolf Hitler est emprisonné à la forteresse-prison de Landsberg, au sud-ouest de Munich. Il y purge une peine de cinq ans d’enfermement pour haute trahison après avoir participé au «putsch de la brasserie», le 9 novembre 1923. L’opération a été un échec lamentable mais le procès qui s’ensuit va permettre au chef du groupuscule NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands) de se faire connaître.
Hitler arrive déprimé à Landsberg après l’échec du putsch. L’un des responsables de la prison, Alois Maria Ott, par ailleurs psychologue, voit en lui un «hystérique» et un «psychopathe» avec un «penchant pour un mode de pensée magico-mystique». Le futur Führer se mettait parfois à crier avec «une bave blanchâtre et jaunâtre qui lui coulait de la bouche», raconte le psychologue. Seules deux institutions trouvent grâce à ses yeux: «le vieil état-major prussien et le collège des cardinaux à Rome».
Pour autant, le détenu ne vit apparemment pas dans des conditions trop difficiles. En premier lieu, il ne va rester que neuf mois à Landsberg. Pendant son séjour, il reçoit de très nombreuses visites de ses admirateurs et des cadeaux. Il lui reste cependant un peu de temps pour rédiger Mon combat dans lequel il va exposer son programme de gouvernement. Un texte qu’il aurait dicté à Rudolf Hess, son secrétaire. Lequel lui aurait fait des suggestions notamment sur le «Lebensraum».
«En lisant Mein Kampf, on a l’impression d’entendre Hitler parler en détail de sa jeunesse, de ses débuts dans le Parti nazi, de ses projets pour l’Allemagne et de ses idées politiques et raciales», résume le site historyplace. A la sortie du livre, les ventes sont plutôt décevantes. Le public espérait des révélations croustillantes. Il y trouve «des centaines de pages couvertes de phrases longues et difficiles à suivre (…) rédigées par un autodidacte». Les ventes vont évidemment décoller lors de l’arrivée du «Führer» à la chancellerie : posséder un exemplaire de l’ouvrage devient en quelque sorte un must obligatoire… Par la suite, Hitler aurait expliqué que ce dernier n’aurait jamais vu le jour s’il n’avait pas été emprisonné.
Sur le trottoir à Calcutta
Depuis 1945, Mein Kampf a continué à s’écouler un peu partout dans le monde. Selon les chiffres du magazine américain Cabinet, cité par le journaliste français André Vitkine, il s’en vendrait chaque année 20.000 exemplaires de l’édition anglaise.
A l’échelle mondiale, le livre est ainsi devenu un best-seller et l’on peut l’acheter en librairie dans de nombreux pays. En 2007, on le trouvait à la Foire du livre de Moscou, selon André Vitkine. Il est par ailleurs fort apprécié de l’extrême droite ukrainienne et italienne. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de trouver des exemplaires de Mon combat vendus à même le trottoir à Calcutta en Inde… «La fascination que suscite Hitler (dans le pays) vient avant tout d’une méconnaissance de l’Histoire et du personnage, plutôt que d’un rapprochement idéologique», analyse le site rue89.
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