Pays concernés, respect du droit européen... Cinq choses à savoir sur la décision de l'Allemagne de généraliser les contrôles à ses frontières

Berlin entend ainsi lutter contre l'immigration illégale, dans un contexte de menace terroriste et de montée de l'extrême droite. Cette décision fait grincer des dents ses voisins européens.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Des policiers contrôlent les véhicules au poste-frontière de Burghausen (Allemagne), le 4 septembre 2024. (FRANK HOERMANN / SVEN SIMON / AFP)

Un tour de vis. L'Allemagne a annoncé, lundi 9 septembre, généraliser les contrôles de police à l'ensemble de ses frontières durant six mois, à partir du 16 septembre. Berlin juge ces dispositions nécessaires pour "la protection de la sécurité intérieure contre les menaces actuelles du terrorisme islamiste et de la criminalité transfrontalière". Franceinfo revient sur cette décision qui n'est pas sans crisper les autres pays frontaliers et les autorités européennes.

Tous les pays voisins sont concernés, dont la France

Des contrôles avec la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark vont être rétablis pendant six mois à partir du 16 septembre. Ils s'ajoutent au dispositif déjà en place aux frontières avec la Pologne, la République tchèque, l'Autriche et la Suisse. "Ce sont des contrôles intelligents, explique au Monde le député Nils Schmid (SPD). On ne va pas arrêter chaque voiture, ni fermer les frontières comme au temps du Covid. La police des frontières va observer plus attentivement les passages."

A la frontière franco-allemande à Kehl, près de Strasbourg (Bas-Rhin), la présence policière était déjà visible sur le pont de l'Europe mardi, avec des contrôles à la descente du tram côté allemand. Les réactions sont contrastées, entre incompréhension, agacement et approbation des riverains, comme a pu le constater France Télévisions sur place.

En Alsace, les frontaliers observent, depuis lundi 9 septembre, le rétablissement des contrôles à la frontière allemande, après plusieurs attentats en Allemagne.
Allemagne : le retour des contrôles aux frontières avec la France En Alsace, les frontaliers observent, depuis lundi 9 septembre, le rétablissement des contrôles à la frontière allemande, après plusieurs attentats en Allemagne. (France 2)

Si les Alsaciens et les Mosellans connaissent déjà ces contrôles renforcés, mesure appliquée pendant la période du Covid, ou plus récemment lors de l'Euro de foot 2024 ou les Jeux olympiques de Paris. Quelque 50 000 frontaliers sont potentiellement concernés.

"Kehl, c'est une banlieue de Strasbourg, comme Strasbourg est une banlieue de Kehl, on est frères, on est voisins, ce sont nos cousins, c'est un peu nul", commente un passant auprès de France 3 Grand-Est. "On est dans une société du contrôle qui devient complètement folle. Je ne peux que constater le délitement des libertés individuelles. Ici, la frontière, elle a disparu. Les contrôles, c'est un non-sens", ajoute un autre promeneur.

Cette mesure temporaire est prévue par le droit européen

Ces contrôles aux frontières intérieures des Etats membres de l'Union européenne (UE) dérogent aux règles de libre circulation dans l'espace Schengen et sont en principe proscrits au sein de l'UE. Mais une révision du code Schengen en mai permet, en cas de menace pour la sécurité intérieure, de les mettre en place pour une durée de six mois, à condition d'en aviser Bruxelles. Le ministère de l'Intérieur allemand a d'ailleurs précisé avoir bien notifié ces nouveaux contrôles aux autorités de l'UE.

Les contrôles doivent être "exceptionnels", "nécessaires et proportionnés", a rappelé une porte-parole de la Commission à Bruxelles, selon des propos rapportés par l'AFP. Elle a insisté sur le "principe de proportionnalité" et évoqué de possibles "mesures alternatives" comme des "patrouilles conjointes" entre Etats européens.

Un contexte de menace terroriste forte et de montée de l'extrême droite 

Cette annonce intervient deux semaines après l'attentat de Solingen revendiqué par le groupe Etat islamique, qui a fait trois morts et huit blessés lors de festivités locales. L'enquête a révélé que l'homme accusé d'en être l'auteur, un Syrien arrivé en Allemagne fin 2022, faisait l'objet d'une mesure d'expulsion vers la Bulgarie, où son arrivée avait été enregistrée. Quand les autorités allemandes avaient voulu l'expulser, il avait disparu. Début septembre, une tentative d'attentat a par ailleurs visé le consulat général d'Israël à Munich. Le principal mis en cause est un Autrichien de 18 ans, soupçonné de radicalisation islamiste.

A cette menace terroriste élevée, s'ajoute la forte poussée du parti d'extrême-droite AFD, qui a obtenu des résultats historiques à deux élections régionales, début septembre. Un nouveau mouvement de gauche xénophobe, l'Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), qui réclame un contrôle plus étroit des flux migratoires, a aussi effectué une percée spectaculaire à l'occasion de ces scrutins. Les deux formations pourraient réaliser un nouveau score important le 22 septembre, lors d'élections dans le Brandebourg, la région autour de Berlin.

Berlin a pris d'autres mesures pour limiter l'immigration

Sous pression, le gouvernement d'Olaf Scholz a annoncé la suppression des aides aux demandeurs d'asile entrés dans un autre Etat de l'Union européenne avant d'aller en Allemagne. Berlin veut aussi accélérer l'expulsion de réfugiés ayant fait l'objet d'une condamnation pénale. L'Allemagne a procédé fin août au renvoi dans leur pays de 28 Afghans condamnés pour crimes, une première depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021.

"Nous continuons d'appliquer notre ligne dure contre l'immigration irrégulière", a déclaré lundi la ministre de l'Intérieur, Nancy Faeser, en évoquant la généralisation des contrôles aux frontières. Il y a un an, le pays avait déjà renforcé son dispositif dans un contexte de forte hausse du nombre des demandes d'asile. Le chancelier social-démocrate s'est targué dimanche d'avoir "réalisé le plus grand changement de ces dix ou vingt dernières années dans la gestion de l'immigration", revendiquant ce durcissement après la politique d'accueil incarnée par l'ex-dirigeante conservatrice Angela Merkel.

Au cours de la crise migratoire de 2015-2016, la première économie européenne a accueilli plus d'un million de réfugiés, dont de très nombreux Syriens fuyant la guerre et la répression du régime de Bachar al-Assad. Depuis l'invasion russe de février 2022 en Ukraine, l'Allemagne a pris en charge environ un million d'exilés ukrainiens. Mais cet accueil des réfugiés met à l'épreuve de nombreuses collectivités. Berlin a invoqué lundi "les capacités limitées des communes en matière d'hébergement, d'éducation et d'intégration".

Cette nouvelle politique migratoire irrite les voisins de l'Allemagne

Cette décision tend les relations entre l'Allemagne et certains de ses voisins, d'autant que le gouvernement a également déclaré, lundi, vouloir refouler plus de migrants aux frontières allemandes. La mesure, particulièrement controversée, consiste à renvoyer des demandeurs d'asile dans le pays de l'UE par lequel ils sont arrivés, sans leur permettre de déposer une demande en Allemagne. L'Autriche a déjà prévenu qu'elle "n'accepterait pas les personnes refoulées d'Allemagne", selon des propos du ministre de l'Intérieur, Gerhard Karner, au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a pour sa part qualifié, mardi, d'"inacceptables" ces contrôles, qui avaient déjà été mis en place pour la Pologne il y a un an. Dénonçant une "suspension à grande échelle" de la libre circulation dans l'espace Schengen, il a annoncé lors d'un discours télévisé qu'il allait requérir une concertation en urgence avec les "autres pays affectés par ces décisions" en vue d'une "réaction au sein de l'Union européenne concernant cette question".

Face à ces critiques, le gouvernement allemand s'est défendu, mardi, de faire cavalier seul au sein de l'UE sur la politique d'immigration. "Il ne s'agit pas d'initiatives nationales isolées qui pourraient nuire à l'Union européenne", a assuré la ministre de l'Intérieur.

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