Pro et anti-immigration à Chemnitz : "On fait semblant de découvrir un phénomène ancré dans la réalité de l'Allemagne"
Le politologue Jean-Yves Camus parle d'un "malaise très ancien", notamment dans l'ancienne RDA.
Plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi 1er septembre à Chemnitz, fief de l'extrême droite, dans l'est de l'Allemagne. Deux cortèges aux revendications opposées, les uns opposés à la politique migratoire du gouvernement fédéral, les autres présents pour la soutenir, alors que le débat sur la question migratoire a été relancé par le meurtre d'un Allemand à coups de couteau, et l'arrestation de deux suspects, un Irakien et un Syrien.
Ces affrontements sur les questions migratoires ne sont pas nouveaux, estime dimanche sur franceinfo Jean-Yves Camus, politologue et directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. Pour lui, "on fait semblant de découvrir un phénomène qui est en fait ancré dans la réalité de cette partie de l'Allemagne depuis la chute de la RDA, voire avant".
franceinfo : Ces manifestations à Chemnitz sont-elles le révélateur d'un réel malaise en Allemagne ?
Jean-Yves Camus : Oui, mais d'un malaise très ancien. Bien avant ce que l'on appelle la crise des migrants lors des élections de 2004, le NPD (Parti national démocrate) qui est un parti encore plus extrême que l'Alternative pour l'Allemagne, l'AFD, ou que Pegida, recueillait 9,4% des voix. Juste après la réunification des deux Allemagne, au milieu des années 90, le nombre d'agressions contre des demandeurs d'asile ou des immigrants, qui étaient à l'époque bien moins nombreux que depuis 2015, était également monnaie courante. Donc on fait semblant de découvrir un phénomène qui est en fait ancré dans la réalité de cette partie de l'Allemagne depuis la chute de la RDA, voire avant. Parce qu'il faut regarder ce qui se passe dans la tête des gens qui ont grandi sous ce régime communiste. Le régime leur expliquait qu'il était pour la fraternité des peuples, il avait aboli le racisme et l'antisémitisme, mais d'une part, il n'avait absolument pas construit une société multiculturelle, et ensuite il continuait à porter haut les valeurs d'un certain nationalisme. Donc les habitants actuels, en tout cas les plus âgés, sont aussi les héritiers de cela.
Y a-t-il une volonté de réappropriation de l'Allemagne pour ces gens-là ?
Il y a le sentiment d'une volonté de réappropriation qui serait le résultat d'un constat de déperdition. Les manifestants considèrent que, depuis l'arrivée des réfugiés, Angela Merkel a non seulement laissé entrer, mais elle a demandé qu'ils s'installent. Ils considèrent qu'ils sont dépossédés de leur pays. Ils voient les migrants comme une sorte de masse de plus en plus nombreuse qui vient coloniser cette partie de l'Allemagne et l'Allemagne en général. Et ce thème de la colonisation est très présent dans toutes ces formations politiques en Europe.
Lors des dernières élections en Allemagne l'an dernier, 93 députés d'extrême droite sont entrés au Parlement. Le parti de gauche Die Linke se positionne durement sur les questions migratoires avec la création d'un mouvement baptisé "Debout". Peut-on faire une comparaison avec ce qui se passe en Italie, et l'alliance entre le Mouvement 5 étoiles et La Ligue d'extrême droite?
Non, car il n'y a pas en Allemagne, pour le moment, de mouvement équivalent au Mouvement 5 étoiles, donc ce type de coalition ne pourrait pas voir le jour. Et ensuite parce que le contexte allemand, dès que l'on touche toutes les questions de racisme et d'extrême droite, est très marqué par un passé qui est très spécifique. Le passé de l'Allemagne national-socialiste est beaucoup plus présent finalement que celui de l'Italie fasciste. Donc je crois que le problème principal aujourd'hui c'est d'abord la contestation de la chancelière Merkel qui ressort affaiblie de tout cela, parce qu'elle est dans son dernier mandat, on ne voit pas bien qui pourra lui succéder, et ce parti qui reste encore extrêmement fort, il a un problème de leadership et il est divisé en interne. Divisé notamment sur la question des migrants avec également le parti bavarois, le CSU, qui est son allié, et qui a en son sein un ministre de l'Intérieur qui est beaucoup plus dur que madame Merkel sur la question des réfugiés.
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