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Bienvenue au Liberland, le futur Monaco des Balkans

Le 13 avril 2015, un nouvel Etat autoproclamé voyait le jour. Localisé dans les bois entre la Croatie et la Serbie, fondé par une poignée de ressortissants tchèques et financé par crowdfunding, il sera sans impôts... et interdit aux communistes. Retour sur un projet de paradis fiscal au néo-libéralisme assumé.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le président autoproclamé de la «République libre du Liberland» Vit Jedlička (au centre, en costume vert foncé) pose avec son épouse, quelques-uns de ses futurs concitoyens et le drapeau de la nouvelle micronation. Bački Monoštor, Serbie, 1er mai 2015. (REUTERS/Antonio Bronic TPX IMAGES OF THE DAY )

Depuis la création de cette micronation le jour anniversaire de Thomas Jefferson, l'un des pères fondateurs des Etats-Unis, le hashtag #Liberland fait le buzz sur les réseaux sociaux d'Europe de l'Est. Ce confetti boisé (en forme de cœur) de 7 km² ne compte qu'une seule habitation en ruines, mais a une page Facebook et un compte Twitter. De nombreux médias se sont fait l'écho de ce qu'ils veulent voir comme une aventure, un nouveau modèle. D'autres ont bien noté l'orientation ultralibérale du projet: côté idéologie, le Liberland est interdit aux communistes… mis dans le même sac que les nazis et les criminels. Côté argent, le «Monaco des Balkans» est la première tentative d'État fondé et financé par crowdfunding, ou financement participatif. Il a déjà récolté la coquette somme de 45.000 dollars, en monnaie réelle et en Bitcoins, sur son site Liberland.org.

Une «terra nullius» entre Croatie et Serbie
La «République libre de Liberland» s'est installée sur une parcelle de terre appelée «Gornja Siga» (haut plateau calcaire) le long du Danube, oubliée lors de la division de l'ex-Yougolavie entre la Croatie et la Serbie, après la guerre des années 90. Une terra nullius qui n'appartient à personne et présente l'avantage d'être bordée par les eaux internationales du Danube. En cas d'inondations? «On sera comme Venise pour une partie de l'année. Au pire, on construira une ville sur pilotis ; ça pourrait être sympa», envisage le président de la nouvelle République, rencontré par Vice News. Des ébauches de plans ont été proposées par des urbanistes.

Le Liberland, entre réalité et utopie, entre Croatie et Serbie... A gauche, la seule habitation du pays ; à droite, une vision de la capitale, Liberpolis. (Facebook, Google Maps)

Le reportage de Vice News décrit un territoire sauvage de forêts et de plages le long du Danube, théoriquement fermé (comme l'indique Google Maps) par la police croate. La Croatie, qui ne reconnaît pas le nouvel Etat, a dépêché des brigades fluviales pour en empêcher l'accès. Le 9 mai 2015, elles ont arrêté son fondateur qui «pénétrait en territoire croate hors des postes-frontières (...). Depuis, une centaine de personnes ont été interpellées pour avoir tenté de rejoindre la zone», relate Le Monde. La Serbie, elle, semble lui accorder davantage de bienveillance, à défaut d'une reconnaissance officielle.

La reconnaissance tarde à venir du côté de l'ONU ou des Etats-Unis aussi, malgré une tournée de promotion qui passait par Paris le 20 juin. Au QG du Parti libéral-démocrate, rue Vivienne, le président de la nouvelle République en personne, accompagné de sa première dame, de son «ambassadeur» en France, d’un assistant-traducteur et suivi par un journaliste du New York Times, a déroulé son Power Point devant un auditoire acquis à la cause du libéralisme, raconte Métronews.

Un président tchèque inspiré par l'«anarcho-capitalisme»
Le président (presque) autoproclamé – élu par les fondateurs du Liberland, trois de ses proches et sa femme (le taux de participation aux élections en ligne n'a pas été suffisant) – est un Tchèque de 31 ans, ex-candidat du Parti des citoyens libres (ultralibéral et eurosceptique) aux élections européennes. Selon le Monde, il mûrissait son projet depuis la lecture, à l'adolescence, de La loi, un pamphlet de Frédéric Bastiat (1850) qui développe une vision minimaliste du rôle de l'Etat: «N’(en) attendre que deux choses : liberté, sécurité.» Si pour Vít Jedlička, «l'Etat est une grande illusion qui pervertit la loi», il nie être de droite et se réclame de Murray M.Rothhard, libertarien américain qui soutient que «tout impôt est un vol».

Une devise, un drapeau, une constitution, un hymne national...
Dans cette «République constitutionnelle avec des éléments de démocratie directe» (dixit la page Facebook du Liberland), aucun impôt ni taxe obligatoire : les deux seront optionnels, «à la hauteur de ce que veulent les gens», promet le président de ce nouveau paradis fiscal sur le modèle de Singapour. Pas de banque centrale, des services financés par crowdfunding – ainsi les bureaux du gouvernement, à Prague et en Serbie. Toutes les monnaies seront autorisées, mais le Liberland souhaite se baser sur un système de crypto-monnaie comme le Bitcoin.

Conformément à cet idéal néo-libéral, la devise du Liberland est «Vivre et laisser vivre». Son drapeau a été dessiné par le président lui-même : deux bandes jaunes «symbolisant le libre-échange», une bande noire pour signifier la «rébellion contre le système», un blason avec du bleu (le Danube), un oiseau (la liberté), un arbre (l'abondance)... Une ébauche de Constitution s’inspirant des textes américain, suisse, français et estonien, est disponible en ligne (en anglais). Le Liberland a même un hymne national, à entendre dans ce reportage de Canal+ !


Une existence très virtuelle
Dès l'annonce de la création de la nouvelle République, les demandes de citoyenneté ont afflué : déjà 400.000 au 22 juillet, émanant surtout d'Egyptiens et de Turcs (les Français seraient 3000 à avoir manifesté leur intérêt). D'autant qu'il suffit de «considérer la propriété privée comme sacrée» et de «respecter les opinions d'autrui quelles que soient leur race, origine ethnique ou religion». Une tolérance religieuse qui peut motiver presque autant que le côté paradis fiscal. Tolérance zéro, au contraire, si vous êtes nazi, criminel... ou communiste.

Sur Facebook, le nombre de «like», de 15000 mi-avril, a été décuplé. Et toutes sortes de groupes essaiment : gays du Liberland, transsexuels du Liberland... Mais pour l'instant, le nouveau pays n'a pas d'habitant – et une seule maison, en ruines...

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