Elections législatives en Pologne : l'article à lire pour comprendre l'enjeu d'un scrutin "plus polarisé que jamais"

Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Une manifestation anti-gouvermenent à Varsovie (Pologne), le 4 juin 2023. (BEATA ZAWRZEL / NURPHOTO / AFP)
Après huit ans au pouvoir, le parti du Droit et de la Justice pourrait ne pas obtenir de majorité au parlement, et être forcé de nouer des alliances à l'extrême droite.

Les Polonaises et Polonais sont de retour aux urnes. Trois ans après l'élection présidentielle, qui avait vu le conservateur nationaliste Andrezj Duda accéder au sommet de l'Etat, c'est au tour des parlementaires d'être élus à la proportionnelle, dimanche 15 octobre, lors d'un tour unique. Au total, 460 sièges de députés et 100 mandats de sénateurs sont en jeu lors de ce scrutin, qui peut signer la fin de la toute-puissance du parti Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015.

Favoris dans les sondages, les ultraconservateurs restent menacés par une montée de l'extrême droite et le retour dans la politique nationale de l'ex-Premier ministre libéral Donald Tusk, passé par la présidence du Conseil européen entre 2014 et 2019. En huit ans de règne, le PiS s'est retrouvé sous le feu des critiques pour avoir notamment restreint le droit à l'avortement et attaqué la communauté LGBT, avant d'être mis en difficulté par la guerre en Ukraine et une inflation galopante. Franceinfo résume les enjeux de ces élections cruciales pour la Pologne, mais aussi pour l'avenir de l'Union européenne.

A quoi sert cette élection ?

En Pologne, les législatives permettent de désigner les élus de la Diète et du Sénat, les deux chambres du Parlement. A l'issue de ce scrutin, la majorité (un parti seul ou une coalition) désigne un Président du Conseil des ministres, chargé de former un gouvernement. Tout cela s'organise sous l'œil du président de la République, Andrzej Duda (PiS), qui dispose de pouvoirs relativement limités par rapport au chef du gouvernement. 

Dimanche, les Polonais se déplacent pour un scrutin proportionnel, qui répartit les sièges en fonction du nombre de voix recueillies par les alliances et partis. Détail important : pour pouvoir obtenir des sièges, une formation doit au moins atteindre 4% des suffrages au niveau national (8% s'il s'agit d'une coalition).

Qui sont les favoris ?

Trois coalitions et un parti sont engagés dans cette course. On retrouve d'abord la Droite unie, qui rassemble nationalistes, conservateurs et populistes, et qui est dominée par le PiS. "Sans surprise, le parti au pouvoir est en tête dans les sondages", souligne la politologue Dorota Dakowska, professeure à Sciences Po Aix-en-Provence. "Mais si le PiS récolte environ 35% des voix, comme ce qui est prédit, ce sera trop juste pour obtenir la majorité et former seul un gouvernement", détaille-t-elle.

La politologue explique que la formation dirigée par l'ancien Premier ministre, Jaroslaw Kaczynski, pourrait donc s'allier à "une formation encore plus à droite" : la Confédération Liberté et Indépendance (plus souvent abrégée en "Confédération"), une alliance électorale extrémiste et anti-système.

Le président du parti polonais Droit et justice (PiS), Jaroslaw Kaczynski (à droite), accompagné du Premier ministre sortant, Mateusz Morawiecki (à gauche), lors d'un évènement du parti à Pultusk (Pologne), le 8 juillet 2023. (ANDRZEJ IWANCZUK / NURPHOTO)

Plus au centre de l'échiquier se trouve la Coalition civique, composée des libéraux de Plateforme civique (PO) mais aussi d'écologistes et de sociaux-démocrates. Cette alliance est deuxième dans les sondages, avec 28% des intentions de vote en moyenne. Elle est emmenée par Donald Tusk. "C'est une personnalité très bien identifiée, avec du charisme", rappelle Dorota Dakowska, au sujet de celui qui dirigea le gouvernement polonais de novembre 2007 à septembre 2014.

Pourquoi l'avortement est-il l'un des sujets phare de la campagne ?

L'interruption volontaire de grossesse (IVG) a été au centre des débats avant le scrutin. C'est "la mesure a marqué l'histoire politique polonaise récente", analyse Valentin Behr, chargé de recherche au CNRS, rattaché au Centre européen de sociologie et de science politique. Depuis un jugement du tribunal constitutionnel de 2020, les Polonaises font face à une quasi-interdiction de l'avortement. L'IVG ne peut désormais être pratiquée que si la vie de la mère est en danger, ou si la grossesse est le résultat d'un viol ou d'un inceste. Une "crapulerie politique" avait dénoncé à l'époque Donald Tusk, qui fait aujourd'hui campagne, comme les coalitions de gauche, pour élargir l'accès à l'avortement.

Ce jugement de 2020 avait provoqué des manifestations monstres en Pologne, autour d'un mouvement social baptisé "Grève des femmes". Depuis, des réseaux clandestins d'aide à l'avortement se sont développés. Fin mai, le décès d'une jeune femme souffrant de septicémie après la mort de son fœtus a provoqué de nouvelles contestations à Varsovie.

Le droit à l'avortement peut-il être assoupli à l'issue du scrutin ?

Même si l'opposition venait à l'emporter – "ce qui serait une énorme surprise" selon le politologue Cédric Pellen, spécialiste du pays –, "l'héritage du PiS sera très long à défaire". Il faudrait ainsi qu'une nouvelle décision de justice soit prise pour défaire celle du tribunal constitutionnel. "Or, le système judiciaire a été mis au pas par le gouvernement", explique Cédric Pellen, qui évoque la nomination de juges favorables au PiS. "Cela vaut aussi pour les grands médias publics, qui sont devenus des outils de propagande." 

Un autre moyen d'action envisagé par les partisans d'un élargissement de l'accès à l'IVG consisterait à faire voter une nouvelle loi. "Mais cela prend beaucoup de temps et dépend surtout de l'envergure de la coalition éventuellement formée par l'opposition", rappelle Valentin Behr. Si un tel texte venait à être adopté, il pourrait de plus être bloqué par le président Andrzej Duda, qui dispose d'un droit de veto, et dont le mandat court jusqu'en 2025.

Quels sont les autres sujets majeurs de la campagne ?

L'inflation est "un thème souvent soulevé par l'opposition" note Dorota Dakowska. Avec un taux dépassant 10% ces derniers mois, la hausse des prix en Pologne reste l'une des plus fortes de l'UE. "Face à ce phénomène, le PiS a consenti à des dépenses sociales généreuses et propose de baisser l'âge de départ à la retraite", rappelle la politologue. Pour dénigrer l'opposition, les ultraconservateurs rappellent fréquemment que Donald Tusk avait mené, en son temps, une politique d'austérité "mal vécue par une partie des Polonais", souligne Valentin Behr.

La guerre en Ukraine "pèse aussi sur la compétition politique en Pologne", poursuit Jérôme Heurtaux, maître de conférences à l'Université Paris-Dauphine, même si l'accueil des familles ukrainiennes n'a "pas posé de problèmes particuliers" à la population. "Il y a toujours la crainte pour la Pologne d'être une cible de la Russie, rappelle-t-il. On le voit avec la volonté de se constituer une armée de haut niveau pour les dix années à venir."

Quel est le bilan du PiS, au pouvoir depuis huit ans ?

L'héritage du gouvernement, dirigé par le Premier ministre Mateusz Morawiecki (PiS), fait l'objet d'intenses débats. Ses opposants lui reprochent pêle-mêle une trop grande proximité avec l'Eglise catholique polonaise, des positions très dures contre les migrants ou encore des mesures dangereuses pour l'environnement, dans ce pays ultra-dépendant au charbon.

Mais chez ses sympathisants, le PiS est particulièrement populaire pour sa gestion budgétaire, sa politique généreuse d'allocations familiales et ses baisses d'impôts. Les ultraconservateurs sont aussi appréciés pour avoir ramené, en 2017, l'âge de la retraite à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes, contre 67 ans pour tous jusqu'alors.

Quels sont les enjeux à l'échelle européenne ? 

Varsovie n'a jamais eu de relations aussi mauvaises avec Bruxelles, qui lui reproche particulièrement d'avoir attaqué l'indépendance de la justice. La crise est si sérieuse que la Pologne a été temporairement privée des fonds du budget européen, et notamment des 35 milliards d'euros prévus par le plan de relance post-Covid-19 de l'UE. "Si le PiS reste au pouvoir, il devra trouver de nouveaux arrangements, car ce serait très étrange de renoncer aux fonds européens pendant des années", souligne Dorota Dakowska. 

Le leader du parti d'opposition Plateforme civique, Donald Tusk, lors d'un meeting pré-électoral à Sopot (Pologne), le 27 août 2023. (MICHAL FLUDRA / NURPHOTO / AFP)

Une victoire de la coalition de Donald Tusk, européen convaincu, pourrait certes "améliorer les choses", concède la politologue, "mais il ne sera pas facile de revenir sur les réformes qui ont porté atteinte à la liberté des médias et à la justice", prévient-elle. Durant la campagne, le passage de Donald Tusk au Conseil européen a fait lui aussi l'objet de critiques par le PiS. "Il a été suggéré que ceux qui votaient pour la Plateforme civique n'étaient pas des vrais Polonais, mais des traîtres à la patrie, rappelle Dorota Dakowska. C'est dangereux, c'est le signe d'une campagne et d'un pays plus polarisés que jamais."

J'ai eu la flemme de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?

Les élections législatives en Pologne peuvent mettre un terme à huit ans de règne du PiS, un parti ultraconservateur. Elles peuvent aussi le conforter dans son exercice du pouvoir, alors que l'opposition et l'Union européenne dénoncent de graves atteintes à l'Etat de droit et aux libertés des femmes. Dans les derniers sondages, le PiS arrive en tête, avec 33,5% des intentions de vote. Mais cela ne lui suffit pas : il lui faut surtout remporter assez de voix pour former un gouvernement sans avoir à négocier avec l'extrême droite, par exemple.

Face au PiS, les électeurs polonais ont le choix entre une coalition libérale de l'ancien Premier ministre, Donald Tusk, et des coalitions de conservateurs modérés ou de gauche. Même en cas de victoire de l'opposition, qui passerait forcément par des alliances au Parlement, les réformes concernant les lois les plus controversées, notamment sur les restrictions en matière d'IVG, prendront forcément du temps, car de nombreux juges ont été nommés par le PiS. Alors que la guerre se poursuit en Ukraine voisine, les partis font tout pour mobiliser leurs troupes, dans un pays où le taux de participation électorale tourne généralement autour de 50%.

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