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Brexit : en Ecosse, "je me sens plus européen que britannique"

Lors du référendum de jeudi, les Ecossais devraient être parmi les plus nombreux à se prononcer en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l'UE. Reportage à Stirling, une ville du centre de l'Ecosse.

Article rédigé par Yann Thompson - Envoyé spécial à Stirling
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Alan Waldron, propriétaire du magasin Stirling Bagpipes, pose dans sa boutique, le 20 juin 2016, à Stirling (Royaume-Uni). (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

Qu'il paraît loin le temps où l'Ecosse se passionnait pour son référendum. En septembre 2014, les Ecossais débattaient de leur identité nationale à coups de "Yes" ("Oui" à l'indépendance hors du Royaume-Uni) et de "No thanks" ("Non merci"). Les logos des deux camps étaient partout, au bord des routes, aux fenêtres des maisons, aux boutonnières... Le jour du scrutin, la participation avait atteint le taux record de 85% et le camp du maintien de l'Ecosse au sein du Royaume-Uni avait fini par l'emporter, avec 55% des voix. Jamais cette nation ne s'était ainsi emparée d'un vote.

Moins de deux ans plus tard, le soufflé est retombé. Lundi 20 juin, à Stirling, une ville écossaise de 50 000 habitants, rien au bord des routes, aux fenêtres des maisons ou aux boutonnières n'indique la tenue imminente d'un autre référendum crucial pour l'avenir de l'Ecosse. Deux hommes ont bien monté un stand dans la rue commerçante de Port Street, mais pour convaincre de parrainer des chiens guides d'aveugles. Plus loin, deux autres activistes, en retrait, invitent les passants à rejoindre les Témoins de Jéhovah. Personne pour vanter les mérites ou dénoncer les dangers d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Overdose de politique

"Les gens commencent à fatiguer, concède Lee Robb, 25 ans, militant du Scottish National Party (SNP), le parti indépendantiste au pouvoir. On les arrête dans la rue pour leur parler d'Europe et ils nous disent : 'Quand est-ce qu'on va en finir ? On vient juste de vous élire, vous ne pouvez pas simplement gouverner le pays ?'" En effet, depuis le référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, des élections législatives ont eu lieu en 2015, puis des élections pour le Parlement écossais en mai. "On toquait déjà à leur porte le mois dernier. C'est un manque de respect envers les Ecossais d'avoir organisé un référendum si peu de temps après le dernier scrutin, surtout qu'on n'a jamais demandé cette consultation."

Lee Robb se démène malgré tout pour mobiliser l'électorat de Stirling. Cette ville, qui se veut le "cœur de l'Ecosse" de par sa situation centrale entre Glasgow, Edimbourg et Aberdeen, est l'un des trois principaux foyers d'europhiles dans le Royaume-Uni, selon l'institut de sondages YouGov (en anglais). "Le soutien pour le maintien dans l'UE est là, mais il reste à le convertir en énergie pour que les gens aillent voter jeudi", résume cet assistant du député local. Il est conscient que la victoire de son camp dépendra en grande partie de la capacité à mobiliser les abstentionnistes, notamment les jeunes, majoritairement favorables à l'UE.

Dans cette campagne, le SNP, classé à gauche, s'est tenu à l'écart du mouvement officiel des partisans du maintien, Stronger In, dominé par le Premier ministre conservateur, David Cameron. "Nous voulons aussi que le Royaume-Uni reste dans l'UE, mais pour des raisons différentes, explique Lee Robb. Alors que David Cameron joue sur les peurs en parlant de récession et en allant jusqu'à évoquer des risques de troisième guerre mondiale en cas de sortie, nous voulons insister sur les aspects positifs de l'UE, qui nous garantit des droits, en matière notamment de temps de travail." 

L'Ecosse convertie à l'europhilie

Dans les rues de la cité médiévale de Stirling, en cette fin de matinée, le temps alterne entre crachin et éclaircies. Lorrraine est presque aussi indécise. Profitant d'un jour de congé pour faire quelques courses, cette Anglaise de 58 ans, mariée à un Ecossais, s'arrête volontiers pour faire part de sa lassitude. "J'ai arrêté d'écouter ce que les deux camps ont à dire, ils se disputent sans arrêt et on n'arrive plus à distinguer le vrai du faux, confie cette vendeuse de maquillage. Je pense quand même que je vais voter pour rester, il y a trop d'inconnues, notamment sur la coopération européenne contre le terrorisme."

Le Monument William Wallace, construit en hommage au héros écossais du XIIIe siècle, domine la ville de Stirling. (RUSSELL CHEYNE / REUTERS)

En Ecosse, l'un des principaux arguments des partisans du maintien est d'ordre économique. "Nous sommes la région qui profite le plus de l'adhésion à l'UE, deux fois plus que le reste du Royaume-Uni", assure Lee Robb. Ces investissements européens contribuent à l'europhilie de l'Ecosse en général, qui est relativement récente. 

"A l'origine, l'Ecosse, comme le pays de Galles et l'Irlande du Nord, était plutôt eurosceptique, pour des raisons identitaires et parce qu'elle craignait que l'UE profite surtout au sud de l'Angleterre, souligne l'historien anglais Robert Saunders. Et puis les fonds européens de développement régional sont arrivés, et les Ecossais ont découvert que cela leur profitait et que l'UE pouvait même être un contre-pouvoir à Londres. La bascule a eu lieu dans les années 1990."

L'Ecosse indépendante en cas de Brexit ? 

Dans une des rues étroites et pentues menant au château de Stirling, la petite boutique d'Alan Waldron attire les touristes. L'homme de 45 ans est le seul fabricant de cornemuses de la région, et sa réputation dépasse les frontières. Ce jour-là, un amateur de l'Ohio (Etats-Unis) est venu lui acheter des partitions. "Si le Royaume-Uni quitte l'UE, mes exportations vers l'Europe deviendront aussi contraignantes que vers le reste du monde", craint le maître des lieux, qui votera pour le maintien, jeudi.

"Je me sens plus européen que britannique, affirme Alan Waldron. Je ne suis pas fier de ce qu'a fait l'Empire britannique et la Chambre des Lords représente ce que je méprise le plus, des gens non élus, des royalistes, des évêques... Je me sens davantage chez moi en France ou en Allemagne qu'en Angleterre, même si je me sens écossais avant tout."

En 2014, le patron de la boutique Stirling Bagpipes avait voté "yes" (ou plutôt "aye", avec l'accent) à l'indépendance de l'Ecosse. Il avait décoré sa vitrine pendant la campagne, ce qu'il n'a pas fait cette fois-ci. Il sera "triste" si le Royaume-Uni quitte l'UE, mais il se dit que, si l'Ecosse vote en faveur du maintien, à contre-courant du reste du pays, cela accélérera peut-être la tenue d'un nouveau référendum sur l'indépendance. Une chose est certaine : quel que soit le résultat, les dirigeants du SNP ont annoncé qu'ils lanceront une campagne, dès cet été, pour militer en faveur d'un deuxième "Scottish referendum".

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