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Télépathie, boys band et harcèlement : les dernières armes des militants anti-Brexit

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le prestidigitateur britannico-israélien Uri Geller, à Jaffa, en Israël, le 23 janvier 2017.  (BAZ RATNER / REUTERS)

Alors que les députés britanniques et le gouvernement peinent à se mettre d'accord sur les modalités de sortie de l'Union européenne, les anti-Brexit tentent le tout pour le tout pour empêcher le divorce. 

Les parlementaires s'écharpent, le gouvernement s'effrite, les Britanniques s'inquiètent… A l'approche de la date de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, vendredi 12 avril, la situation demeure chaotique et imprévisible. Las, certains "Remainers", hostiles au Brexit et bien décidés à demander un second référendum ou carrément une annulation du grand saut via la révocation de l'article 50, s'élancent dans un sprint final. Une opération de la dernière chance pour ceux qui (pour l'instant) ne parviennent pas à décrocher la tenue d'un second référendum susceptible de renverser le premier, remporté avec 51,9% des voix par les "Brexiters". 

Mercredi 27 mars, le gouvernement a rejeté la pétition dans laquelle 5,8 millions de signataires demandent de révoquer l'article 50, au motif que cela "saperait [la] démocratie et la confiance que des millions d'électeurs ont placée en [leur] gouvernement". La manifestation du samedi 23 mars en faveur d'un nouveau vote, qui a rassemblé un million de personnes, n'a évidemment pas la capacité de mettre à la poubelle l'avis des 17,4 millions de citoyens qui ont voté en faveur du Brexit en juin 2016. Alors ? Quels ultimes modes d'action pour les militants anti-Brexit en marge des campagnes traditionnelles ?

La télépathie

Rendez-vous à 11h11 (ainsi qu'à 23h23), jeudi 28 mars. Dans une lettre ouverte adressée à Theresa May, l'illusionniste britannico-israélien Uri Geller a dévoilé son plan anti-Brexit, le 22 mars : s'infiltrer télépathiquement dans l'esprit de la Première ministre afin de lui demander de proposer un nouveau référendum. "J'appelle tout le monde à me rejoindre et à m'aider à me projeter dans l'esprit de Theresa May", explique-t-il à franceinfo. Derrière lui, deux sonneries de téléphone différentes retentissent simultanément. "Cela n'arrête pas. On parle de mon appel partout, du Japon aux Etats-Unis, et j'ai fait toutes les émissions britanniques. Les réactions sont incroyables", se réjouit-il, prévoyant foule de télépathes amateurs dans la tête de la cheffe de gouvernement pour ce raid psychique inédit. 

Certains sont furieux que je me permette d’intervenir en politique avec mon esprit, mais je ne suis pas un gourou ou un prophète, je suis juste un être humain doté de dons paranormaux qui essaye d’apporter son aide.

Uri Geller

à franceinfo

Selon ce "tordeur de cuillères" professionnel, "tout le monde peut participer et ce, même si vous n'avez pas d'aptitude télépathique : nous sommes en effet tous composés d'énergie. Et l'énergie voyage, elle peut être projetée et absorbée. C'est scientifique." Ainsi, il conseille de "visualiser dans votre esprit Theresa May en train de signer un document révoquant l'article 50 et penser la phrase suivante : 'Theresa May, donnez une chance au peuple, faites un nouveau référendum'." Mais attention, pas question de "tordre la démocratie" comme s'il s'agissait d'une cuillère en argent : "J'ouvre une possibilité dans l'esprit de Theresa May, que je connais et admire par ailleurs. Il ne s'agit pas de prendre le contrôle. C'est pour ça que je vais lui demander d'organiser un nouveau référendum." Nous voilà rassurés. 

Quand on lui demande si son intervention psychique n'arrive pas trop tard, il couvre ses arrières, assurant "ne pas pouvoir faire de miracle" (et en effet, sa tentative pour aider l'équipe d'Angleterre à battre la Croatie lors de la dernière Coupe du monde de football s'est soldée par un échec). "Les Britanniques ont changé d'avis depuis le référendum, maintient-il, il faut faire quelque chose." Comment le sait-il ? "Je le sens", explique celui qui affirme avoir prédit l'élection de Donald Trump et l'arrivée au pouvoir de Theresa May. 

Le lobbying sauvage 

Steve Bray est obligé de couper court à l'entretien téléphonique : "[Le député pro-Brexit] Jacob Rees-Mogg arrive, je dois vous laisser. C'est un peu la folie ce matin, désolé." Depuis vingt mois, ce "Remainer" passe quatre jours par semaine (les jours où se déroulent les sessions parlementaires) planté devant le Parlement de Westminster, à protester. Vêtu d'un haut-de-forme bleu et d'une cape composée du drapeau européen et de l'Union Jack, il s'invite dans le champ des caméras de télévision pour crier "Stop Brexit". A l'approche de l'échéance, ce Gallois s'est improvisé lobbyiste auprès des parlementaires qui croisent son chemin. 

Les députés changent d'avis sans arrêt, donc ça vaut le coup de tenter de les convaincre jusqu'à la dernière minute.

Steve Bray

à franceinfo

"Chaque fois que j'en vois entrer ou sortir, je leur rappelle qu'ils ont le destin du pays entre les mains et que l'histoire les jugera avec la sévérité qu'ils méritent s'ils laissent le Royaume-Uni s'enfoncer dans le chaos." En effet, la balle est dans le camps des députés : mercredi 27 mars et lundi 1er avril, ils doivent voter sur un scénario alternatif au texte de retrait présenté par Theresa May (et rejeté par deux fois).

"Je leur rappelle donc qu'ils sont là pour servir les Britanniques et pas leurs propres intérêts. Nous savons désormais que les gens qui ont voté pour le Brexit ont été bernés par une campagne de mensonges", poursuit Steve Bray. "Deux années de débats n'ont pas permis d'envisager de sortir de l'UE sans détruire notre pays, donc il est temps d'arrêter cette mascarade et de mettre un terme au Brexit. Je ne demande même pas un deuxième référendum. Je leur demande d'arrêter ce processus absurde le temps que le pays se remette de ses divisions." Et ça marche ? "Certains députés m'ont dit que ce que je faisais était utile, donc je le pense, oui. Je n'arrêterai pas, en tout cas." 

Les sentiments 

"Nous voulons montrer aux Britanniques que nous les aimons. L'objectif, c'est de faire comprendre qu'ils peuvent revenir en arrière et que nous leur ouvrons les bras." Julia Veldman, une communicante néerlandaise de 30 ans, spécialisée dans le "storytelling visuel", espère elle aussi contribuer à changer le cours de l'histoire. En décembre 2018, elle a dévoilé le premier clip des Breunion Boys, un boys band qu'elle a monté de toutes pièces, chargé de prendre les Britanniques par les sentiments. Son objectif : réunir assez d'argent pour partir en tournée en avril et mai au Royaume-Uni pour promouvoir le retour du pays dans l'Union européenne. Ou comment "utiliser l'humour et un ton sexy pour attirer l'attention sur un message vraiment sincère".

Selon elle, l'Europe paie aujourd'hui le prix de ne pas avoir su raconter aux Britanniques une belle histoire d'amour : "L'Europe donne l'impression de ne permettre qu'une relation de business [entre les Etats membres]. C'est de sa faute, mais aussi de celle des médias britanniques, qui ont relayé des mensonges pendant vingt ans (…), et des gouvernements britanniques, qui mettent leurs échecs respectifs sur le dos de l'Union européenne", explique-t-elle. Pour changer cette perception, cette "enfant des années 90" a donc décidé de s'appuyer sur un produit d'exportation britannique : le boys band. "Et je pense que cela marche", assure-t-elle. "Notre message passe, même auprès des pro-Brexit. Ils ne nous interpellent pas toujours de manière sympathique, mais il y a un échange, ce qui n'arrivait plus, tant les divisions sont profondes."

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