Le juge espagnol poursuivi pour prévarication a reçu un prix à Sciences Po et a été reçu à l'Hôtel de Ville de Paris
En visite à Paris, le juge Garzon, poursuivi en Espagne pour avoir voulu enquêter sur les crimes amnistiés du franquisme, a reçu lundi le prix "Liberté et Démocratie René Cassin" à Sciences Po.
Mardi, c'est l'adjointe au maire de Paris, Anne Hidalgo, qui l'a reçu pour exprimer sa "solidarité" avec cette "incarnation de la justice universelle".
Après la remise de son prix à l'université de Sciences Po, le juge a déclaré: "c'est un moment difficile et délicat, mais cela ne signifie pas que je n'ai pas confiance (...) à la fin de ce difficile chemin, la justice s'imposera".
Prévu de longue date, cet hommage au juge âgé de 54 ans, a eu lieu alors qu'il a été , en attendant d'être jugé pour avoir voulu enquêter sur les crimes du franquisme, en enfreignant "sciemment", selon ses accusateurs, . Il encourt une peine de vingt ans d'interdiction d'exercice de sa fonction.
Il a cependant été autorisé mardi soir à travailler à la Cour pénale internationale (CPI) de la Haye comme il l'avait sollicité. Cette autorisation lui a été accordée de justesse, après le vote favorable de trois des cinq membres du Conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ), l'organe de tutelle de la magistrature, qui statuait sur sa demande.
L'hommage qui lui a été rendu à Sciences Po était d'autant plus fervent que de nombreux juristes dans le monde estiment que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. "Il est impossible pour un peuple d'affronter son histoire si la vérité n'a pas été dite", a déclaré l'ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, un des parrains de l'association Jeune République qui a remis le prix René Cassin. De même, Reed Brody, de l'organisation non-gouvernementale Human Rights Watch, a jugé "incroyable qu'en Europe, un juge qui a voulu ouvrir des fosses communes soit poursuivi et suspendu".
"Le juge Garzon n'a pas commis de délit"
Malgré l'interdiction d'exercer qui plane sur la tête du juge, le ministère public du Tribunal suprême espagnol a estimé lundi que les faits reprochés au juge Garzon ne constituaient pas un délit. A quelques semaines ou mois de l'ouverture de son procès, dont la date n'a pas encore été fixée, cette nouvelle semble lui avoir redonné espoir. Il a en effet déclaré mardi au quotidien espagnol El Pais qu'il se sent "tranquille" et qu'il était convaincu que son innocence serait démontrée.
Dans une allusion déguisée à la loi d'amnistie espagnole, il a ajouté que "les lois d'amnistie finissent toujours par être annulées ou amendées". Ne citant jamais la loi espagnole il a appuyé sa thèse sur les exemples argentin et péruvien. Rappelons ici que le juge Garzon est mondialement connu pour avoir fait interpeller en 1998 à Londres l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet. La présidente argentine, Cristina Kirchner, l'a d'ailleurs reçu lundi à Madrid à l'ambassade d'Argentine pour lui témoigner son "soutien". "Cela ne signifie pas s'immiscer dans des affaires intérieures espagnoles, au contraire, nous croyons que les droits de l'Homme sont universels", a-t-elle déclaré à cette occasion. La suspension de Garzon constitue "une régression", a estimé Mme Kirchner, ajoutant: "non seulement nous sommes préoccupés, mais surpris et meurtris".
Il a également reçu le soutien de nombreux juristes dans le monde qui estiment que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles et que la loi d'amnistie espagnole n'est pas conforme au droit international.
Réhabilitation du franquisme ?
En Espagne, sa mise en accusation suscite une vive controverse. Elle choque profondément les milieux de gauche et les associations de victimes du franquisme. La droite elle, estime que la justice doit suivre son cours en toute indépendance. Pour la première adjointe du maire de Paris, Anne Hidalgo, ces poursuites judiciaires sont une "réhabilitation du franquisme".
Dans son communiqué publié mardi, Anne Hidalgo, fille et petite-fille de républicain espagnol, affirme qu'"aujourd'hui, certains défendent l'idée que l'amnésie permettrait d'aller de l'avant. Mais l'amnésie n'est pas une solution: elle est une maladie, dangereuse pour toute démocratie." Aujourd'hui, l'Espagne est encore partagée sur le traitement de sa mémoire. C'est la raison pour laquelle ce sont des organisations d'extrême droite, "Mains propres" et "Phalange" qui ont porté plainte contre le juge Garzon. En Espagne, le spectre de Franco est encore vivant et il rend difficile l'établissement d'une mémoire apaisée, claire et honnête.
Anne Hidalgo conclu son communiqué sur une phrase optimiste pour l'Espagne: "l'Espagne est à présent suffisamment mûre pour recouvrer sa vérité et sa mémoire historique, même si celles-ci peuvent se révéler douloureuses". Pourtant, si le juge Garzon venait à être interdit d'exercer ses fonctions par le Tribunal suprême espagnol, il semblerait difficile à l'avenir de faire la lumière sur certaines tombes bien enfouies.
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