Le "Non" irlandais au Traité institutionnel européen simplifié le 12 juin créée une nouvelle crise européenne
Ainsi, la présidence slovène de l'Union européenne, qui refuse d'affirmer que les Européens vont pouvoir sauver le traité, ne peut qu'admettre que l'Europe a besoin "d'un peu de réflexion et d'analyse" après ce refus.
Résultat, les dirigeants de l'Union cherchent la riposte et multiplient les consultations pour tenter de sauver l'Europe.
L'Irlande, seul pays de l'UE à devoir ratifier le traité de Lisbonne par référendum, a voté nettement "Non" le jeudi 12 juin - par 53,4% des voix contre 46,6% - à ce texte censé rendre l'Union européenne élargie plus efficace. C'est la troisième fois en trois ans qu'un texte institutionnel négocié par les dirigeants européens est rejeté par un de leurs peuples, après les "Non" français et néerlandais à la Constitution européenne en 2005.
Il est nécessaire que les 27 pays de l'UE ratifient le traité pour qu'il puisse entrer en vigueur. Dix-huit pays l'ont déjà fait. L'Irlande, qui a opté pour le référendum, ayant rejeté le texte, le traité de Lisbonne ne pourra donc pas être ratifié le 1er janvier 2009.
Bilan: dès l'annonce du résultat du vote, le 13 juin, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE se sont dit décidés à poursuivre la ratification du traité dans les neuf pays où il n'a pas encore été approuvé. L'idée: isoler le "Non" des Irlandais pour les pousser à revoter le texte, comme ils l'avaient fait avec le traité de Nice, qu'ils avaient rejeté en 2001, avant de l'approuver légèrement modifié en 2002.
Pour sa part, le Premier ministre irlandais Brian Cowen, invité par les dirigeants européens à faire une analyse du vote et à présenter d'éventuelles solutions au sommet européen les 19 et 20 juin 2008, a immédiatement exprimé son refus de voir l'Irlande marginalisée dans l'Union européenne et évoqué l'idée d'un abandon du texte pour sortir de la crise. Il a évoqué le risque de voir certains pays constituer une "avant-garde" pour aller de l'avant dans l'intégration après le rejet du traité.
Quoi qu'il en soit, le "Non" irlandais au Traité de Lisbonne est révélateur du fossé qui s'est creusé entre les citoyens et une Union européenne au fonctionnement incompréhensible, a estimé la quasi totalité de la presse européenne et de la classe politique. Tous s'interrogent à présent sur les scénarios de sortie de crise tout en gardant l'espoir que cette panne institutionnelle permette à l'Europe de prendre un nouveau départ et qu'il en sortira une réconciliation des citoyens avec l'Europe.
L'Irlande refuse la mise au ban
Dès le 15 juin, le Premier ministre irlandais, qui n'a pris ses fonctions que le mois dernier à la suite de la démission de Bertie Ahern, a exprimé - dans une interview à la radio RTE - son refus de voir son pays marginalisé dans l'Union européenne par le "Non" de ses compatriotes au traité de Lisbonne, et évoqué l'idée d'un abandon du texte pour sortir de la crise.
Brian Cowen, qui a expliqué qu'il ne voulait pas arriver à une situation où les pays européens constateraient que "l'Irlande veut redéfinir sa relation avec l'Europe", veut avec ses partenaires "voir si il y a une autre solution sur laquelle on pourrait se mettre d'accord, en dehors de la route du traité de Lisbonne".
"Ma tâche est de m'assurer que nos intérêts ne soient pas lésés, qu'ils soient pris en compte, de les défendre. C'est d'essayer de trouver des solutions qui ne me semblent pas évidentes immédiatement". Le Premier ministre irlandais a souligné qu'il n'y avait pas de "solution évidente" à la situation actuelle et qu'il devait y avoir une réflexion pour comprendre pourquoi le traité avait été rejeté afin de trouver une issue politique: "Je veux que l'Europe essaye de fournir une partie de la solution aussi", a-t-il fait valoir.
L'Irlande a déjà causé des déceptions à l'Union européenne en 2001 avec le rejet du traité de Nice, finalement adopté au cours d'un second vote en 2002. Mais cette fois, la situation irlandaise est plus complexe. En 2001, on avait utilisé l'argument d'une faible participation au référendum (34,8%) pour le répéter, après que Dublin eut obtenu des garanties sur le respect de sa neutralité. Cette fois, la participation a atteint le taux honorable de 53,13%.
Sarkozy prend le taureau par les cornes
Le 16 juin, trois jours avant un sommet européen à Bruxelles, le président français Nicolas Sarkozy a poursuivi en République tchèque sa tournée des capitales, préalable à la présidence française de l'Union européenne déstabilisée par le "Non" irlandais au traité de Lisbonne, le 12 juin.
La visite du président de la République à Prague a pris des allures de réunion de crise entre les deux pays appelés à prendre tour à tour, du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009, les rênes de l'Union et par voie de conséquence à gérer les retombées politiques et institutionnelles du refus irlandais.
Nicolas Sarkozy et le Premier ministre libéral tchèque Mirek Topolanek, qui dispose des pouvoirs exécutifs, ont évoqué une "complication", tout en en dédramatisant les répercussions. Déjà le 14 juin, Nicolas Sarkozy avait appelé à "continuer le processus de ratification" du traité européen "de façon à ce que l'incident irlandais ne devienne pas une crise".
Si le chef du gouvernement tchèque a estimé vendredi que l'UE allait continuer à fonctionner de manière "stable" et assuré que son pays continuait à préparer sa présidence tournante de l'UE, au premier semestre 2009, le président tchèque Vaclav Klaus - qui fut l'un des chefs d'Etat les plus réticents au projet de traité simplifié - a considéré comme "fini" le processus de ratification du texte, toujours en cours en République tchèque.
Outre M.Topolanek, le président français a adressé un message aux chefs de gouvernement de Pologne, de Hongrie et de Slovaquie, qui forment avec la République tchèque le groupe de Visegrad en faveur d'une Europe "différente", "qui protège au lieu d'inquiéter".
Les Premiers ministres tchèque, slovaque, polonais et hongrois ont en suivant relativisé les effets du refus irlandais en souhaitant que le processus d'élargissement de l'UE ne pâtisse pas des aléas de la réforme institionnelle européenne.
Selon Nicolas Sarkozy, "beaucoup d'Européens ne comprennent pas la façon dont on construit l'Europe en ce moment". Le chef de l'Etat français "vois le Non irlandais comme un appel à faire davantage, mieux, différemment".
L'Elysée, allant dans le même sens, met l'accent sur "les quatre priorités de la présidence française (qui) portent sur le fond et doivent montrer que l'UE est capable de répondre aux préoccupations concrètes des Européens, ce qui est précisément tout le message du Non irlandais."
Un revers pour le Britannique Gordon Brown
Le "Non" irlandais est une épreuve pour le Premier ministre britannique Gordon Brown, à la tête d'une Grande-Bretagne eurosceptique, lui même étant considéré comme un Européen plutôt tiède. Les opposants au traité européen et ceux qui veulent un référendum donnent de la voix, alors que Les Lords a approuvé le 18 juin le texte en troisième lecture à la chambre haute, dernière étape du processus de ratification parlementaire.
Le parti Gordon Brown, qui enregistre un plus bas historique dans les sondages après un scrutin local et une élection partielle catastrophique pour le Labour, avait promis dans son programme électoral de 2005 de soumettre une Constitution européenne à un référendum, avant que celle-ci ne soit rejetée par les Français et les Néerlandais. Mais Gordon Brown a toujours répété qu'il n'était pas nécessaire de soumettre le traité de Lisbonne aux électeurs, arguant qu'il s'agissait d'un traité réformateur et pas d'une Constitution.
Après le rejet irlandais, l'opposition avait saisi l'occasion pour renouveler ses appels à l'abandon du traité, bien que le gouvernement britannique a clairement dit que le processus de ratification continuait, dans l'attente de discussions entre le Premier ministre irlandais Brian Cowen et les autres leaders européens à Bruxelles pour tenter de trouver une issue à l'impasse.
L'examen du texte par les Lords, préalable au processus de ratification parlementaire, a soulevé l'indignation des conservateurs qui, par la voix de David Cameron, leur leader, a demandé un référendum, sachant que la victoire du "Non" serait, dans ce cas, pratiquement inscrite.
La diplomatie allemande au charbon
La chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre polonais Donald Tusk se sont fermement prononcés le 16 juin à Gdansk, en Pologne, pour la poursuite du processus de ratification. "Nous avons besoin du traité de Lisbonne pour que l'Union européenne puisse travailler et qu'elle puisse s'élargir", a déclaré la chancelière allemande.
"Nous sommes convaincus, et je peux l'affirmer après ma rencontre avec Mme la chancelière et après celle (du Groupe de Visegrad formé par les gouvernements de Pologne, Hongrie, Slovaquie, République tchèque) à Prague, que l'Europe trouvera une solution à cette situation et que nous arriverons à surmonter cette crise de ratification", a ajouté M.Tusk.
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