Au lendemain de la crise en Crimée, le président américain, de passage à Bruxelles, a rappelé à l'Union européenne que la paix "a un prix". Qu'elle refuse de payer ?
Après des semaines de tensions en Ukraine, la Crimée a finalement été rattachée à la Russie. Un épisode durant lequel les Européens se sont montrés incapables d'impressionner Moscou. En bordure de l'Union européenne, plusieurs Etats se sont alors sentis menacés. Car avec la crise ukrainienne, l'Europe est soudainement apparue nue, incapable de contrecarrer les volontés hégémoniques de son voisin, rappelant à certains Etats qu'ils ont longtemps fait partie du bloc soviétique. En déplacement à Bruxelles, le président américain, Barack Obama, ne s'est pas privé, mercredi 26 mars, de rappeler à ses partenaires européens au sein de l'Otan que "la liberté n'est pas gratuite". A-t-il raison de pointer la faiblesse des Européens dans le domaine militaire ?
Des lacunes récurrentes sur les théâtres d'opération
Ce n'est pas la première fois que les Etats-Unis font un tel constat. En 2011, le secrétaire d'Etat américain à la Défense Robert Gates accusait les Européens de conduire l'Otan à sa perte. En pleine intervention contre le régime de Mouammar Kadhafi, en Libye, il pointait que "l'alliance militaire la plus puissante de l'histoire [l'Otan] n'en était qu'à sa 11e semaine d'opération contre un régime militairement mal équipé. (…) Et pourtant, de nombreux alliés manquent de munitions, obligeant les Etats-Unis à combler le trou". Une critique visant certains pays européens.
Depuis, les Français ont conduit deux opérations militaires, au Mali et en Centrafrique. Comme Washington en Libye, Paris n'a trouvé que peu de soutien auprès de ses alliés européens. Engagée au Mali, la France a dû batailler pour obtenir que l'Union européenne détache une équipe de formation de l'armée malienne de 500 hommes. Quant à la Centrafrique, la mission militaire que devait rapidement y lancer l'UE, avec la participation peu enthousiaste de certains de ses membres, a pris du plomb dans l'aile quand la crise ukrainienne a émergé. Finalement, l'Union se contentera de déployer en Centrafrique une "force relais" d'un millier d'hommes au maximum. Et il ne faut pas compter dessus avant l'automne.
Un désinvestissement depuis la fin de la guerre froide
Alors que les budgets russe et chinois sont en hausse constante, les membres de l'Union européenne rognent inlassablement sur la défense. La tendance est ancienne. Avec la fin de la guerre froide, la menace devient plus diffuse. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui regroupe actuellement 57 Etats, devait permettre le dialogue entre l'Est et l'Ouest quand le bloc soviétique s'est disloqué. En 2008, elle a échoué à prévenir le conflit entre la Russie et la Géorgie sur l'Ossétie du Sud.
Pendant ce temps, l'Europe a trouvé une nouvelle menace dans le terrorisme et, petit à petit, délégué sa défense aux Etats-Unis, pour se tourner vers d'autres priorités. "La politique générale pratiquée depuis le 11-Septembre est une démobilisation de la défense", remarque Irnerio Seminatore, qui préside le think tank de l’Institut européen des relations internationales de Bruxelles (IERI).
Cette tendance a été encore renforcée par l'arrivée de la crise. Le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), cité par le blog actudéfense, pointait que juste après le début de la crise, en 2010, de nombreux pays avaient drastiquement coupé dans leur budget défense, comme la Bulgarie (-27%), la Lettonie (-26%), l'Estonie (-23%) et l'Albanie (-20%). Ainsi, entre 2010 et 2012, 21 pays sur 27 ont réduit leur portefeuille défense. Et celui-ci représente aujourd'hui moins de 1% du produit intérieur brut de bon nombre de pays de l'UE. Selon le groupe d'experts londonien IHS June's, les budgets de la Chine et de la Russie devraient dépasser ceux de l'Union européenne dès 2015.
Une incapacité à construire une union de la défense
Pourtant, comme l'expliquait en 2011 l'éditorialiste Bernard Guetta,"aucune puissance ne peut se passer de moyens militaires sans se condamner à ne pas avoir d'existence politique. Pour se faire entendre et compter sur la scène internationale, il faut avoir la possibilité d'agir ou de réagir, et c'est tout particulièrement vrai de l'Union européenne en ce début de siècle". Irnerio Seminatore ajoute : "Si on n'a pas de capacité d'action militaire, faire de la diplomatie, c'est comme jouer au café du commerce".
Signe du désintérêt européen sur cette question, les membres de l'UE, qui avaient ouvert avec le traité de Maastricht en 1992 la voie à une politique de sécurité commune, ne se sont réunis que deux fois pour en parler depuis 2008. Dans un éditorial, Le Monde déplorait l'absence de "vision stratégique commune" de l'Union européenne. Constat partagé par Irnerio Seminatore, pour qui "l'Union européenne n'a pas de vision stratégique propre et n'a pas les moyens de faire quoi que ce soit".
Ce bilan très sévère s'explique notamment par les intérêts divergents des membres de l'UE et les difficultés d'harmonisation qui en découlent. Ainsi, avec la crise ukrainienne, les pays baltes et la Pologne se sentent menacés par l'agressivité russe, l'Allemagne s'inquiète pour son approvisionnement énergétique, et les Britanniques de perdre l'apport financier des Russes de la City, quand le conflit peut paraître plus lointain aux Espagnols ou aux Grecs, qui se relèvent tout juste de la crise.
Mais quelques premiers pas sur un long chemin
Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), tempère un peu. Il relève qu'en Ukraine, "c'est la Russie qui s'est sentie menacée" par l'accord de coopération de Kiev avec l'Union européenne. "La question économique est un élément de puissance important. Finalement, ce qui fait que l'Ukraine se trouve dans cette situation, c'est le succès du 'soft power' européen". Ainsi, si Kiev a voulu rejoindre l'Union européenne, c'est pour son rayonnement et non sa puissance militaire ("hard power"). "L'Europe ne l'a pas cherché, mais elle se trouve de fait dans une situation de déséquilibre entre sa puissance économique et la faiblesse de sa défense".
Afin de rétablir l'équilibre, il recommande d'"arrêter de baisser les budgets de défense, dans un premier temps". Ensuite, "il faut que les Européens puissent intégrer leur défense. Faire mieux avec autant". Pointant aussi les difficultés d'harmonisation, il plaide pour "une plus grande mutualisation. C'est long, mais les Allemands ont fait des efforts au Mali, par exemple. Nous avons aussi mené une opération en République démocratique du Congo (Eufor-RD Congo). Il faut voir qu'on partait de rien. Aujourd'hui, on a un peu plus". Un processus très long.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.