Crise en Ukraine : "C'est bien la sécurité de l'Europe qui est en cause", estime un chercheur
Selon Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences-Po, Vladimir Poutine semble "lier le sort de l'Europe à l'Ukraine" en éxigeant le retrait des troupes de l'Otan de Pologne, de Bulgarie et de Roumanie.
Alors que la ministre des Armées française, Florence Parly, s'est dit prête à envoyer "plusieurs centaines d'hommes" à la frontière entre la Roumanie et l'Ukraine pour "défendre les pays qui se trouvent au plus près de cette zone de tension", Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po et à l'INALCO, estime, samedi 29 janvier sur franceinfo que dans la crise ukrainienne "c'est bien la sécurité de l'Europe qui est en cause". Depuis fin décembre, la Russie est accusée de préparer une intervention militaire sur le sol ukrainien. Plusieurs négociations sont en cours pour tenter d'éviter une telle issue.
L'OTAN peut-elle empêcher une intervention russe ?
Je crois que Vladimir Poutine a été très surpris par la réaction de l'Occident, de la volonté des États-Unis d'envoyer des troupes de l'OTAN et des troupes américaines sous surveillance de l'OTAN. C'est un élément important parce que Vladimir Poutine avait imposé des conditions tout à fait irrecevables, c'est-à-dire le fait que les forces de l'OTAN devraient retirer leurs forces non seulement de la Roumanie, mais aussi de Pologne et Biélorussie.
Il y a une réaction effectivement importante. Mais est-ce que c'est de nature à empêcher Poutine d'avancer ?
Je ne crois pas. Il souhaite obtenir un résultat et il ne reculera pas tant qu'il n'aura pas un résultat sur le plan diplomatique. Et effectivement, il érige toujours cette menace d'une intervention militaire en Ukraine. Ceci dit, Volodymyr Zelensky, le président ukrainien a dit : "L'OTAN, il faut faire attention, il ne faut pas s'affoler, ne vous énervez pas, il n'y a pas aujourd'hui de risque imminent d'invasion".
On voit bien aujourd'hui qu'il y a une guerre des nerfs depuis une semaine et les propos de M. Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, montrent qu'il y a encore une place pour la diplomatie
Pierre Martin-Genierà franceinfo
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Même si Vladimir Poutine a déclaré aujourd'hui que l'Occident et les pays de l'OTAN n'avaient pas accepté ses propres propositions. Ce qui fait qu'on est aujourd'hui, en effet, dans une situation de blocage complet.
En quoi l'Europe est-elle concernée ?
Ce qui est en cause, c'est véritablement la liberté, le droit à l'autodétermination des peuples. On voit bien que Vladimir Poutine n'a jamais respecté les résolutions de l'ONU, à savoir le fait que la Crimée devrait revenir dans l'intégrité territoriale de l'Ukraine. La guerre du Donbass, c'est aussi une atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Mais au-delà de l'Ukraine, c'est bien la sécurité de l'Europe qui est en cause.
Vladimir Poutine compris, en exigeant le retrait des troupes de l'OTAN, de la Roumanie, de la Pologne et de la Bulgarie, en réalité, il semble lier le sort de l'Europe à l'Ukraine.
Pierre Martin-Genierà franceinfo
Donc, nous sommes totalement solidaires. La seule différence, c'est que l'Ukraine n'étant pas partie à l'OTAN, elle ne peut pas évoquer l'article 5 qui prévoit une assistance mutuelle en cas d'agression d'un de ses membres. On pourrait considérer que c'est une opposition entre les États-Unis et la Russie. Mais au-delà de cela, c'est quand même la sécurité de l'Europe qui est en cause, mais également la liberté d'un pays de pouvoir choisir ses propres alliances.
On a les moyens de faire la guerre à la Russie ?
Absolument pas. Même si la France est un membre permanent du Conseil de sécurité, même si nous sommes une puissance nucléaire, on sait très bien qu'on n'utilisera jamais la bombe nucléaire. Même si nous avons une capacité de persuasion, de dissuasion, la France seule ne pourra pas éviter cette agression, ce qui veut dire que tous les pays de l'OTAN doivent se rassembler pour faire face à cette agression caractérisée de la Russie vis-à-vis de l'Ukraine.
Le seul problème, c'est que parmi les États européens dans l'OTAN, certains sont divisés. Le maillon faible aujourd'hui, manifestement, c'est l'Allemagne qui refuse cette poussée en avant agressive militaire, d'envoyer des armes allemandes en Ukraine.
Pierre Martin-Genierà franceinfo
Elle refuse même, le cas échéant, de laisser survoler son espace aérien par les forces de l'OTAN. La France ne peut avoir effectivement la possibilité et la capacité d'empêcher cette agression. C'est pour cela qu'il faut que les États de l'OTAN soient solidaires. On a vu que les Pays-Bas et le Danemark allaient envoyer des forces, des bateaux, des avions militaires. Donc, ça ne peut être qu'un front uni de l'OTAN. Et la France seule n'a évidemment pas la capacité d'empêcher une éventuelle invasion, soit totale, soit partielle de l'Ukraine.
La mobilisation de l'OTAN ne risque-t-elle pas d'attiser les choses sur le terrain ?
Oui, bien sûr. La difficulté, c'est de savoir ce qui se passe dans la tête de Vladimir Poutine. Il a besoin d'une sortie par le haut. J'ai eu l'impression que l'entretien qui s'est passé hier avec le président de la République, Emmanuel Macron, était plutôt positif car il a duré une heure, et Vladimir Poutine est quand même dans une position difficile. Selon moi et selon également des experts militaires, la Russie n'a pas la capacité de tenir longtemps, s'il devait y avoir une invasion.
Il faut quand même savoir que les Ukrainiens sont prêts à la guerre.
Pierre Martin-Genierà franceinfo
La guerre dure depuis longtemps, elle dure dans le Donbass depuis 2014, avec 15 000 morts quand même. L'Ukraine est tout à fait déterminée. Pour la Russie, ce serait véritablement un bourbier comme l'Afghanistan si ce pays devait s'engager dans une guerre totale. Aujourd'hui, on est plutôt dans une sorte de désescalade. Ça fait une semaine que la diplomatie est en action, il faut espérer qu'on puisse aboutir à quelque chose. Mais encore une fois, Vladimir Poutine a dit que ses principales exigences n'avaient pas été respectées par l'Occident et par l'OTAN, donc on est encore aujourd'hui dans une guerre des nerfs. On ne peut pas exclure une agression qui pourrait être soit totale, soit partielle de l'Ukraine.
La France doit-elle rester dans le commandement intégré de l'OTAN ?
Je crois que le fait d'être membre du commandement intégré de l'OTAN est quelque chose d'essentiel, même de stratégique. La seule alternative, ce serait une défense européenne, qui n'existe absolument pas. On voit qu'il y a des divergences. L'Europe tente de se rassembler, d'avoir une approche mutuelle en matière d'industrie, d'armement, mais il n'y a pas de défense européenne. Par conséquent, s'il n'y a pas aujourd'hui de défense européenne, il n'y a pas d'autre alternative que l'OTAN, donc d'appartenir au commandement militaire intégré. Si la France partait du commandement militaire intégré, premièrement, elle perdrait une influence considérable et ce serait un cadeau donné à Vladimir Poutine. Je pense que même si Emmanuel Macron avait dit que l'OTAN était en mort cérébrale, aujourd'hui, on voit bien la signification de cette organisation militaire qui est là pour défendre la liberté en Europe.
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