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Témoignages Crise en Ukraine : face à la menace de la Russie, des Français se résignent à partir, "mais partir où ?"

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une rue de la ville de Kharkiv (Ukraine), proche de la frontière avec la Russie, le 2 février 2022. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Mardi midi, les deux tiers des Français vivant en Ukraine avaient quitté le pays, selon les informations de franceinfo. D'autres espèrent que s'éloigner de la frontière pour quelques jours suffira à rester en sécurité.

David Culot a regardé les horaires et les tarifs, et voilà le calcul : il devrait lui coûter "une centaine d'euros" de prendre le train "dans les prochains jours" jusque dans les montagnes des Carpates, à la frontière roumaine, pour lui, sa femme et leurs trois enfants âgés de 1, 4 et 7 ans. Le Français, installé en Ukraine depuis la fin des années 2000, a "bien besoin de souffler" en ce moment. A vrai dire, la famille Culot n'avait "pas tout à fait prévu" de prendre l'air si tôt. Mais le discours de Vladimir Poutine, qui a reconnu l'indépendance des territoires séparatistes prorusses d'Ukraine et ordonné à son armée "le maintien de la paix", lundi 21 février, a accéléré les choses.

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C'est que Kharkiv, où le chef d'entreprise a ses activités, se trouve à vingt-cinq petits kilomètres de la frontière russe et à 250 de la région du Donbass, dans l'est du pays, là où des centaines de soldats russes sont massés. "Ça va faire du bien à tout le monde, souffle le père de famille de 51 ans. Il y a beaucoup de stress en ce moment. Il faut qu'on se sorte de cette inquiétude. La sécurité avant tout". 

David Culot, son épouse Anna et leur enfant Raphaël dans leur maison à Kharkiv (Ukraine), le 2 février 2022. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Maxime Jochum ne pensait pas non plus rendre visite à ses beaux-parents en plein mois de février. Mais c'est bien depuis chez eux, à Svitlovodsk, à 300 kilomètres à l'ouest de Kharkiv où il vit habituellement, que le trentenaire a suivi l'allocution du président russe. "Avec mon épouse, on s'était fixé une ligne rouge : 'Si les autorités françaises nous disent de quitter les lieux, on part'. Et ce moment-là est arrivé, donc on est partis", raconte l'informaticien originaire d'Annemasse (Haute-Savoie).

C'est en effet un message signé de l'ambassade de France en Ukraine, le 19 février, qui a tout précipité. "Les ressortissants français se trouvant dans les oblasts de Kharkiv, Louhansk et Donetsk, formellement déconseillés, et à titre de précaution dans la région de Dnipro, sont appelés à quitter sans délai ces zones", pouvait-on lire. Maxime et son épouse sont partis le lendemain matin à 9 heures, en bus, avec chacun un sac, un ordinateur pour travailler et quelques affaires de rechange.

"Une bonne partie" des Français sont déjà partis

Le message de l'ambassade de France a agi comme un déclic, comme si un cran de sécurité de plus venait tout à coup de sauter. Des ressortissants français ont cassé leur tirelire pour acheter en urgence un billet d'avion, direction Paris. David Franck, conseiller des Français de l'étranger à Kiev, a atterri dimanche soir à l'aéroport de Roissy. "L'avion était plein. Mais je n'ai pas trouvé qu'il y avait particulièrement de panique chez les passagers. En revanche, c'était le dernier vol d'Air France", raconte-t-il. La compagnie aérienne a annoncé qu'elle suspendait ses vols entre Paris et Kiev jusqu'au 26 février.

A bord, avec lui, se trouvaient des expatriés ayant reçu de leurs entreprises l'ordre de plier bagages. Mais aussi le directeur de l'Alliance Française de Kharkiv, ou encore la proviseure du lycée français Anne de Kiev et son mari. David Franck a également reconnu des employés de l'ambassade, accompagnés de leurs conjoints et enfants. "Une bonne partie" du millier de Français inscrits sur les listes électorales a déjà quitté le pays, indique à franceinfo une source diplomatique, sans plus de précision. Selon nos informations, ils étaient encore 350 sur le territoire mardi midi.

"Au bureau, c'est le sujet numéro un"

Et ceux qui ont fait le choix de rester ? Ce ne sont "pas des inconscients pour autant", et c'est une décision "très personnelle", veut rappeler David Franck. "Il faut laisser le choix à tous. C'est ce que j'ai dit au ministre" chargé des Français de l'étranger, Jean-Baptiste Lemoyne, avec qui le conseiller des Français de l'étranger à Kiev est en lien permanent. L'ambassade de France dans la capitale ukrainienne n'a d'ailleurs pas bougé de la rue Reitarska. Même à effectif réduit, elle reste "ouverte et active", nous assure-t-on. Monsieur l'ambassadeur, Etienne de Poncins, a même tweeté qu'il était toujours présent sur place. 

Des employés de l'ambassade ont pour mission d'être en contact avec les ressortissants restés en Ukraine. Pas un luxe : sur le groupe Facebook des Français installés à Kiev, certains continuent de s'interroger sur ce qu'ils doivent faire. "Salut les Français de l'Ukraine, que pensez-vous des informations de France qui disent de quitter l'Ukraine ? J'aimerais vos avis... Je n'ai pas pris de décision, mais j'aimerais prendre la température des autres personnes...", écrit un internaute.

Un chef d'entreprise français installé dans la capitale ukrainienne depuis deux ans (qui préfère rester anonyme) entend les mêmes réflexions à la machine à café. "C'est sûr que les Français parlent encore plus de la situation en ce moment, détaille-t-il. Au bureau, c'est le sujet numéro un. Chacun demande 'Et toi, tu fais quoi ?', 'Tu restes, tu pars ?' C'est comme dans la vie, il y a des optimistes et des plus pessimistes. Moi, pour le moment, je reste".

Un retour espéré dans "quelques jours"

Le pire est que parfois, ce n'est pas ce qui se passe au bout de la rue qui provoque la montée d'angoisse. "J'ai eu ma sœur au téléphone. Elle habite en France et elle s'inquiétait pour moi. Elle me demandait ce qu'on allait faire, si on allait partir", raconte David Culot. "J'ai aussi reçu des messages d'amis basés en Autriche, aux Etats-Unis, de vieux clients, qui me disent qu'ils s'inquiètent pour moi."

"Et puis partir mais partir où ? Toute ma vie est ici. Ma famille, l'école de mes enfants, mes loisirs, mes activités professionnelles..."

David Culot

à franceinfo

Reste une autre question : pour combien de temps se mettre au vert ? David Culot pense passer "une petite semaine" avec sa famille dans les Carpates avant de rentrer à Kharkiv. Maxime Jochum n'a "pas encore pris son billet retour" mais son plan, pour le moment, est de "ne rester que quelques jours" chez ses beaux-parents. David Franck non plus n'a pas regardé les vols dans le sens Paris-Kiev pour l'instant. Mais une chose est sûre : "Même si Air France ne reprend pas ses rotations, je ferai le trajet en bus ou en train. Ma vie est là-bas." Il coupe : "Je ne peux pas croire que la folie de Poutine aille jusqu'à bombarder Kiev."

David Franck raccroche son téléphone. Il doit anticiper l'organisation de la reprise des cours du lycée français Anne de Kiev. Pour le moment, elle est toujours prévue pour le 9 mars. Mais "je ne sais pas... Peut-être qu'il faudrait prévoir des cours en ligne." Surtout si d'ici là, les Français ne sont pas rentrés chez eux, en Ukraine.

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