Guerre en Ukraine : ce que l'on sait du charnier d'Izioum, où 445 tombes ont été découvertes dans la forêt
Les autorités ukrainiennes enquêtent pour faire la lumière sur les conditions dans lesquelles des centaines de personnes sont mortes, pendant les bombardements, mais aussi pendant l'occupation de l'armée russe dans cette ville de l'est du pays.
Dès les premiers jours de l'offensive russe en Ukraine, en février, la ville d'Izioum a été la cible des bombardements. Occupée depuis le printemps par l'armée de Vladimir Poutine, cette localité stratégique du Donbass, à la croisée des routes qui relient Kharhiv, Louhansk et Donetsk, a été libérée par les forces ukrainiennes, samedi 10 septembre. Une semaine plus tard, Kiev a convié les médias internationaux à constater l'horreur : des centaines de tombes, découvertes dans la forêt qui borde la ville. Alors que les enquêteurs ukrainiens ont commencé à exhumer les corps, voici ce que l'on sait de ces découvertes macabres.
Un cimetière de 445 tombes a été mis au jour
Dès jeudi soir, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a fait part de la découverte de ce qu'il a qualifié de "fosse commune" à Izioum, ville qui, avant la guerre, abritait environ 50 000 habitants. Dans une forêt qui borde la localité, les soldats ont découvert 445 croix de bois, correspondant à autant de tombes, ont constaté les journalistes de Radio France sur place.
A quelques mètres de là, une autre tombe est marquée par une croix, sur laquelle on peut lire l'inscription suivante : "Armée ukrainienne, 17 personnes. Izioum, de la morgue", ont rapporté des journalistes de l'AFP sur place. Si cette fosse contient les corps de 17 soldats "enterrés ensemble", "la plupart des civils ont été enterrés individuellement", a déclaré au Guardian (lien en anglais), le procureur de la région de Kharkhiv, dont dépend Izioum, Oleksandr Filchakov.
Cependant, l'identité de la plupart de ces cadavres demeure inconnue. Interrogée par le quotidien britannique, la directrice d'une entreprise de pompes funèbres locales a expliqué que les autorités russes lui avaient demandé d'inscrire des numéros sur les tombes, et de consigner les noms correspondant dans un registre. Concernant les conditions d'inhumation, elle évoque "une catastrophe" et a raconté au Guardian comment il avait fallu enterrer les corps sous les bombardements, avant de déplacer à nouveaux les corps. Ces tombes ont été creusées par les forces russes qui avaient pris la ville en mars et l'ont occupée jusqu'à la semaine dernière, a fait savoir pour sa part le responsable gouvernemental pour la recherche des personnes disparues, Oleg Kotenko.
Les autorités locales dénoncent des actes de torture contre les civils
Selon le gouverneur régional, Oleg Synegoubov, "450 corps de civils portant des traces de mort violente et de torture" ont été découverts sur ce site. "Il y a des cadavres avec les bras attachés dans le dos, un autre avec une corde autour du cou. Il est certain que 99% des personnes ici ont succombé de mort violente", a-t-il déclaré vendredi.
Selon les autorités locales, certains corps ont "les mains liées", et de "toute évidence, ces personnes ont été torturées et exécutées".
Le chef de la police ukrainienne, Igor Klymenko, a, de son côté, annoncé la découverte de 10 "salles de torture" dans des localités reprises aux Russes dans la région de Kharkiv, dont six à Izioum et deux dans la ville de Balakliïa, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est d'Izioum, dans la direction de Karkhiv. Devant la caméra de franceinfo, un civil raconte avoir été torturé, car son frère est soldat : "Ils me faisaient tenir deux câbles reliés à un générateur électrique. Plus il tournait vite, plus la décharge était forte".
Les victimes ont aussi péri dans les bombardements
Jeudi, un responsable de la police régionale, Serguiï Botvinov, a indiqué à la chaîne de télévision Sky News que certains défunts avaient été tués par balle, tandis que d'autres étaient morts dans des bombardements. Attaquée par les forces russes dès le 28 février, la ville a fait l'objet de frappes intenses pendant plusieurs semaines. Des journalistes de l'AFP ayant visité Izioum lundi 12 septembre ont d'ailleurs vu les stigmates de cette opération visant à prendre la ville : des ruines, des maisons et bâtiments publics détruits, des carcasses de blindés jonchant les routes et partout, la trace de combats.
"Ici, il y a beaucoup d'enfants parmi les corps", a déclaré vendredi le gouverneur régional, Oleg Synegoubov. D'après lui, la plupart des victimes ont été tuées lors des bombardements russes au début de l'invasion.
Oleg Kotenko, responsable gouvernemental pour la recherche des personnes disparues, a quant à lui estimé que "les tombes qui ne portent pas de noms sont celles de gens [trouvés] dans la rue". "Il y a beaucoup de personnes qui sont mortes de faim", a-t-il déclaré, cité par l'AFP. "Cette partie de la ville était isolée, sans ravitaillement. Les gens étaient bloqués, rien ne marchait".
Les corps seront exhumés et autopsiés après l'ouvertures d'enquêtes
L'exhumation de ces corps doit permettre de déterminer les causes de la mort de ces personnes. "200 agents et experts" travaillent sur le site, a encore déclaré Oleg Synegoubov, vendredi, expliquant que "les corps seront envoyés pour autopsie (...) Chaque mort fera l'objet d'une enquête et deviendra une preuve des crimes de guerre de la Russie devant les tribunaux internationaux", a-t-il ajouté.
D'après les autorités ukrainiennes, plusieurs personnes, suspectées d'avoir enterré les corps à la va-vite, ont été arrêtées, rapporte Radio France. Selon le procureur, il s'agit d'habitants de la ville qui se seraient improvisé fossoyeurs au service des Russes pendant l'occupation d'Izioum, pour "nettoyer" les habitations bombardées. Par ailleurs, il y aura une enquête sur les cadavres de ces 17 soldats ukrainiens retrouvés également dans cette forêt, à quelques mètres de ceux des civils, poursuit Radio France.
Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU a pour sa part immédiatement affirmé son intention d'envoyer une équipe à Izioum pour "déterminer les circonstances de la mort de ces personnes".
L'Ukraine dénonce la responsabilité de l'armée russe
"Pendant des mois, la terreur, la violence, la torture et les meurtres de masse ont régné en maîtres dans les territoires occupés" a réagi sur Twitter, vendredi, un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak. Volodymyr Zelensky a quant à lui pointé la responsabilité de l'armée russe. "La Russie ne laisse que mort et souffrance. Des meurtriers. Des tortionnaires. Privés de tout ce qui est humain", a-t-il lancé dans une vidéo postée vendredi sur Telegram. "Il y a également des preuves que les soldats russes, dont les positions n'étaient pas loin de cet endroit, ont tiré sur les personnes enterrées juste pour s'amuser", a ajouté Volodymyr Zelensky, promettant "un châtiment terriblement juste" aux responsables.
La Russie n'a pas répondu aux accusations de Kiev
D'après les habitants rencontrés par Radio France, "il n'y a pas eu à Izioum de massacres de masse commis par les Russes. Pas d'exécutions sommaires, comme à Irpin ou à Boutcha, au nord de Kiev."
Le président russe, Vladimir Poutine, n'a pas réagi à la découverte de ces tombes. Il a affirmé que les opérations se poursuivaient malgré les importantes contre-offensives de l'armée ukrainienne dans le nord-est et le sud du pays. "Les autorités de Kiev ont annoncé avoir commencé une contre-offensive active. Et bien, on va voir comment elle va se terminer", a simplement commenté Vladimir Poutine.
D'après lui, l'objectif clé du Kremlin reste "la libération de tout le territoire du Donbass".
L'UE se dit "profondément choquée"
La Russie agit de "manière épouvantable et cela se voit et se répète (...). On voit ce qu'elle laisse dans son sillage", a commenté à Washington le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken.
L'UE s'est également dite "profondément choquée". "La Russie, ses dirigeants politiques et toutes les personnes impliquées dans les violations continues du droit international et du droit humanitaire international en Ukraine devront rendre des comptes", a estimé le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, dans un communiqué.
Je condamne avec la plus grande fermeté les atrocités commises à Izioum, en Ukraine, sous occupation russe. Leurs auteurs devront répondre de leurs actes. Il n'y a pas de paix sans justice.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) September 16, 2022
Même son de cloche en France : sur Twitter, le président Emmanuel Macron a condamné "avec la plus grande fermeté les atrocités commises à Izioum, en Ukraine, sous occupation russe".
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