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Guerre en Ukraine : comment le discours de Vladimir Poutine s'est radicalisé pour tenter de galvaniser la population

Lors d'une allocution, le président russe a annoncé une mobilisation partielle dans le pays. Pour cela, il a fait preuve d'une rhétorique toujours plus ferme tout en se montrant "plus émotif".

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le président russe, Vladimir Poutine, lors d'une allocution à la nation pour annoncer la mobilisation partielle dans le pays, le 22 septembre 2022. (KREMLIN.RU / AFP)

Un cadrage serré, la mine sombre et deux téléphones hors du temps sur l'angle d'un bureau. Le décor est planté. Vladimir Poutine a annoncé la mobilisation partielle en Russie, mercredi 21 septembre, au cours d'une allocution télévisée*. Il aura donc fallu quatorze minutes et vingt secondes pour faire basculer la vie de quelque 300 000 réservistes russes, bientôt appelés sous les drapeaux. Une onde de choc dans le pays.

Cette prise de parole est inédite depuis le 24 février et le début de l'invasion de l'Ukraine. Autant dire qu'elle était attendue, voire redoutée. "Ce discours de guerre marque une nouvelle étape du conflit", résume Jules Sergei Fediunin, docteur en science politique de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Cette rhétorique présidentielle "s'inscrit dans une double logique de galvanisation et de radicalisation", poursuit-il, comme en atteste l'usage des mots "génocide", "terrorisme" ou "torture" pour discréditer l'armée ukrainienne.

"Ce texte, très dense, ramasse les formules des derniers mois. Mais cette fois-ci, l'attaque est dirigée contre l'Occident, davantage encore que l'Ukraine."

Jules Sergei Fediunin, docteur en sciences politiques

à franceinfo

Apparue l'an passé, "la notion d''Occident collectif' [Кollektivniy Zapad] caractérise ce discours manipulatoire qui ne donne pas de noms", poursuit Valéry Kossov, directeur du Centre d'études slaves contemporaines à l'université de Grenoble. A savoir : un monde occidental uniforme, jugé hostile.

"Nos forces armées affrontent non seulement des formations néo-nazies, mais, de facto, toute la machine militaire de l'Occident collectif."

Vladimir Poutine

dans son allocution télévisée

Cette expression est désormais centrale pour Vladimir Poutine. L'autocrate russe affirme ainsi que les négociations d'Istanbul, en avril, ont échoué à cause d'un ordre transmis par "les élites occidentales" à l'Ukraine. "Ce thème entre dans le schéma mental d'une certaine partie de la population russe, devenue très réceptive à des théories conspirationnistes", après un long travail de propagande mené sur l'opinion.

"Néo-nazi" répété à l'envi

"Cette fois-ci, Vladimir Poutine va encore plus loin en déclarant que le peuple ukrainien est utilisé comme de la chair à canon, et en accusant les élites ukrainiennes d'être entièrement responsables de la guerre", poursuit Valéry Kossov. Ces charges contre un Occident fantasmé et uniforme représentent "une forme de réaction aux discours qui ont pu circuler en Occident sur une nécessaire décolonisation ou dé-impérialisation" de la Russie, ajoute Jules Sergeï Fediunin.

L'annonce de cette mobilisation intervient dans un contexte tendu pour le Kremlin, depuis la contre-offensive ukrainienne dans la région de Kharkhiv. Ce revers avait notamment suscité la colère des milieux nationalistes et des bloggueurs militaires. "L'entourage de Vladimir Poutine et le commandement militaire ont dû trouver des moyens de réagir à ces prises de parole de plus en plus visibles, notamment sur internet", reprend Julien Sergeï Fediunin. "La mobilisation de la société et des ressources était un de leurs grands thèmes. On le retrouve dans le décret de Vladimir Poutine, avec la mention à la production d'armes."

Si l'expression de "dénazification" n'apparaît plus – Vladimir Poutine ne l'a employée lui-même qu'une seule fois, au mois de mai – le texte oppose sans relâche le "peuple ukrainien" et le régime et ses combattants dont il serait prétendument l'otage. Le terme "néo-nazi" est ainsi martelé à onze reprises au total durant l'allocution.

Des menaces et du pathos

Mais cette allocution de Vladimir Poutine marque également un tournant sur le volet nucléaire. "Le président russe a été plus direct sur cette question", juge Valéry Kossov, "alors que les tournures étaient auparavant plus voilées". Fin février, déjà, "Vladimir Poutine avait mis en alerte la force de dissuasion nucléaire, mais sans relier cette question à l'attitude de l'Occident à l'égard de la Russie", souligne également Jules Sergeï Fediunin.

Là, le président russe a précisé que ce n'était "pas du bluff". Histoire de redonner du poids à une option trop souvent brandie ? Vladimir Poutine, désormais, interpelle directement Washington, Berlin, Londres ou Paris. "Ces menaces sont dues à la volonté de Vladimir Poutine de s'adresser directement aux Etats-Unis et aux autres gouvernements occidentaux", analyse Jules Sergei Fediunin.

"Le Kremlin considère qu'il faut chercher un accord ailleurs qu'avec l'Ukraine."

Jules Sergei Fediunin, docteur en sciences politiques

à franceinfo

Sur la forme, enfin, Vladimir Poutine a quelque peu évolué dans sa manière de s'adresser à la population. "Généralement, le pathos occupe une place secondaire dans ses discours ; ce n'est pas quelqu'un qui exprime son émotion", relève Valery Kossov. Mais ses prises de parole ont quelque peu évolué depuis le 24 février. "Quand il parle de 'nos frères et nos sœurs' des territoires du Donbass, par exemple, cela renvoie à des références religieuses, mais également au discours de Staline, au début de la 'Grande Guerre patriotique' [Seconde Guerre mondiale]."

"Le ton est devenu plus émotif, le discours plus compact. Il n'y a plus de longue digression historique et les arguments habituels sont récités comme une comptine."

Valéry Kossov, directeur du Centre d'études slaves contemporaines à l'université de Grenoble

à franceinfo

Pas question, pour autant, de sombrer dans la familiarité d'un Dmitri Medvedev, connu pour ses sorties sur Telegram. "Son objectif est de garder une crédibilité envers les Russes d'horizons différents. Et de montrer qu'il garde la tête froide, et prépare mûrement ses décisions." En attendant, conclut Jules Sergeï Fediunin, "la spirale de violence continue de se déchaîner et les réactions sont de plus radicales." Reste maintenant à attendre la réponse de Kiev.

* Des traductions françaises du discours de Vladimir Poutine ont été publiées par exemple ici ou par ici.

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