Guerre en Ukraine : "L'armée russe est dans un état de délabrement absolument effrayant", estime un spécialiste
Selon Bertrand Badie, l'abandon de cette guerre en Ukraine par Vladimir Poutine est "la seule chance pour la communauté internationale".
"L'armée russe est dans un état de délabrement absolument effrayant", a déclaré vendredi 30 septembre sur franceinfo Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po et spécialiste des relations internationales, alors que le président russe Vladimir Poutine a prévu d'entériner vendredi l'annexion par la Russie de quatre régions ukrainiennes, lors de célébrations à Moscou. "Dans une Russie qui brille par son isolement, il faut montrer qu'il n'en est rien", explique-t-il, ajoutant que "c'est le jet de l'éponge de Vladimir Poutine qui demeure la seule chance pour la communauté internationale".
franceinfo : Quel est le sens, d'après vous, de telles célébrations ?
Bertrand Badie : Vladimir Poutine a quand même compté depuis le 24 février un certain nombre de défaites. La première est une défaite militaire. Rappelez-vous l'ambiance de fin février, où l'objectif était de conquérir Kiev et de dénazifier le pays tout entier. Aujourd'hui, on n'en parle plus du tout. On a l'impression que le repli est vers la seule annexion de quatre régions ukrainiennes. Il faut absolument transformer une défaite militaire en victoire politique. Poutine a laissé beaucoup de plumes de sa réputation internationale. Rappelez-vous que la Russie est la deuxième armée du monde. On la pensait quasiment invincible. Elle a démontré que non seulement elle n'avait pas réussi, mais pire que ça, qu'elle est dans un état de délabrement absolument effrayant. Il faut mettre beaucoup de cosmétique, notamment du cosmétique politique et protocolaire, dans cette cérémonie pour faire oublier la chose. Troisièmement, on a dit, à tort d'ailleurs, que la Chine, l'Inde, étaient ses alliés, or ces pays se démarquent de plus en plus. Et là aussi, dans une Russie qui brille par son isolement, il faut montrer qu'il n'en est rien.
La réalité de la guerre pour les soldats russes est-elle tout autre que celle propagée par Vladimir Poutine ?
Nous voyons bien que ces malheureux soldats russes, qui rejoignent actuellement le front, ne savaient pas du tout à quoi ils s'attendaient. Ils ne savaient même pas de quoi il s'agissait. Deuxièmement, il y a un fort état de décomposition de cette armée russe avec une absence de chaîne de commandement pour coordonner, ordonner tout ça. Troisièmement, et c'est le plus important, Poutine découvre jour après jour que face à lui, il n'y a pas seulement de la force, il y a une société russe, une société vivante et une société réactive. Nous avons vu dans le processus de mobilisation, de fuite de nombreux Russes, une incapacité de Poutine d'arrêter à la frontière des gens qui attendaient trois jours avant de passer. On a véritablement le sentiment que la société lui échappe. C'est peut-être une des cartes les plus fortes dans le jeu des puissances qui lui font face aujourd'hui.
Les Russes eux-mêmes peuvent-ils provoquer la fin de ce conflit ?
Je crois qu'il y a trois forces qui peuvent arrêter ce conflit. Il y a d'abord la rébellion de la société sous des formes différentes. Ensuite, il ne faut pas sous-estimer les prévisions catastrophiques de l'économie russe. Les sanctions, contrairement à ce que certains disent, fonctionnent. Troisième élément : le jeu diplomatique qu'il va falloir maintenant déployer. Aujourd'hui, on ne gagne plus les guerres et on n'est plus battu dans les guerres. En revanche, on abandonne, on jette l'éponge, comme l'ont fait les Etats-Unis au Vietnam, en Irak, en Afghanistan, comme l'ont fait les Français et les Britanniques dans les guerres de décolonisation. C'est le jet de l'éponge de Vladimir Poutine qui demeure la seule chance pour la communauté internationale.
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